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jeudi 2 octobre 2014

La boite noire, de Marc Baconnet, aux éditions Cohen & Cohen

Le titre du livre résonne avec celui de la collection, heureux hasard qui fait que le contenant s’accorde avec le contenu. Ce n’est pourtant pas d’une grande originalité.

La boite noire fut le titre d’un film, et d’un épisode de Spirou. L’expression désigne aussi l’appareil photographique et les enregistreurs de données, aussi bien pour les avions que dans les bateaux ou les voitures de course. En psychologie la théorisation de la boite noire est utilisée pour désigner l'être conscient qui répond aux stimulations de l'environnement et dont on ne souhaite pas étudier le fonctionnement interne menant à cette réponse.

Toutes ces explications s'appliquent au roman qui commence avec l’ouverture par effraction ... d’une boite de couleur noire contenant des secrets. Il se poursuit comme un thriller psychologique.

Le personnage principal dénonce (p. 25) ce besoin de tout être humain de laisser des traces (compromettantes) qu’il faudrait effacer en soulignant des exemples de ce qu’on retrouve au moment opportun … c’est-à-dire le pire.

Il va justifier sa position (qui consistera à tout révéler) par le souci de ne pas se rendre coupable de non dénonciation à titre posthume. Il promet donc de faire toute la lumière sur un vol de tableau ce qui est un fait authentique :
La nuit du 11 avril 1934, dans la cathédrale Saint-Bavon de Gand, un panneau du célèbre polyptique de Van Eyck l’Adoration de l’Agneau mystique est volé, découpé à la scie. Il représentait Les Juges intègres. On ne le retrouvera pas.
Au mois de février 2012 un éditeur reçoit le texte ici publié. Les révélations qu’il contient, écrites de la main même de Pierre Decroix, ambassadeur de France, quelque temps avant sa mort, contredisent toutes les conclusions des enquêtes conduites jusqu’alors."Je préfère que ce soit en me lisant qu’on apprenne la vérité, plutôt qu’en croyant la découvrir dans les approximations de la presse." Mais quelle terrible vérité dévoile ici Pierre Decroix ?
Le lecteur s’interrogera tout au long du roman sur l’identité et les motivations de celui qui a pu (osé) voler le tableau en question. Egalement sur l’existence de l’Autobus aux masques et du Visage aux papillons attribués par l’auteur à James Ensor et qui tous les deux sont nimbés de non-dit. Si l'affaire des Juges intègres est authentique les deux autres tableaux sont nés dans l'imagination de l'auteur.

C'est un autre tableau, du même Van Eyck qui figure sur la couverture. C'est un choix judicieux. D'une part parce qu'il est magnifique. D'autre part parce qu'il évite une forme de pléonasme et suscite la surprise.

Marc Baconnet, agrégé de Lettres classiques, a été inspecteur général de l’Éducation nationale et a présidé la Scène nationale d’Orléans et du Loiret. Écrivain, il est aujourd’hui président de l’Académie d’Agriculture, Sciences, Belles-Lettres et Arts d’Orléans. Il a publié plusieurs ouvrages chez Gallimard. La boite noire est sa première contribution chez Cohen & Cohen.

L’écriture est précise, très documentée, ce qui est légitime s’agissant d’un fait historique. Mais elle est aussi très alerte, La plupart des chapitres se clôturant sur une sorte de formule. Par exemple (p. 30) : Je venais de rencontrer mon rêve et je n’étais pas heureux ; Ou encore (p.40) Je sais maintenant ce qu’il y a entre l’original et la copie, entre la nuit du vol et aujourd’hui. Autant de distance, et de souffrances, qu’entre la paix et la guerre.

Les débuts de chapitre sonnent eux aussi souvent en écho. Ainsi (p. 171) : La vérité ne se démontre pas. Elle se manifeste d’elle-même.  Et encore, (p.147) : Je voulais oublier à tout prix.

Il serait de bon ton de retrouver l'oeuvre. Console, piano, statues, tous ont leurs secrets et représentent une cachette plausible pour peu qu’ils mesurent les dimensions idéales : 9 sur 50 cm. Le lecteur est baladé, c’est bien le terme qui convient, d’Orléans à Berlin, en passant par Beaugency et Bruxelles, jusqu’à Delft et Prague, avec un détour par le village de Gidainville qui, lui, n'existe pas.

Marc Baconnet connait bien le Loiret, lui qui se déclare être un orléanais "pur sang". Son oncle était curé de Gidy et lui inspira quelques chapitres. Des livres ont été réellement cachés dans le clocher de l'église, même s'ils n'ont jamais eu de lien avec l'affaire des Juges intègres.

C'est le tableau qui est à l'origine du livre. L'auteur l'avait vu à Gand sans se douter qu'un panneau avait été volé. C'est à sa seconde visite qu'il remarqua cet élément et l'idée lui vint aussitôt de tisser une histoire à partir de ce fait.

Son héros, Pierre Decroix, a ce défaut de vouloir tout savoir et tout comprendre (p. 85). Son tempérament justifie que le roman existe et l’on se réjouit que le tableau volé soit longtemps demeuré une écharde d’un vieux bois du XV° siècle plantée dans son corps qui se survit au XXI° siècle (p. 203). Il aime les Juges Intègres à la folie et il appliquera d’une bien curieuse manière le précepte qu’il nous glisse (p. 188) : Aimer un chef d’œuvre c’est se séparer de lui. Pour ne pas le tuer.

A moins que ce ne soit pour faire cesser les investigations puisque, comme il l’écrit p. 203 : Le bonheur est de chercher, pas de trouver. Ou encore p. 128 : Seul est vrai ce qu’on n’a pas dit.

A partir du moment où Marc Baconnet avait commencé à écrire un faisceau d'indices sont venus alimenter son travail. Comme l’incident de Bagdad, rapporté p. 204. Mais il lui fallut plus de 4 ans pour le terminer.

Il distille beaucoup de psychologie dans ce roman qui tente d’explorer la notion de culpabilité, directe, et parfois transmise (sommes-nous coupables des agissements de nos parents ?) à propos d’une histoire que tout le monde connait et que personne ne raconte (p.155). On peut aussi s'interroger sur les attrait d'Erika qui parvient à séduire le père et le fils à vingt ans de distance, et sur le degré de haine entre les deux fils. Pour clore le sujet l'auteur a de jolis accommodements avec la morale : Déplacer n’est pas voler (p. 159). 

"ArtNoir" est la première et la seule collection au monde exclusivement consacrée aux thrillers se déroulant dans le monde de l’art : meurtres de peintres, aventures autour d’un tableau disparu, faussaires assassins, l'éventail des thèmes est large pourvu que l'intrigue ait un rapport avec le microcosme artistique.

Chaque auteur construit son roman librement, avec sa personnalité, ses goûts, son style. La longueur des textes et les époques sont indifférentes. Ce ne sont ni la violence des scènes ni le nombre des meurtres qui guident les choix de l'éditeur; mais plutôt la finesse et l’originalité des scenarii qui permettent au lecteur d’entrer dans le cœur du livre sans être aucunement spécialiste de l’histoire de l’art.

La boite noire, de Marc Baconnet, aux éditions Cohen & Cohen, depuis le 15 mai 2014 en librairie

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