Marie-Hélène Lafon m'a surprise avec la citation de Paul Cézanne. Ce n'est pas le peintre que j'aurais spontanément associé aux paysages de ses romans.
Par contre j'ai retrouvé intact son style si particulier qui, me semble-til, décrit avec une humanité accrue les derniers paysans cantaliens : Joseph, la patronne, Raymond (le chien), le patron et plus loin la Cécile du Casino, le fils Couderc, et puis aussi les disparus, le François de la Gazelle, le fils Lavigne ...
C'est que, chez ces gens là, on est le/la comme si on n'avait pas sa propre appartenance. Joseph s'en trouve anobli. Il est Joseph, un point c'est tout sous la plume de l'auteure. On ne connaitra que son prénom. Il est le personnage principal mais il ne saurait exister davantage. Il est ouvrier agricole, dans le Cantal, mais il pourrait l'être dans un autre terrain, terreau ou terroir.
En rédigeant son récit de vie, Marie-Hélène Lafon fait de Joseph un héros ordinaire, comme on dit désormais ... Cette lecture emballera ceux qui ont connu ce monde qui s'éteint où le temps fut longtemps suspendu avant de choir lentement mais inexorablement.
Quelle que soit la campagne que l'on ait pu approcher, pour peu qu'on ait connu un grand-père ou une cousine qui "vivait à la ferme" on sera ému de retrouver les rituels de réassurance qui n'ont hélas rien évité, le lexique particulier des campagnes et cette manière de parler comme "faire maison" pour s'établir, se marier.
Joseph observe, et nous regardons le monde à travers lui. Et nous les voyons s'éteindre tous les deux, lui d'abord parce qu'il a dépassé la soixantaine et que c'est un âge qui pèse quand on a comme lui turbiné durement. Et puis aussi ce monde agricole qui est en train d'agonir.
Il lui est arrivé peu de choses mais elles furent dévastatrices, surtout une histoire d'amour qui a mal tourné et qui a failli l'emporter. Joseph a sombré dans l'alcool, banal ... mais le travail l'a sauvé. Il a réussi à tenir la tête hors de la boisson, à rester vivant, et surtout à devenir ou rester un être d'une douceur qui force le respect.
Joseph n'a fait ni famille, ni maison. On pourrait croire qu'il fait corps avec le mobilier. Il parle peu, agit peu, mais à bon escient. Sa vie semble étriquée et pourtant elle craque comme un vieux parquet, sans rompre. Et surtout Joseph résiste, il sait se tenir et c'est ce qui le tient.
Marie-Hélène Lafon a dit de son roman que c'était un road movie immobile, une épopée ordinaire de haute solitude, mais une solitude peuplée par le monde que son personnage a sous sa peau. L'auteure est une archéologue ethnologue d'une précision infinie. Les paysages affleurent sous les mots. Tout ce monde grouille et on ne s'ennuie pas. On est transporté en douceur dans ce pays où les choses étaient réglées comme ça. On referme le livre avec le sentiment d'avoir gagné en tendresse. On se dit que c'est bien de l'avoir écrit, qu'il fallait le faire, que surtout c'était ces mots là qui auraient le pouvoir d'en faire comme un reposoir.
Il faut le lire avant ou après l'Annonce, que j'avais tout autant aimé. J'avais rencontré Marie-Hélène Lafon en 2010 pour la sortie de ce livre. Ce qu'elle avait dit alors demeure d'une actualité aussi forte.
Joseph de Marie-Hélène Lafon chez Buchet Chastel
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