On en a tellement parlé que je ne me suis pas laissée de prime abord emporter par la vague d'enthousiasme. Le sujet, très grave, ne me tentait pas. Et j'ai, comme vous le savez, toujours un nombre de livres à lire plus grand que ce que mes yeux peuvent suivre.
Et puis j'ai rencontré David Foenkinos parler de sa "rencontre" avec Charlotte et j'ai succombé, moi aussi à ce roman qui retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu'elle était enceinte.
Née le 16 avril 1917 à Berlin son enfance est marquée par plusieurs tragédies familiales. Avec la montée du nazisme, Charlotte sera exclue progressivement de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice avec Alfred qui est un poète et le professeur de chant de sa belle-mère, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France où son mariage avec Alexandre sera une parenthèse extrêmement joyeuse.
Exilée, elle entreprend la composition d'une œuvre picturale autobiographique d'une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin, trois grandes valises, 1900 gouaches, en lui disant : "C'est toute ma vie." Elle sera assassinée à Auschwitz en 1943.
David Foenkinos compose une oeuvre magistrale, le portrait en creux d'une femme exceptionnelle, au destin tragique. C'est aussi le récit de son enquête et d'un envoutement puisqu'il confie que, depuis, il ne peut plus écrire sur rien.
Il n'empêche que le livre m'a déroutée. Je crois que je m'attendais à autre chose. A une biographie, certes imaginaire, mais un peu dans l'esprit de celle qu'il avait faite de Lennon, publiée chez Plon en 2010.
Car l'auteur revient à la ligne à chaque fin de phrase. J'ai accepté cette sorte de poème en prose probablement parce que sa manière de parler du sujet au cours d'une discussion du Premier Salon du Livre organisé par Lire c'est Libre dans la mairie du 7ème arrondissement m'avait parue sincère.
Il s'en explique lui-même (page 71) :
"Pendant des années, j’ai pris des notes.
J'ai parcouru son oeuvre sans cesse.
J’ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans.
J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois.
Mais comment ?
Devais-je être présent ?
Devais-je romancer son histoire ?
Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?
Je commençais, j'essayais, puis j'abandonnais.
Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Je me sentais à l'arrêt à chaque point.
Impossible d'avancer.
C'était une sensation physique, une oppression.
J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer.
Alors, j'ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. "
David Foenkinos a obtenu pour ce livre deux prix littéraires. Le Renaudot. Et le Goncourt des Lycéens. Ce dernier est, nous a-t-il dit, le plus important à ses yeux. Il fut une surprise et un grand bonheur;
Revenons à son livre, j'attendais des descriptions, autre chose que des anecdotes, et que le récit de l'auteur qui s'apparente à un pèlerinage et qui s'immisce par à coups à l'intérieur d'une scène alors que nous sommes concrètement près de Charlotte. C'est parfois exaspérant.
Pourtant on ne peut pas dire que ce n'est pas intéressant. J'ignorais par exemple les Stolpersteine, des petites plaques dorées au sol, en hommage aux déportés. Devant l'immeuble où habita la famille Salomon, au 15, Wielandstrasse trois plaques ont été scellées en avril 2012. David y fait allusion page 42. par contre je ne suis pas sûre que son envie de monter dans l'appartement ne soit très utile au lecteur ...
Il mêle le présent et le passé qu'il réinvente dans un présent imaginaire, plausible, romancé, qui fait tourner la tête, expliquant (p. 69) comment il a découvert l'existence de Charlotte, par le plus grand des hasards.
C'est inouï de compter le nombre de personnes qui se sont suicidées dans la famille de Charlotte. Sa mère, dépressive, avait l'obsession de devenir un ange.
Face aux incohérences maternelles, Charlotte est docile.
Elle apprivoise sa mélancolie.
Est-ce ainsi qu'on devient artiste ?
En s'accoutumant à la folie des autres ? (p. 24)
C'est insensé, et pourtant exact, que la plupart des juifs n'ont pas voulu fuir l'Allemagne, comme le père de Charlotte, Albert, qui tenait à rester optimiste en se disant que la haine serait périssable (p. 55), rappelant la phrase de Billy Wilder : les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz.
Charlotte a une chance incroyable de pouvoir intégrer l'Académie, sans doute que sa présence tait une forme de caution. Elle y dessine des natures mortes, des Stilleben, vie silencieuse en allemand. Elle obtiendra le premier prix de peinture (p. 108) mais ce sera Barbara, son amie aryenne qui sera officiellement lauréate.
On apprend peu de choses de sa manière de travailler. Son oeuvre aura été réalisée dans l'urgence. Elle avait à la fin très peu de papier, on la sent dans l'étau de la traque, la peur.
L'aisance des descriptions a posteriori, y compris de scènes qui se sont déroulées dans des lieux où l'auteur n'a pas eu accès est assez vertigineuse. A propos de la relation avec Alfred il écrit : Ils ne sont pas un couple. ils sont des moments d'ailleurs. (p. 110)
Née le 16 avril 1917 à Berlin son enfance est marquée par plusieurs tragédies familiales. Avec la montée du nazisme, Charlotte sera exclue progressivement de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice avec Alfred qui est un poète et le professeur de chant de sa belle-mère, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France où son mariage avec Alexandre sera une parenthèse extrêmement joyeuse.
Exilée, elle entreprend la composition d'une œuvre picturale autobiographique d'une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin, trois grandes valises, 1900 gouaches, en lui disant : "C'est toute ma vie." Elle sera assassinée à Auschwitz en 1943.
David Foenkinos compose une oeuvre magistrale, le portrait en creux d'une femme exceptionnelle, au destin tragique. C'est aussi le récit de son enquête et d'un envoutement puisqu'il confie que, depuis, il ne peut plus écrire sur rien.
Il n'empêche que le livre m'a déroutée. Je crois que je m'attendais à autre chose. A une biographie, certes imaginaire, mais un peu dans l'esprit de celle qu'il avait faite de Lennon, publiée chez Plon en 2010.
Car l'auteur revient à la ligne à chaque fin de phrase. J'ai accepté cette sorte de poème en prose probablement parce que sa manière de parler du sujet au cours d'une discussion du Premier Salon du Livre organisé par Lire c'est Libre dans la mairie du 7ème arrondissement m'avait parue sincère.
Il s'en explique lui-même (page 71) :
"Pendant des années, j’ai pris des notes.
J'ai parcouru son oeuvre sans cesse.
J’ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans.
J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois.
Mais comment ?
Devais-je être présent ?
Devais-je romancer son histoire ?
Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?
Je commençais, j'essayais, puis j'abandonnais.
Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Je me sentais à l'arrêt à chaque point.
Impossible d'avancer.
C'était une sensation physique, une oppression.
J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer.
Alors, j'ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. "
David Foenkinos a obtenu pour ce livre deux prix littéraires. Le Renaudot. Et le Goncourt des Lycéens. Ce dernier est, nous a-t-il dit, le plus important à ses yeux. Il fut une surprise et un grand bonheur;
J'ai entendu beaucoup de compliments, beaucoup de critiques aussi. Ceux qui attendent une "vraie" biographie ne s'y retrouveront pas. Pas davantage que ceux qui auraient voulu une analyse picturale de son oeuvre. C'est à peine si on perçoit l'évocation de Van Gogh et de Chagall (p. 64) comme deux références. On saura juste que sa peinture est "un éclat de couleurs". Ne comptez pas trouver de reproduction.
Néanmoins, avec le succès du livre, la requête Google avec le nom de Charlotte Salomon est devenue riche de références et je peux inclure un diaporama de ses oeuvres dans cet article :
C'est bien le moins qu'on puisse faire après avoir refermé ce livre bouleversant, aller voir concrètement la peinture de cette jeune femme.
Revenons à son livre, j'attendais des descriptions, autre chose que des anecdotes, et que le récit de l'auteur qui s'apparente à un pèlerinage et qui s'immisce par à coups à l'intérieur d'une scène alors que nous sommes concrètement près de Charlotte. C'est parfois exaspérant.
Pourtant on ne peut pas dire que ce n'est pas intéressant. J'ignorais par exemple les Stolpersteine, des petites plaques dorées au sol, en hommage aux déportés. Devant l'immeuble où habita la famille Salomon, au 15, Wielandstrasse trois plaques ont été scellées en avril 2012. David y fait allusion page 42. par contre je ne suis pas sûre que son envie de monter dans l'appartement ne soit très utile au lecteur ...
Il mêle le présent et le passé qu'il réinvente dans un présent imaginaire, plausible, romancé, qui fait tourner la tête, expliquant (p. 69) comment il a découvert l'existence de Charlotte, par le plus grand des hasards.
C'est inouï de compter le nombre de personnes qui se sont suicidées dans la famille de Charlotte. Sa mère, dépressive, avait l'obsession de devenir un ange.
Face aux incohérences maternelles, Charlotte est docile.
Elle apprivoise sa mélancolie.
Est-ce ainsi qu'on devient artiste ?
En s'accoutumant à la folie des autres ? (p. 24)
C'est insensé, et pourtant exact, que la plupart des juifs n'ont pas voulu fuir l'Allemagne, comme le père de Charlotte, Albert, qui tenait à rester optimiste en se disant que la haine serait périssable (p. 55), rappelant la phrase de Billy Wilder : les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz.
Charlotte a une chance incroyable de pouvoir intégrer l'Académie, sans doute que sa présence tait une forme de caution. Elle y dessine des natures mortes, des Stilleben, vie silencieuse en allemand. Elle obtiendra le premier prix de peinture (p. 108) mais ce sera Barbara, son amie aryenne qui sera officiellement lauréate.
On apprend peu de choses de sa manière de travailler. Son oeuvre aura été réalisée dans l'urgence. Elle avait à la fin très peu de papier, on la sent dans l'étau de la traque, la peur.
L'aisance des descriptions a posteriori, y compris de scènes qui se sont déroulées dans des lieux où l'auteur n'a pas eu accès est assez vertigineuse. A propos de la relation avec Alfred il écrit : Ils ne sont pas un couple. ils sont des moments d'ailleurs. (p. 110)
Tout semble vrai même si ce n'est pas Charlotte qui s'exprime dans le livre. David Foenkinos excelle dans l'art de la biographie comme si "on y était".
On sent David Foenkinos littéralement habité par cette histoire. Il est allé plusieurs fois à Villefranche-sur-mer où elle a habité et il y retournera tout l'été prochain. Il nous a parlé avec enthousiasme de la plaque qui va être apposée, de l'exposition qui sera organisée et qui va la faire revivre. Il va bientôt rencontrer la fille du milicien qui l'a dénoncée et qui a été bouleversée par le livre.
On sent David Foenkinos littéralement habité par cette histoire. Il est allé plusieurs fois à Villefranche-sur-mer où elle a habité et il y retournera tout l'été prochain. Il nous a parlé avec enthousiasme de la plaque qui va être apposée, de l'exposition qui sera organisée et qui va la faire revivre. Il va bientôt rencontrer la fille du milicien qui l'a dénoncée et qui a été bouleversée par le livre.
Quelqu'un lui a dit qu'il était une réincarnation d'Alfred. Cette idée semble lui convenir et il va jusqu'à dire qu'il se sent amoureux de Charlotte. Ajoutant (p. 139) : je voudrais connaitre tous ceux qui aiment Charlotte. Il n'emploie pas le passé mais le présent. On comprend que ses propos dérangent ...
Charlotte de David Foenkinos, chez Gallimard, août 2014
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