Vous allez, dans une dizaine de jours, accompagner vos enfants à l'école. En France, la rentrée n'est pas particulièrement joyeuse. Surtout en Maternelle. Les Mamans et les Papas "posent" une demi-journée pour consoler leur bambin de ce qu'ils vivent comme un abandon.
On entendait autrefois la recommandation d'être gentil avec la maitresse. Elle est devenue : j'espère que la maîtresse sera gentille avec toi. Les temps changent ... Alors beaucoup d'écoles pratiquent la rentrée échelonnée, de manière à accueillir "comme il se doit" les familles et les petits, pas plus de cinq nouveaux par matinée (ce qui fait tout de même au bas mot 15 individus, sans compter l'espace occupé par les caméras et appareils photo). En une semaine les présentations sont terminées, sans pleurs ... surtout du coté des mamans parce que les enfants sont en général ravis de conquérir de l'indépendance.
C'est gagné quand ils sont malheureux que "demain y a pas école". Et coup de bol désormais même le mercredi sera un jour d'école. Je ne vais pas lancer le débat, je ne suis pas sûre que mon ironie serait décryptée.
En Ossétie du Nord, il en va autrement. Il en allait. Le jour de la rentrée était une immense fête. Et le matin du 1er septembre 2004, toute la petite ville de Beslan, 37 000 habitants, n'a pas dérogé à la règle. Aucun des participants n'imagine qu'un millier d'entre eux courent vers une catastrophe sans précédent. Dix ans plus tard, les controverses ne sont pas élucidées, le procès n'a satisfait personne et les ravages psychologiques sont immenses. Peut-être Sophie Van der Linden contribue à les apaiser un peu avec ce livre qui est un hommage vibrant à cette enfance meurtrie.
L’Incertitude de l’aube se focalise sur Anushka et sa meilleure amie, Miléna, sautillant joyeuses sur le chemin de l’école. C'est à peine si on sent le risque d'un malheur en lisant que la petite fille marche en évitant précautionneusement les traits entre chaque pierre du rebord du chemin (p. 15). Tous les enfants font cela.
Etre séparée de Miléna pour cette nouvelle année scolaire ET se retrouver dans la classe de Mme Leviakoff semblent alors les choses les plus horribles qui soient pour la petite Anushka qui, tout l'été, a eu le pressentiment que quelque chose d'horrible allait se produire.
Le pire est pourtant à venir ... La fête est finie avant d'avoir commencé. Ce n'est pas un spectacle de clowns qui se déroule dans le gymnase, mais une prise d'otages par des fascistes, terroristes, méchants, appelez-les comme vous voudrez ... Première leçon : les synonymes.
L'oiseau, les pétards, les chants, les cris, un CLAC ... les sons occupent un espace confiné, vite envahi par la chaleur, la peur, la puanteur. Impossible de hiérarchiser.
Anushka, 8 ans, a survécu à la noyade, à l'étouffement dans la faille d'une falaise. Elle se croit immortelle, comme tous les enfants. Elle se culpabilise aussi. Comme tous les enfants. Faire une bonne action pourrait être la parade au malheur ... Comme sauver une abeille peut-être, en partant du principe qu'une vie vaut une vie.
Faire une prière, même si elle croit difficilement (p. 38) que Dieu existe en permettant que des enfants meurent ou qu'il y ait des guerres. Ou encore se raccrocher à la morale des contes où ce sont toujours les vilains qui sont punis.
Dans ce domaine, qui est sa grande spécialité, Sophie connait toutes les histoires et toutes les comptines que l'on peut invoquer, et dont elle livre chaque référence à la fin (p. 149), nous épargnant une fastidieuse exploration via Internet. J'en ai appris de multiples que je ne soupçonnais pas. Comme Châtaigne, la petite chienne du conte de Tchekhov que je vais m'empresser de rechercher.
Je rappelle que l'auteure a publié il y a quelques mois un ouvrage remarquable sur le sujet : Album [s] de Sophie Van der Linden, sous la direction artistique d'Olivier Douzou, en Coédition Editions de facto / Encore une fois, chez Actes Sud Junior, octobre 2013 que j'ai présenté sur le blog en mai dernier.
Anushka est très courageuse face à la mort, la faim, la soif, et la peur qui prend possession de son corps. Mais son cerveau résiste, en pensant aux paroles de sagesse de son grand-père : "Ta richesse, c'est ce que tu as dans la tête, personne ne pourra te le voler. Tous tes souvenirs, ils sont à toi, pour toujours. Tu peux les visiter à chaque instant, où que tu sois, les saisir à pleines mains. Ils font partie de toi. C'est la seule chose qui ne pourra jamais t'être enlevée."
La petite fille se concentre, devient pierre, s'évade, revit ses derniers repas, évoque un à un chaque souvenir, puis l'imaginaire se substitue au réel avec le prochain anniversaire, un voyage au Pôle Nord, ... au paradis.
Sophie Van der Linden a écrit un roman d'une grande gravité avec un style poétique qui le rendrait presque léger, faisant s'envoler l'oiseau d'Arthur Rimbaud qui permet une fin ouverte.
J'avais été enthousiaste à la parution de son premier roman, l'an dernier. La fabrique du monde reste un livre remarquable. Il a ce point commun avec celui-ci d'explorer le comportement d'un individu au sein d'un univers hostile, dans une narration qui est toujours écrite à la première personne, entrainant le lecteur au coeur de ce qu'il n'a a priori pas envie de voir, mais cela sans verser dans l'insoutenable ou le pathologique.
Elle a déjà commencé son troisième roman qui, lui, ne se passera ni en Chine, ni en Russie ... sans que je puisse vous en dire davantage pour le moment.
L'incertitude de l'aube de Sophie Van der Linden chez Buchet Chastel, en librairie le 21 août 2014
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