Après Bartabas et Jean-François Piège je me suis plongée dans un nouvel opus de la collection Manifeste que les Editions Autrement ont très intelligemment conçue.
Le principe consiste à laisser carte blanche à une personnalité sur un thème qui lui correspond et à l'autoriser à donner ensuite la parole à un petit groupe de ses amis, plus ou moins connus du grand public qui, chacun leur tour apporteront leur contribution sur ce même thème ... en acceptant plus ou moins la contrainte.
Cette fois ci c'était Nathalie Rykiel qui était sondée sur le thème de l'élégance. On connait sans doute davantage Sonia, sa mère, mais je sais depuis plusieurs années qu'elle est devenue PDG de la marque et il est tout à fait légitime qu'elle prenne la plume pour s'exprimer sur ce sujet.
Nathalie Rykiel incarne à elle seule une certaine idée de l'élégance : l'allure, l'audace, la singularité.
Elle nous dévoile ses sources d'inspiration, l'émotion du premier défilé, les souvenirs d'enfance, les rencontres, et esquisse les contours de ce je-ne-sais-quoi qui fait la différence. Autour d'elle, quinze personnalités d'exception se sont rassemblées pour offrir, chacune à leur manière, leur vision de l'élégance.
" Manifester pour l'élégance ? Ce serait inélégant. "
J'ai une forme de tendresse pour Sonia Rykiel parce que le compte-rendu d'un de ses défilés fut un de mes premiers billets sur le blog. Et s'il n'avait pas été si bien accueilli j'aurais depuis longtemps rendu mon clavier. J'ignorais alors comment prendre des photos dans la pénombre sans attirer l'attention. Je ne connaissais que peu de choses du monde de la mode mais j'avais été éblouie par la mise en scène de Nathalie.
Je les avais retrouvées quelques mois plus tard à l'occasion de la rétrospective que le Musée des Arts décoratifs avait consacré aux 40 ans de la maison. Exhibition fut une exposition quasi exhaustive du style Rykiel.
Dans la famille Rykiel, il y a quelques hommes, en particulier le musicien Jean-Philippe Rykiel. Mais on trouve surtout une armada de femmes qui cultive la même passion de génération en génération, en conservant chacune leur tempérament. Tatiana, Lola et Salomé s'expriment donc naturellement à la fin du livre.
Avant cela Nathalie aura retracé, c'est inévitable, les contours de la mythologie familiale (p.16). L'analyse met en relief quelques mots-clés : maintien, dégaine, raffinement. On aura compris que, dans ce livre, l'élégance est pour le moins polysémique. On pourrait la dire "oxymorique", ce qui relève du normal quand on se souvient que Sonia se fout de l'élégance alors qu'elle en est l'incarnation et qu'elle a été couronnée reine de la démode.
Elle a rendu les femmes libres. Libres de choisir la tenue qui leur plait, ample ou près du corps, toujours féminine, garantissant systématiquement une liberté de mouvements, et donc par voie de conséquence, également libres d'esprit. Libre encore de venir dans la boutique de Saint Germain-des-Prés pour y acheter un des célèbres pulls ou un sex-toy (p. 30)
Il faut croire qu'elle est parvenue à élever sa fille selon le même concept. On aura rarement vu mère et fille aussi différentes et pourtant autant complices. Nathalie a su trouver sa patte et cultiver sa personnalité, sans être le moins du monde prisonnière de sa marque puisqu'elle porte aussi facilement d'autres créations que celles de ses boutiques. Tout a commencé au bas du podium, en devenant, quasiment par hasard, mannequin pour un défilé. Pour diriger une telle maison quoi de plus formateur que d'avoir vécu la mode intimement. Et Nathalie témoigne très bien de l'importance du corporel. On le constate dans son goût pour le théâtre et dans ce qu'elle dit des poses et du maintien.
Le corps est partout ... jusqu'aux lames des ciseaux qui s'agitent entre deux pages comme des gambettes (p. 9).
De mannequin elle est devenue naturellement scénographe et n'a cessé d'endosser les responsabilités et de lancer de nouvelles gammes. Jamais amazone, toujours sensuelle et sensible, féminine et féministe, elle nous livre (p. 43) ses préférences musicales pour le moins originales.
On la devine très gourmande. Nous partageons le même penchant pour les anis de Flavigny qu'elle préfère à la violette (p. 33). Rien d'étonnant non plus à ce que Pierre Hermé soit l'un de ses invités. Il associe l'élégance à la vanille et nous donne une de ses recettes (p. 89) ... parfaitement non reproductible tant elle est sophistiquée.
Les invités de Nathalie nous interrogent sur le sujet en nous livrant leur vision de l'élégance. Celle du mathématicien Cédric Villani est inattendue. Pascal Cribier, jardinier, le souligne : On ne peut jamais se promener deux fois de la même manière dans le même jardin, ce qu'il démontre avec une série de photos (p. 102-103).
Quant à Emmanuel Carrère, il surprendra, choquera peut-être ...
A la fin, Nathalie soumet Sonia, Tatiana, Lola et Salomé à un questionnaire proustien, illustré de croquis de Sonia. Ultime démonstration que l'élégance se décline à l'infini.
L'élégance selon Nathalie Rykiel dans la collection Manifeste des Editions Autrement, code ISBN 9782746734968 En librairie le 24 septembre 2013
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