Les comédiens sont tous sur scène, assis ou faisant mine de bavarder alors que le public s'installe. Le décor de Platonov évoque le hall d'un hôtel avec quelques plateaux de jeux, des chaises dépareillées et des banquettes.
Le sol semble recouvert de peaux de bêtes, ou d'une sorte de carte géographique déployée un peu à la manière d'une anamorphose, cette illusion d'optique dont parle Dürer comme d'un "art de la perspective secrète" et je me dis que peut-être plus tard un miroir révélera cette image.
Cinq grandes cordes ( heureusement que je ne dis pas à voix haute ce mot tabou dans les théâtres) pendent et divisent le fond du plateau. Elles auront leur utilité au second acte en dressant une forêt giboyeuse.
Quelques lampes, deux guitares, deux hérons naturalisés, un vélo d'appartement ... un jeu de croquet, de boules, un panier de pêche et d'autres objets complètent le joyeux capharnaüm d'une de ces maisons de famille où l'on aime se retrouver le temps d'un été pour oublier ... Oublier quoi ? Mais les soucis, faire un pied de nez au temps qui passe, s'amuser un peu.
Nous sommes au coeur d'un domaine en faillite, celui d'Anna Petrovna Voïnitseva, la jeune veuve en robe rouge d'un général, que des financiers guettent comme des chasseurs à l'affut.
Emmanuelle Devos a rejoint le Collectif des Possédés pour incarner cette femme. Son tempérament colle parfaitement à la complexité des héroïnes tchékhoviennes. Hôtesse de bonne volonté dans la première partie, elle se révèle à mesure que la dramaturgie progresse, un peu à l'instar de cette femme qui ne supportait plus le carcan de La vie domestique.
Dix ans après la création d'Oncle Vania, le Collectif des Possédés revient à cet auteur russe comme on rentre à la maison. La note d'intention de Rodolphe Dana souligne que Tchekov écrit toutes les formes grandioses et ridicules du désir. Il nous promet amour et humour ... La pièce sera à la fois comique, tragique, sentimentale.
Anna est accablée de dettes et le domaine risque d'être vendu. Toute la communauté qui gravite autour d'elle cherche à donner l'impression que tout va bien mais on sent combien chacun est pris à la gorge par un climat d'insécurité provoquant une crise existentielle.
"On s'ennuie doucement". Cet état est au coeur de la pièce. Chaque personnage lance le mot comme une patate chaude : Vous baillez. Je vous fatigue ? (...) Je m'ennuie. Je m'ennuie.
Comme souvent alors on cherche le divertissement, on boit, on fait éclater un feu d'artifices (très belle idée que d'éclater des ballons dans la piscine, l'illusion est parfaite). On danse, on chante. Les changements de décor s'effectuent à vue, entre les actes sont ponctués d'intermèdes musicaux à bon escient.
On quémande un bisou, un baise-main. Et surtout on se jette à corps perdu à la tête du premier venu.
Ce sera l'instituteur, le "petit Platon" de la bande, qui arrive tel un enfant prodigue et qui va se trouver comme pris en otage. J'entendais une spectatrice s'interroger : Qu'est-ce qu'elles lui trouvent ? Il n'est même pas beau gosse. Certes (pardon Rodolphe).
Mais c'est ça que je trouve fort, précisément. L'acteur ne "joue" pas avec son charme. Il est simplement vivant. Mikhaïl Vassilievitch Platonov exsude des phéromones et les femelles s'accrochent à lui comme des insectes. Comme le dit le proverbe : Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse.
On ne sait jamais s'il s'amuse avec les femmes pour tromper le temps, s'il se lasse d'Amexandra Ivanovna dite "Sacha", son épouse, ou s'il est le jouet de toutes celles qui sont folles de lui, Marie Efimovna Grekova, étudiante en chimie, Sofia Egorovna Voïnitsev, comme Anna Petrovna. Il y a de quoi être dépassé par les événements. "Je suis en train de me perdre", dit-il, torturé par ses désirs contradictoires. Grékova résume la situation en jugeant Platonov comme étant "soit un être extraordinaire soit un vaurien sans scrupule".
Le piège fonctionne. La veuve noire à dos rouge pratique le cannibalisme sexuel. Le mâle meurt après l'accouplement. Cela se passe un peu différemment sur le plateau mais le résultat est le même. Platonov mourra de n'avoir pas réussi à satisfaire toutes celles qui se sont amourachées de lui. Elles sont nombreuses, y compris la générale avide de brûler sa jeunesse avant de vieillir dans ce trou perdu. Le rôle va comme un peignoir à Emmanuelle Devos qui se fond dans le décor trompe l'oeil au cours d'une séquence très drôle avant de revenir en nuisette en séductrice de charme.
A l'inverse du décor, les costumes sont d'une certaine manière banalement contemporains. Ce choix donne une puissance supplémentaire à la pièce qui, du coup, s'approche de l'universel. Aujourd'hui aussi, ici, on doute aussi de notre avenir et de nos désirs. Nous savons ce que c'est que redouter le mondialisme et la férocité des banquiers ... On se dit alors que Platonov pourrait être n'importe lequel d'entre nous, emporté par l'espoir d'être le sauveur de l'autre au travers d'une histoire d'amour.
L'illusion pourrait peut-être durer le temps d'un été. Erreur de jugement puisqu'il ne s'agit pas de s'aimer un moment mais pour la vie.
Le sol semble recouvert de peaux de bêtes, ou d'une sorte de carte géographique déployée un peu à la manière d'une anamorphose, cette illusion d'optique dont parle Dürer comme d'un "art de la perspective secrète" et je me dis que peut-être plus tard un miroir révélera cette image.
Cinq grandes cordes ( heureusement que je ne dis pas à voix haute ce mot tabou dans les théâtres) pendent et divisent le fond du plateau. Elles auront leur utilité au second acte en dressant une forêt giboyeuse.
Quelques lampes, deux guitares, deux hérons naturalisés, un vélo d'appartement ... un jeu de croquet, de boules, un panier de pêche et d'autres objets complètent le joyeux capharnaüm d'une de ces maisons de famille où l'on aime se retrouver le temps d'un été pour oublier ... Oublier quoi ? Mais les soucis, faire un pied de nez au temps qui passe, s'amuser un peu.
Nous sommes au coeur d'un domaine en faillite, celui d'Anna Petrovna Voïnitseva, la jeune veuve en robe rouge d'un général, que des financiers guettent comme des chasseurs à l'affut.
Emmanuelle Devos a rejoint le Collectif des Possédés pour incarner cette femme. Son tempérament colle parfaitement à la complexité des héroïnes tchékhoviennes. Hôtesse de bonne volonté dans la première partie, elle se révèle à mesure que la dramaturgie progresse, un peu à l'instar de cette femme qui ne supportait plus le carcan de La vie domestique.
Dix ans après la création d'Oncle Vania, le Collectif des Possédés revient à cet auteur russe comme on rentre à la maison. La note d'intention de Rodolphe Dana souligne que Tchekov écrit toutes les formes grandioses et ridicules du désir. Il nous promet amour et humour ... La pièce sera à la fois comique, tragique, sentimentale.
Anna est accablée de dettes et le domaine risque d'être vendu. Toute la communauté qui gravite autour d'elle cherche à donner l'impression que tout va bien mais on sent combien chacun est pris à la gorge par un climat d'insécurité provoquant une crise existentielle.
"On s'ennuie doucement". Cet état est au coeur de la pièce. Chaque personnage lance le mot comme une patate chaude : Vous baillez. Je vous fatigue ? (...) Je m'ennuie. Je m'ennuie.
Comme souvent alors on cherche le divertissement, on boit, on fait éclater un feu d'artifices (très belle idée que d'éclater des ballons dans la piscine, l'illusion est parfaite). On danse, on chante. Les changements de décor s'effectuent à vue, entre les actes sont ponctués d'intermèdes musicaux à bon escient.
On quémande un bisou, un baise-main. Et surtout on se jette à corps perdu à la tête du premier venu.
Ce sera l'instituteur, le "petit Platon" de la bande, qui arrive tel un enfant prodigue et qui va se trouver comme pris en otage. J'entendais une spectatrice s'interroger : Qu'est-ce qu'elles lui trouvent ? Il n'est même pas beau gosse. Certes (pardon Rodolphe).
Mais c'est ça que je trouve fort, précisément. L'acteur ne "joue" pas avec son charme. Il est simplement vivant. Mikhaïl Vassilievitch Platonov exsude des phéromones et les femelles s'accrochent à lui comme des insectes. Comme le dit le proverbe : Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse.
On ne sait jamais s'il s'amuse avec les femmes pour tromper le temps, s'il se lasse d'Amexandra Ivanovna dite "Sacha", son épouse, ou s'il est le jouet de toutes celles qui sont folles de lui, Marie Efimovna Grekova, étudiante en chimie, Sofia Egorovna Voïnitsev, comme Anna Petrovna. Il y a de quoi être dépassé par les événements. "Je suis en train de me perdre", dit-il, torturé par ses désirs contradictoires. Grékova résume la situation en jugeant Platonov comme étant "soit un être extraordinaire soit un vaurien sans scrupule".
Le piège fonctionne. La veuve noire à dos rouge pratique le cannibalisme sexuel. Le mâle meurt après l'accouplement. Cela se passe un peu différemment sur le plateau mais le résultat est le même. Platonov mourra de n'avoir pas réussi à satisfaire toutes celles qui se sont amourachées de lui. Elles sont nombreuses, y compris la générale avide de brûler sa jeunesse avant de vieillir dans ce trou perdu. Le rôle va comme un peignoir à Emmanuelle Devos qui se fond dans le décor trompe l'oeil au cours d'une séquence très drôle avant de revenir en nuisette en séductrice de charme.
A l'inverse du décor, les costumes sont d'une certaine manière banalement contemporains. Ce choix donne une puissance supplémentaire à la pièce qui, du coup, s'approche de l'universel. Aujourd'hui aussi, ici, on doute aussi de notre avenir et de nos désirs. Nous savons ce que c'est que redouter le mondialisme et la férocité des banquiers ... On se dit alors que Platonov pourrait être n'importe lequel d'entre nous, emporté par l'espoir d'être le sauveur de l'autre au travers d'une histoire d'amour.
L'illusion pourrait peut-être durer le temps d'un été. Erreur de jugement puisqu'il ne s'agit pas de s'aimer un moment mais pour la vie.
Ce sont Rodolphe Dana et Katja Hunsinger qui signent l'adaptation qu'ils ont réalisée au plus près de la traduction d'André Markowicz et de Françoise Morvan. Le texte original avait été écrit sur 11 cahiers par un Tchekov bouillonnant de 18 ans. Avec 40 personnages et d'une durée de 10 heures, la pièce ne fut jamais montée de son vivant. Retrouvée en 1920 à Moscou elle ne fait plus que 6 heures, avec autant de personnages. Il faudra encore couper ...
Elle est sans cesse revisitée. La version des Possédés est troublante, faisant affleurer une fin de monde que l'on peut transposer à notre époque. Méfions nous de nous jeter à la tête d'un autre Platonov providentiel qui n'aurait rien demandé.
Ecoutons les mots de Tchekov : Tout le monde a des passions et personne n'a de force. Cessons de nous torturer.
Parce que sinon, bientôt, nous serons dans la même interrogation que cette communauté après le drame : "Que faire? Enterrer les morts et réparer les vivants".
Cette phrase qui clôture la pièce résonne autrement depuis le dernier roman de Maylis de Kerangal, précisément intituler "Réparer les vivants". Mais ceci est une autre histoire.
Platonov, Création dirigée par Rodolphe Dana
Traduction André Markowicz et Françoise Morvan
Adaptation Rodolphe Dana et Katja Hunsinger
Avec Yves Arnault, Julien Chavrial, David Clavel, Rodolphe Dana, Emmanuelle Devos, Françoise Gazio, Antoine Kahan, Katja Hunsinger, Émilie Lafarge, Nadir Legrand, Christophe Paou et Marie-Hélène Roig
Scénographie Katrijn Baeten et Saskia Louwaard
Assistanat à la mise en scène Inès Cassigneul
Lumières Valérie Sigward
Costumes Sara Bartesaghi Gallo
Jusqu'au 8 mars à La Piscine de Chatenay-Malabry (92) puis en tournée (Colombes, Gap, Marseille, Toulouse, Brest, Dunkerque, Lille, Angers, Tours etc.)
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