Je n'aurais sans doute pas ouvert anatomie d'un soldat si on ne m'en avait pas lu un extrait. Harry Parker a sublimé l'accident qui lui a couté deux jambes en Afghanistan en 2009, après avoir combattu en Irak. Il fut en effet soldat de la British Army qu'il a rejoint à l'âge de 23 ans. Il est aujourd'hui écrivain et ce livre est son premier roman.
C'est avec beaucoup d'humilité que le titre ne comporte pas de majuscule. L'homme s'efface derrière un matricule, BA5799 et ce sont des objets qui racontent son histoire, en très grande partie biographique.
C'est un gros livre de 407 pages qui comporte, certes, quelques longueurs, parce qu'il est très difficile d'adopter 45 points de vue différents pour reconstituer une tranche de vie à la manière d'un puzzle, mais il est vraiment remarquable par son originalité et surtout la qualité de l'écriture.
L'auteur ne s'apitoie que très rarement sur son sort et quand on comprend qu'il est au bord d'abandonner il a une manière ultra positive de se ressaisir et de nous donner, non pas des leçons de morale, mais des leçons de vie, tout simplement : je ne peux montrer aucune faiblesse ici (p. 195).
Il ne prend pas partie contre "l'ennemi". On sent l'homme de devoir, au sens large. C'est le lecteur qui, bien entendu trouvera que ces combats sont inhumains, de part et d'autre, car une des grandes forces du roman est d'alterner les angles.
Les objets se présentent parfois d'emblée : je suis un sac à dos vert olive de trente litres. Leur parole peut aussi relever de la devinette : au début, j'étais surtout dans l'Atlantique / j'ai été soigneusement fabriquée sur une table en bois, aux pieds gauchis ... ou nous induire en erreur : j'ai été fabriquée en Chine, une authentique copie. Il peut n'être annoncé qu'au bout de 8 ou 9 pages, comme la scie oscillante du chapitre 13.
Il est toujours essentiel, a souvent une courte durée de vie et les dernières lignes du chapitre marquent sa mise au rebut : on m'a rangée dans une boite en carton / Tu 'as plus eu besoin de moi dans cette pièce et on m'a remporté à l'étage / Il espérait ne plus avoir à m'en ressortir. Mais certains résistent : je devais persister et je te consumerais pour ce faire.
Sans verser dans l'anthropomorphisme, chacun s'exprime de telle manière qu'il fait corps, pendant un temps, avec Tom, le jeune soldat, autorisant à s'exprimer en alterner le "nous" et le "il" : il assistait à des réunions d'information sur l'endroit où nous étions venus, ce à quoi il fallait s'attendre.
La narration n'est absolument pas chronologique, ce qui maintient la conscience du lecteur en constante alerte. Quelques dialogues entre Tom, ses amis ou sa famille, apportent d'autres éléments pour rendre compte de la réalité. Enfin l'humour rend le récit supportable.
Le roman ne raconte pas que l'accident, et ses suites. Il nous place au coeur du conflit et je me suis surprise à suivre les manoeuvres avec attention.
Je n'imaginais pas me passionner pour la "parole" d'un garrot, d'un rasoir, d'un champignon ou d'un béret. Encore moins pour le récit d'un combat.
Ce livre est à découvrir en réseau avec le film Voir du pays, qui raconte le retour de soldats français et leur passage en "sas" de décompression. Et bien sur avec le Maniement des larmes, qui est à l'affiche du Théâtre de Belleville, deux autres manières de voir l'envers du décor.
anatomie d’un soldat, d’Harry Parker, Traduit de l’anglais par Christine Laferrière, Christian Bourgois éditeur, août 2016
C'est un gros livre de 407 pages qui comporte, certes, quelques longueurs, parce qu'il est très difficile d'adopter 45 points de vue différents pour reconstituer une tranche de vie à la manière d'un puzzle, mais il est vraiment remarquable par son originalité et surtout la qualité de l'écriture.
L'auteur ne s'apitoie que très rarement sur son sort et quand on comprend qu'il est au bord d'abandonner il a une manière ultra positive de se ressaisir et de nous donner, non pas des leçons de morale, mais des leçons de vie, tout simplement : je ne peux montrer aucune faiblesse ici (p. 195).
Il ne prend pas partie contre "l'ennemi". On sent l'homme de devoir, au sens large. C'est le lecteur qui, bien entendu trouvera que ces combats sont inhumains, de part et d'autre, car une des grandes forces du roman est d'alterner les angles.
Les objets se présentent parfois d'emblée : je suis un sac à dos vert olive de trente litres. Leur parole peut aussi relever de la devinette : au début, j'étais surtout dans l'Atlantique / j'ai été soigneusement fabriquée sur une table en bois, aux pieds gauchis ... ou nous induire en erreur : j'ai été fabriquée en Chine, une authentique copie. Il peut n'être annoncé qu'au bout de 8 ou 9 pages, comme la scie oscillante du chapitre 13.
Il est toujours essentiel, a souvent une courte durée de vie et les dernières lignes du chapitre marquent sa mise au rebut : on m'a rangée dans une boite en carton / Tu 'as plus eu besoin de moi dans cette pièce et on m'a remporté à l'étage / Il espérait ne plus avoir à m'en ressortir. Mais certains résistent : je devais persister et je te consumerais pour ce faire.
Sans verser dans l'anthropomorphisme, chacun s'exprime de telle manière qu'il fait corps, pendant un temps, avec Tom, le jeune soldat, autorisant à s'exprimer en alterner le "nous" et le "il" : il assistait à des réunions d'information sur l'endroit où nous étions venus, ce à quoi il fallait s'attendre.
La narration n'est absolument pas chronologique, ce qui maintient la conscience du lecteur en constante alerte. Quelques dialogues entre Tom, ses amis ou sa famille, apportent d'autres éléments pour rendre compte de la réalité. Enfin l'humour rend le récit supportable.
Le roman ne raconte pas que l'accident, et ses suites. Il nous place au coeur du conflit et je me suis surprise à suivre les manoeuvres avec attention.
Je n'imaginais pas me passionner pour la "parole" d'un garrot, d'un rasoir, d'un champignon ou d'un béret. Encore moins pour le récit d'un combat.
Ce livre est à découvrir en réseau avec le film Voir du pays, qui raconte le retour de soldats français et leur passage en "sas" de décompression. Et bien sur avec le Maniement des larmes, qui est à l'affiche du Théâtre de Belleville, deux autres manières de voir l'envers du décor.
anatomie d’un soldat, d’Harry Parker, Traduit de l’anglais par Christine Laferrière, Christian Bourgois éditeur, août 2016
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