Les Parapluies de Cherbourg reviennent au cinéma, 50 ans plus tard et comme neufs grâce à la ténacité d'une des dernières sociétés de production indépendantes, Cine Tamaris, fondée en 1954, aidée par de nombreuses aides publiques et privées (mention particulière au dynamisme de Kiss Kiss Bank Bank). Agnès et Rosalie Varda, et Mathieu Demy ont fait un travail colossal pour que vous puissiez plonger ou vous replonger dans les années soixante à partir du 19 juin puisque ce chef d'oeuvre ressort sur le grand écran, totalement remasterisé.
Une restauration zéro défaut :
C'est le fruit d'un énorme travail entrepris à partir du 35 millimètres argentique d'origine. L'étalonnage a été soigné. Les couleurs ont été corrigées image par image. Et bien entendu tous les défauts de la pellicule ont été soigneusement gommés. La dernière se déroule dans une tempête de neige. Ce n'est pas un logiciel qui aurait pu discerner un flocon d'un défaut sur la pellicule. Seul l'oeil humain en fut capable. Comme pour les confettis de la scène de carnaval.
Le son a été modernisé en élargissant le mixage mono associé avec un enregistrement de la musique seule destinée à un vinyle.
Les Parapluies de Cherbourg peuvent désormais être projetés dans toutes les salles car vous l'ignorez peut-être mais les copies en 35 millimètres ne peuvent plus enter dans les cabines. La copie numérique DCP a presque partout remplacé les bobines.
Le film est remarquable à bien des égards. C'est le premier film français en couleur entièrement chanté. Il réussit la prouesse de faire "rire, pleurer, danser, aimer", qualités toutes essentielles aux yeux de Jacques Demy qui lui valurent le Prix Louis-Delluc et la Palme d'or à Cannes.
Un film qui fait revivre les années soixante :
C'est désormais un film d'époque, qui montre les années soixante absolument telles qu'elles étaient puisqu'il a été tourné en 1963. Les coiffures signées Carita, nous rappellent comment les visages féminins étaient dégagés alors qu'elles avaient toutes les cheveux longs. Catherine Deneuve porte un ruban de couleur assortie à sa tenue dans chacun des plans.
Les jeunes générations sauront-elles y repérer les traits caractéristiques de ces années là ? Les femmes réchauffaient leurs épaules avec un châle en pointe pour se réchauffer dans des pièces dépourvues de chauffage central. Un fichu couvrait parfois leurs cheveux. Elles demandaient à leur couturière de réaliser des tailleurs copiés sur Chanel pour aller au théâtre voir Carmen. Dans la vie de tous les jours les hommes s'habillaient de pulls tricoté main et les filles d'une robe en vichy. En toutes saisons on se protégeait avec un Burburry.
Les filles portaient leur médaille de baptême autour du cou et les mères arboraient un collier de perles trois rangs. Les filles esquissaient parfois une petite révérence pour marquer le respect. On allait au dancing et le mambo était (déjà) la danse à la mode. André s'affichait comme le "chausseur sachant chausser". Les enseignes des piles Wonder rivalisaient avec les réverbères.
Les garçons portaient déjà le jean, dans une coupe à taille haute qui soulignait leur corps. On avait (encore) le droit de fumer dans les lieux publics comme devant les caméras. Dans le Cherbourg d'après-guerre (la Seconde Guerre mondiale) les marins se baladaient en costume. Les ouvriers allaient travailler à bicyclette. On n'avait pas vraiment besoin d'amarrer son vélo avec un antivol pour le retrouver. Et les ceintures de sécurité n'équipaient pas les automobiles.
Les cuisines n'offraient pas le confort actuel. On préparait les repas "sur le gaz" mais les couverts étaient en argent et les verres en cristal. Je me souviens que le premier cadeau que reçu ma grand-mère de sa belle famille fut une ménagerie, nom par lequel on désignait les douzaines de fourchettes, grandes et petites cuillères, accompagnées d'une louche pour servir le potage.
Le lait était vendu en bouteilles de verre. On dépoussiérait les bibelots avec un plumeau (vous en verrez un specimen accroché sur le mur de la salle à manger ... l'objet serait incongru dans un décor 2000). Le compteur électrique n'était pas caché dans un placard mais proéminent, en bakélite noire. Et bien entendu ... point de conversation au téléphone ni de SMS à longueur de journée.
Les amoureux, quand ils étaient séparés, en l'occurrence ici par la guerre d'Algérie, devaient patienter dans l'attente d'une lettre. Les passions résistaient mal au temps. L'absence était à l'amour ce que le vent est au feu : il éteint les petits et attise les grands.
Le facteur peut sembler caricatural et pourtant il était bien ainsi, avec sa capeline et son képi. Il fallait s'acquitter d'un ticket de quai pour accompagner son amoureux. Les trains quittaient la gare dans un nuage de vapeur. Et, pour marquer le deuil, on accrochait un morceau de crêpe noir au revers de sa veste.
On pouvait aller faire le plein d'essence en tenue de soirée sans risquer de se tacher les mains : un pompiste faisait le plein à votre place. Je ne dirai pas que c'était le bon temps. C'était différent, voilà tout.
Des décors arty :
Les décors éclatent de couleurs. Il ne fait aucun doute que le fauvisme a inspiré le réalisateur, si bien qu'il a beau pleuvoir, on passe une heure trente en pleine lumière, ébloui par une abondance de roses tyriens, des rouges vermillon, des turquoises lumineux.
Le réalisateur a demandé à son décorateur Bernard Evein de redessiner les papiers peints des murs de la maison de sa grand-mère dans une tonalité très pop'art. Vous remarquerez un fond bleu vif avec de grosses oranges. Un autre aux fleurs roses sur des rayures bleues, le tout parfaitement assorti à une robe portée par Catherine Deneuve dans un mimétisme étonnant.
Le magasin de parapluies, à l'époque une quincaillerie, se situe rue du Port. La station service aujourd'hui abandonnée était quai Alexandre-III. Et sur ce même quai se trouve l'ancienne Banque de France qui abrite aujourd'hui une manufacture, créée plus vingt ans après le film, pour y fabriquer ... des parapluies.
Un scénario qui conjugue la gravité du thème à une légèreté de ton :
Le générique est un petit bijou, filmé comme un ballet à travers des trombes d'eau, avec une caméra qui offre une vision très spectaculaire sur les pavés ruisselants de Cherbourg. La musique fait partie intégrante de l'écriture cinématographique. La collaboration a été exemplaire entre Jacques Demy et Michel Legrand et leurs familles sont devenues amies pour la vie.
L'action commence en novembre 1957 dans le garage où travaille Guy, le "boy-friend" secret de Geneviève. Le premier titre du projet était L'Infidélité ou les parapluies de Cherbourg La chanson centrale avec la promesse je ne pourrais jamais vivre sans toi ... marque un tournant décisif.
C'est une histoire d'amour brisée, poétique et cruelle, le récit de la trahison à une promesse, entre une toute jeune femme, Geneviève, et son amoureux, Guy, mobilisé par la guerre d'Algérie. Anne Vernon campe une maman plutôt compréhensive à l'annonce de la grossesse de sa fille. Mais son oeil aguerri repérera le beau gibier, en la personne d'un diamantaire pour lequel elle jouera l'entremetteuse, pour le bien de sa fille croit-elle. Guy trouvera consolation auprès d'une amoureuse transie jusque là. On pourrait dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ... possible.
Les acteurs chantent sans doublage et ce n'est pas le moindre des intérêts. On ne regrette pas que Sylvie Vartan et Johnny Hallyday aient refusé de prêter leurs voix.
Ce qui demeure universel c'est la difficulté des relations humaines. Et puis la pluie qui ce soir encore inondait Paris. Ne soyons pas nostalgiques mais tout de même il est plus facile de supporter la grisaille sous ces parapluies éclatant de couleur.
Le film a fait le tour de monde à sa sortie. Il est prêt pour un nouveau périple.
En complément, une exposition à la Cinémathèque française sur le monde enchanté de Jacques Demy jusqu'au 4 août 2013.
La préservation des chefs d'oeuvre du patrimoine se poursuivra avec la ressortie de la Baie des Anges le 31 juillet 2013 et d'Une chambre en ville en octobre prochain.
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