Je vous ai parlé des fromages AOC de Normandie, à savoir Pont l'Evêque, Livarot, Coeur de Bray et Camembert du Pays d'Auge dans ce billet avec la visite de la fromagerie Graindorge.
Aujourd'hui et dans les prochains jours le projecteur sera braqué sur quelques boissons emblématiques de la Normandie, à commencer par le calvados qui porte le nom du département de production. La naissance de cette eau de vie de cidre, qui ne s'appelait pas encore Calvados, est très lointaine, le premier écrit officiel remonte au XVIème siècle.
De nombreuses maisons distillent leur alcool. J'en ai choisi trois, le Père Magloire, installé à Pont l'Evêque, Boulard à Coquainvilliers, qui sont en quelque sorte complémentaires et puis un petit producteur.
Père Magloire possède en effet un des chais les plus beaux et des stocks en vieillissement parmi les plus complets de tous les producteurs de Calvados. Cette visite se complètera avec celle de la distillerie Boulard car on n'y montre pas les mêmes étapes de la fabrication du calvados.
Pour le premier on peut, avant ou après la visite, gouter des spécialités régionales juste en face, dans un restaurant qui a conçu sa salle en recyclant les tonneaux ... précisément du Père Magloire.
A tout seigneur tout honneur, même s'il conviendrait de parler de reine, et d'employer le pluriel. C'est la pomme qui est essentielle dans la subtilité de cet alcool. Rien de plus normal donc de trouver des pommiers dans la cour de l'entreprise.
Le Père Magloire est une maison toute empreinte de tradition et du prestige du noble terroir normand.
La visite commence par une annexe renfermant le Musée du Calvados et des Métiers Anciens. Créé en 1983, il regroupe une collection de 450 objets dont les plus anciens datent du 18ème siècle. On peut y voir des objets encore familiers au milieu du XX° siècle comme les fers à repasser qui stationnaient en quasi permanence sur la fonte de la cuisinière (modèles du bas de la photo) ou encore plus anciens, avec leur réservoir à braises (juste au-dessus).
Des moules à beurre.
D'autres outils spécifiques des travaux agricoles comme ce peigne à carder à coté d'un rouet. De quoi surprendre les jeunes écoliers qui les associent à l'univers des contes de fées ... comme s'il n'y avait que la Belle au bois dormant qui fut capable de filer la laine. Ma grand-mère y consacrait une grande partie de ses soirées l'hiver.
On peut voir les outils intacts du bûcheron, du tonnelier (comme des bouchons de liège), du bourrelier, du sabotier, du vannier, et une quantité d'instruments utilisés à la ferme et des objets en cuivre ou en étain fabriqués en Normandie.
La dernière partie du musée est consacrée à un superbe moulin à pommes et son pressoir datant tous deux du 18ème siècle. On remarque nettement les toiles à marc caractéristiques des pressoirs de l'ancien temps.
Il parait que ce musée doit être bientôt rénové mais dans son état actuel il est déjà fort intéressant.
En sortant on remarque quelques antiquités. Mais avant de pénétrer dans les chais, nous sommes invités à suivre les étapes de la fabrication du calvados au travers d'un film très bien conçu mettant en valeur le travail de Michel Poulain, maitre de chais, qui se dit garant de la poursuite de la tradition, depuis presque deux siècles (1821 est l'année de naissance de la Société) pour élaborer les Calvados les plus délicats comme en témoignent les nombreuses médailles obtenues au Concours Général Agricole de Paris et à l’international.
L'homme quitte sa cheminée et les murs à colombage de sa propriété pour se rendre dans les vergers juger des futures récoltes. Il est surprenant (mais logique) de le voir s'intéresser aux jeunes pommiers à cidre qui ne fourniront leur récolte que dans une dizaine d'années.
La taille est une étape cruciale. Il s'agit que la lumière pénètre sur les branches pour faire mûrir tous les fruits, sans distinction. Les arbres ont une silhouette caractéristique avec un tronc prédominant et une structure à étages.
Les vergers sont installés sur des coteaux exposés au sud, sur des sols d'argile à silex peu profonds, donnant des fruits très riches en sucre et en arômes parce que les racines sont en contact direct avec le substrat.
On imagine la beauté des champs, avec l'explosion des fleurs roses au mois d'avril, un moment que Michel Poulain qualifie d'euphorique quand un petit vent pollinisateur vient aider le travail des abeilles.
La récolte est impressionnante puisque les arbres sont secoués (qu'on se rassure, l'enracinement est solide), ce qui fait tomber le premier tiers des pommes arrivées à maturité. On ne peut pas se fier à sa couleur pour reconnaitre un fruit parvenu à maturité, pas plus qu'à son volume. la seule solution consiste à la couper en deux et à scruter la couleur de ses pépins qui doivent alors être noirs.
La récolte est automatisée. Suit la période de brassage, du 15 septembre au 15 décembre. Pour Père Magloire le volume représente 10 000 tonnes, dans un rayon de 15 km autour de la cidrerie. les fruits sont repris par ce qu'on appelle "le canal d'eau" avant que deux pressoirs hydrauliques en extraient le jus à la vitesse de 10 tonnes à l'heure.
On soutirera les cidres à la fin de la fermentation pour en retirer la lie. La distillation ne s'effectuera qu'en janvier. Je reviendrai sur le processus de double distillation qui est pratiqué en Pays d'Auge au moment de la visite de la maison Boulard.
Cette étape n'est pas visible chez Père Magloire dont la distillerie est située près de Livarot, où des pommes récoltées chez des centaines d'agriculteurs du pays d'Auge fermentent pendant 4 à 6 semaines, jusqu'à donner un cidre de 6 à 7°. Puis il est distillé, et stocké à Pont-l'Évêque dans de grandes citernes avant d'être mis dans les fûts en bois de chêne que nous allons découvrir.
Le film est nostalgique à souhait et ne correspond plus tout à fait à la réalité. On peut le regretter mais c'est un fait. il devrait être prochainement refait, notamment pour mettre en avant la personnalité du nouveau maitre de chai, Jean-Luc Fossey.
La marque a emprunté le patronyme d'un aubergiste qui a vraiment existé. L'emblème a évolué depuis 1821 avec les années tout en conservant le costume traditionnel. Ce fut la première marque de calvados a avoir été déposée en France en 1925.
Après le film nous allons donc rentrer dans le bâtiment où les barriques sont impressionnantes, par leur nombre et leur volume, 3500 futs de 400 litres pour chacun des chais. Elles sont en chêne, dans un bois abattu il y a cent ans et qui a subi un séchage de 3 ans à l'air libre pour que les tannins trop amers ou trop agressifs aient eu le loisir de s'échapper.
Quoi de plus naturel que d'avoir consacré un espace expliquant la fabrication de ces objets. A commencer par le boussinage qui est la manière de chauffer l'intérieur de la barrique pour la cintrer et amener du même coup le coté fumé à la boisson.
C'est par l'échange continuel entre l'eau-de-vie, le bois et l'air des chais que les Calvados s'enrichissent des matières tanniques du chêne. L'arôme du Calvados va s'exalter, sa coloration s'accentuer, passant du doré à un ambré de plus en plus profond.
Les traces que l'on remarque sur les tonneaux sont des marques de tannin. Il y a une certaine flaveur d'alcool perceptible dans l'atmosphère, probablement due à ce qu'on appelle la part des anges et qui correspond à une évaporation de 2%.
L'aspect distillerie, essentiel évidemment, n'est évoqué qu'oralement par la guide et par quelques photos. Avec celle des alambics pour la double distillation et celle de l'alambic à colonnes qui lui, donnera des calvados plus vifs et plus fruités. D'où l'intérêt d'aller ensuite chez un autre producteur pour voir une installation en taille réelle.
Le Calvados a obtenu son appellation d'origine en 1942. Il existe trois appellations différentes qui sont cartographiées devant le pressoir, correspondant aux aires géographiques de production strictement délimitées par l'Institut National des Appellations d'Origine (I.N.A.O.). :
· le "Calvados"
· le "Calvados Pays d'Auge"
· le "Calvados Domfrontais"
C'est à l'intérieur de chacune de ces aires que doit être effectué l'ensemble des opérations aboutissant à la production des eaux-de-vie : récolte des pommes, élaboration puis distillation des cidres. Chacune des appellations possède ses caractéristiques propres, dues à la fois au terroir et à la méthode de distillation.
L'année de référence figure sur l'ardoise. Ce sont les deux derniers chiffres. le volume total est exprimé en hectolitres. Enfin le pourcentage est en réalité le degré d'alcool. S'il sort de l'alambic à 70° il ne peut pas être commercialisé ai dessus de 40°. Il faudrait 60 ans pour atteindre naturellement une telle mesure. On va donc ajouter une petite quantité d'eau osmosée bio peu après la distillation.
Reconnaissables à leurs bandes rouges, voici les foudres, qui ont une capacité de plusieurs futs, et qui sont les derniers tonneaux à accueillir le calvados avant l'embouteillage.
Le maitre de chai déguste régulièrement, chaque matin à 11 heures, afin de vérifier les évolutions pour obtenir un produit final d'une grande qualité, respectueux de ses origines. C'est un mystère de comprendre comment il parvient à connaitre chaque fut quand on se souvient qu'il y en a 3500. C'est ce qui s'appelle avoir du palais.
C'est lui qui assemble les Calvados d'âges et de terroirs différents, souvent 20 à 25 différents, maintenir une constance de goût, un peu comme un fleuriste composerait un bouquet avec des fleurs de variétés différentes. Il est donc logique que son bureau soit reconstitué ici.
Une vitrine très pédagogique met en lumière les étapes successives de vieillissement du calvados, depuis la sortie de l'alambic où l'alcool est désigné sous le terme de "petite eau", qui se dit d'ailleurs "vodka" en russe. Il est alors d'une transparence absolue. ans plus tard c'est la fine, puis le VSOP. Le XO montre une belle couleur ambrée mais c'est bien entendu plus vieux qui est le plus ambré.
Vient ensuite la dégustation rituelle, pour découvrir la richesse du Calvados Pays d'Auge, dans une salle aux allures de micro-musée où divers objets resituent l'histoire de la marque, fondée en 1821, et qui produit du Calvados et du Cidre dont la réputation dépasse les frontières. Car si 40% des 1, 5 millions de litre annuels sont consommés en France le reste part à l'exportation, avec une présence de plus en plus importante en Scandinavie, à Hong Kong et en Australie.
Les Calvados sont des assemblages et légalement l'âge mentionné sur la bouteille de Calvados est celui de la plus jeune eau-de-vie de l'assemblage. Ainsi un Calvados "20 ans d'âge" peut aussi contenir des eaux-de-vie de 30 ans ou plus.
Quant aux Millésimes ils garantissent l'année de la récolte mais pas la durée de vieillissement, sauf mention spéciale. Enfin il faut savoir que la mise en bouteille arrête le vieillissement.
La gamme est large et impossible à gouter dans son intégralité, même s'il y a des produits étonnants comme l'appellation Domfrontais qui n'a que 3 ans d'âge et qui est composé pour partie de cidre de poire.
Nous avons commencé par comparer trois verres, tous issus de la double distillation. Effectuée en deux chauffes successives en alambic à repasse, la double distillation des cidres favorise l’extraction des esters aromatiques les plus légers et produit des eaux-de-vie aux notes florales et aux arômes délicats. Nous avons démarré avec le V.S.O.P (Very Superior Old Pale) qui a reçu beaucoup de distinctions.
Vieilli en fûts de chêne au moins 4 ans, ce Calvados Pays d’Auge au goût typique se caractérise par la finesse et la subtilité de ses arômes. Sa couleur est déjà d'un beau brun. Les arômes de fleurs de pommiers sont très présents. C'est celui qui est le plus fort en bouche. C'est lui que l'on choisira pour constituer la base d'un cocktail ou pour cuisiner.
Le X.O. qui peut aussi s'appeler "Extra" - "Napoléon" - "Hors d'âge" - "Très Vieille Réserve" - "Très Vieux" garantit un vieillissement sous bois de chêne de 6 ans minimum. Chez Père Magloire il est de 9 ans. Lui aussi très médaillé il affiche une robe ambrée, tirant sur le rubis. Plus fruité et déjà boisé, avec une impressionnante longueur en bouche.
Avec le 20 ans, notre palais connait "le grand écart". Ce calvados exprime une rondeur très appréciable où cette fois les pommes confites, l'amande grillée, l'écorce de chêne et le boisé l'emportent. Il est plus adapté à une consommation comme digestif.
Le 15 ans ne connait pas la même fabrication et on dit qu'il s'adresse particulièrement aux amateurs de whisky. Certaines maisons, comme Lecompte à Notre-Dame-de-Courson, le font vieillir en futs ayant contenu auparavant du porto.
Pour terminer, un calvados extra, l'Isadora dans son élégante carafe qui recèlerait une composition délicate et légère, racée et féminine dominée par des notes florales. Cette évocation de la danseuse Isadora Duncan nous rapproche de l'époque où la chanteuse et actrice française du Casino de Paris, Mistinguett, fut l'égérie de la marque au siècle dernier.
C'est désormais Jean-Pierre Marielle qui exprime sa préférence.
Calvados Père Magloire - Route de Trouville - BP 505 14 130 Pont L'êvêque
02 31 64 12 87
Compter une heure de visite, incluant le Musée du Calvados et des Métiers Anciens, la projection audiovisuelle, la visite des chais et la dégustation.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
La région a créé le label Gourmandie qui fête cette année le 26 septembre son dixième anniversaire. Ses boissons seront à la place d'honneur à coté de ses fromages.
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