Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 8 novembre 2014

Maya Kamaty livre son premier album Santié Papang chez Atmosphériques

Santié Papang est sorti le 27 octobre chez Atmosphériques. Je l'ai écouté en avant-première mais je n'ai pas eu la possibilité d'en parler avant aujourd'hui. C'est pourtant peu dire que j'ai aimé : je l'ai écouté quasiment en boucle à longueur de temps, pour m'imprégner de toutes les nuances que l'artiste a réussi à harmoniser sur cet album.

La pochette est surprenante, ultra sophistiquée, ne ressemblant pas à ce que Maya Kamaty est dans la réalité, naturelle et attachante.

Si elle a déjà un long passé de festivalière elle n'est pas encore connue du grand public. Pourtant Maya Kamaty a été la première femme lauréate du Prix Alain Peters et du Prix des Musiques de l’Océan Indien en 2013. Et Santié Papang est son premier album.

La chanteuse revendique désormais ses origines réunionnaises. Elle est née d'un père musicien-chanteur (Gilbert Pounia) et d'une mère conteuse qui tous deux ont milité pour imposer la culture réunionnaise. On pourrait penser que ce fut déterminant pour asseoir une vocation artistique. Elle a refusé cet héritage pendant longtemps, jusqu'à ce que tout finisse par l'envahir et s’installer en elle, sans même que sa conscience n’en soit alertée, reconnait-elle.

La belle langue créole de son île, le vent chaloupant du Maloya, la musique et le chant traditionnel de sa terre de naissance et de vie, entraient en elle à son insu, attendant le moment propice pour s’imposer à elle.

Elle signe tous les textes, en créole. Maya Kamaty ne s’interdit néanmoins rien. Surtout le droit de bifurquer vers là où elle ne pensait jamais aller comme chanter en français les deux textes que lui a écrit le poète Michel Ducasse, Ecris-moi et Comme un refrain. Dans l'une ou l'autre langue l'album ouvre grand les fenêtres de l'imaginaire.

Le premier titre, Ansam, finit par être limpide même à celui qui n'a pas l'oreille habituée à ce créole là. D'ailleurs vous savez peut-être qu'à la réunion les métropolitains sont appelés les "zoreilles" parce que précisément ils font tout répéter, espérant comprendre ... On a l'impression de se balancer dans un fauteuil à bascule sous la varangue (sorte de véranda ouverte sur le jardin) en écoutant la voix langoureuse de Maya. Mais pour elle c'est la crainte de l'ouragan à laquelle elle songe, barricadée dans la maison en attendant que l'alerte cyclonique soit levée.

Ecris-moi arrive juste après. Il nous donne très envie de danser. Et nous sommes surpris de presque tout comprendre, sans percevoir que le texte est totalement français. C'est que la poésie de Michel Ducasse est plutôt dense, extrêmement travaillée. On a envie de le paraphraser en le citant : le jeu en vaut la dentelle.

Retour au créole avec Son zié dans une nouvelle intonation. Elle y dénonce les violences conjugales., encore tabou à La Réunion. Le kayamb, son instrument fétiche, résonne étonnamment. C'est sans doute une question de rythme.

Le kayamb est utilisé dans les Mascareignes pour jouer le séga et le maloya. C'est un instrument de percussion idiophone par secouement. Il incarne l’âme de la musique Réunionnaise, résumant toute l’histoire de l’île et l’héritage des esclaves des plantations de cannes à sucre. Ce sont eux qui ont construit les premiers kayambs avec ce qu’ils trouvaient sur place : des roseaux ou des tiges de fleurs de canne à sucre liés entre elles composant deux panneaux montées sur un cadre en bois léger, à l'intérieur duquel on met des petites graines rondes et dures de safran marron, de kaskavel ou de conflor, le tout maintenu par 3 lanières de cuir de peau qui assurent l'homogénéité et la robustesse de l'ensemble. Les graines produisent un son caractéristique lorsqu'elles s'entrechoquent, pareil au bruit des vagues

Le joueur de Kayamb tient son instrument horizontalement. Il le secoue avec l'aide des deux mains en se cambrant légèrement vers l'avant dans un mouvement dansant et en impulsant le mouvement du bout des doigts. 

J'ai particulièrement apprécié la piste 4 Comme un refrain parce qu'on y entend pleinement la voix de Maya, libérée des instruments (on ne perçoit le kayamb qu'à la toute fin). J'ai fini par trouver à qui elle me faisait ici penser, à la chanteuse Daphné.

Suit Santié Papang, qui donne le titre à l'album, tout imprégné de maloya. Elle évoque le mode de vie sur les hauteurs de l'île et les nombreuses fêtes qui sont des moments de purs partages.

La batterie s'affirme avec Mové Rev dans un créole plus "français" dirais-je dans une très belle musicalité qui s'exprime en "plages". La voix s'efface régulièrement pour laisser s'exprimer les instruments et d'autres émotions, en l'occurrence le puits sans fond d'Alice au Pays des Merveilles.

Ti Kok s'inscrit dans une des problématiques de l'île. Il y est question des zoreilles et d'un frère marron (évadé) dans une atmosphère ultramarine. Il est dédié à son frère pour signifier que même si on vit éloignés géographiquement la pensée et l'amour sont plus forts que tout.

Maya exprime de la rage dans Ti Brine. On a envie de comprendre ses propos. Cela tombe bien, si je puis dire car le livret comporte la traduction de chaque chanson. Les paroles ne sont guère plus claires en français mais le regret et la nostalgie sont nets. C'est l'histoire d'une jeune fille qui se languit de la pluie. Il faut savoir que le Maloya, ce blues ternaire issu du chant des anciens esclaves travaillant sur les plantations de canne, et qui est la fierté des Réunionnais fut banni par les autorités, et interdit officieusement jusqu'en 1981.

Mazine évoque les incivilités. Dernié Viraz est inspiré de la vie de Billie Holiday, parlant d'abandon, d'oubli de soi et des dégâts de l'alcool.

Zanfan est une berceuse et Véli c'est l'étoile du berger, une chanson d'espoir et d'amour.

Maya Kamaty (un nom formé en associant deux prénoms, le sien, et celui d’une femme debout, marginale et intense, dont lui a beaucoup parlé son père) avait fait du Maloya le fil conducteur du folk contemporain qu’elle crée en compagnie de son groupe, avec qui elle se produit pour la première fois le 8 mars 2012. Une date à la saveur symbolique. Les femmes ont mis du temps avant d’oser s’emparer du Maloya. "Quand je vois le combat qu’a mené ma mère pour la langue créole et le Maloya, pour moi, c’est un exemple fort. C’est comme si, nous les femmes, nous étions monté dans le train en marche pour nous positionner, en tant que femmes, dans le Maloya" commente Maya.

Ce premier album de Maya Kamaty associe les instruments traditionnels (kayamb, roulèr) aux sonorités de guitares plus contemporaines pour produire un blues métissé de maloya, la musique emblématique de la Réunion. Certains concluront que sa voix se cherche sur la voie qu'elle trace... l'image est plus que juste tant elle exprime des nuances différentes d'un titre à l'autre.

Et si vous pouvez allez la voir en scène la sensation sera plus forte encore : après une tournée en Corée, en octobre elle a fait une halte à Paris puis au Pédiluve de Châtenay - Malabry (92). Début novembre elle fut aux Liaisons Musicales de Marcq-en-baroeul (59), au Festival Vand'Influences de Vandoeuvre-les-Nancy (54) puis à l'Auditorium de Saint Florent le vieil (49).

Le 20 novembre elle sera au Mundial Montréal à Montréal. Le 7 mars 2015 à la Journée de la femme de Magny-les-Hameaux (78), le 9 avril au Coquelicot de Fougères (35) et le lendemain au Théâtre Victor Hugo de cette même ville. On peut suivre son actualité sur son adresse facebook.

Dans quelques jours je vous emmènerai faire un autre voyage, découvrir d'autres rivages marins ... en Baie d'Arcachon, et je vous promets quelques surprises.

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)