Bien que très différent puisqu'alors il s'agissait de nouvelles, on retrouve dans Après l'hiver la même écriture nostalgique que dans La vie de couple des poissons rouges, l'indécision typiquement masculine à faire des choix, et l'inclinaison féminine à temporiser.
Claudio, exilé cubain de New York, a une seule passion : éviter les passions. Cecilia est une jeune Mexicaine mélancolique installée à Paris, vaguement étudiante, vaguement éprise de son voisin, Tom, mais complètement solitaire. Chapitre après chapitre, leurs voix singulières s’entremêlent et invitent le lecteur à les saisir dans tout ce qui fait leur être au monde : goûts, petites névroses, passé obsédant. Chacun d’eux traîne des deuils, des blessures, des ruptures. Lorsque le hasard fait se rencontrer à Paris, Claudio et Cecilia nous sommes dubitatifs sur la capacité de ces êtres de mots et de douleurs à parvenir à s’aimer au-delà de leurs contradictions.
Guadalupe Nettel, qui parle très bien notre langue, a elle-même été étudiante à Paris, qu'elle connait donc très bien, en particulier l'arrondissement où elle fait habiter Cecilia. Elle pointe la difficulté pour les immigrés d'Amérique latine de s'acclimater à la météo, ce qu'un ami mexicain m'avait confié il y a quelques semaines alors que je ne réalisais pas que la France était un "pays froid".
De fait, Après l'hiver est une référence chronologique mais aussi la métaphore d'une saison intérieure de recueillement, de recommencement et de pertes aussi ... L'auteur nous parle de l'immigration dans une mégapole qui permet de découvrir son identité par opposition, Paris pour Cecilia loin de son Mexique natal, New York pour Claudio éloigné de Cuba, et les deux capitales sont étroitement imbriquées dans l'illustration de la couverture du livre.
On découvre avec étonnement leur intérêt mutuel pour les cimetières, qui est à resituer avec le fait que la mort n'est pas diabolisée au Mexique où Guadalupe est née en 1973. Un autre personnage, Tom, atteint d'une maladie dégénérative voudrait ne plus avoir peur de la mort et arpente régulièrement les cimetières parisiens avec Cécilia.
La musique prend une importance croissante au fil des pages à mesure que la relation s'installe entre Claudio et Cecilia. La névrose du cubain est manifeste puisqu'il demande à la jeune femme d'écouter tel ou tel morceau à la seconde près ou d'aller voir dans un parc une statue selon un angle bien précis.
Tous deux entament une correspondance soutenue qui brutalement effraie Cecilia : ne m'idéalisez pas, j'ai horreur de décevoir les gens.
On a tout de même du mal à admettre que Claudio affirme avoir rencontré celle qu'il qualifie de "femme idéale" sans parvenir à modifier son mode de vie comme si une lourde armoire bouchait son horizon. Il manque de courage pour quitter son univers et commencer une nouvelle vie, mais paradoxalement s'en attriste.
C'est lui pourtant qui la décevra, même si elle se consolera finalement sans trop de dommage. L'écriture de Guadalupe Nettel est aussi "bizarre" que son personnage, déroutante et néanmoins envoutante. Elle a ceci de très particulier qu'elle ne semble pas prendre partie. Chaque personnage apparait dans une sorte de candeur de ses sentiments, si bien qu'on ne peut se risquer à une conclusion moralisatrice.
Commencé en 2001 alors qu'elle vivait à Paris, elle s'est ensuite appuyée sur la correspondance qu'elle a entretenue avec quelqu'un qui lui a inspiré le personnage de Claudio. Il est paru au Mexique en 2014, et a reçu le prestigieux prix Jorge Herrralde en Espagne qu'elle est la seconde femme à obtenir en l'espace de 34 ans.
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