Nous restons au Studio Hébertot où la programmation présente des pièces très différentes. Après l'humour de 2 Mètres 74 voici l'émotion de Juste la fin du monde.
Je suis venue avec une grande réticence parce que j’avais tellement aimé le film de que je redoutais la déception.
En fait la mise en scène de Jean-Charles Mouveaux m’a emportée sans doute parce qu’il a réussi à restituer la musicalité de la si particulière syntaxe de Jean-Luc Lagarce. Les deux œuvres sont différemment intéressantes.
Je comprends que le spectacle ait été un des grands succès du festival off d'Avignon l'été dernier (et il le sera encore cet été, au Petit Louvre, à 18 h 20, c'est une évidence). En sortant d’Hébertot je n’avais qu’une envie, lire le texte original.
Première bonne idée de mise en scène : avoir utilisé l'escalier coté jardin, et d'où les comédiens descendent un à un et pour s’assoir à cour alors que les spectateurs eux aussi s'installent.
S'il faut en rappeler le contexte je dirais que c'est l’histoire de Louis, un jeune homme d’une trentaine d’années, qui se rend dans sa famille, après de longues années d’absence, pour "annoncer moi même - seulement dire ma mort prochaine et irrémédiable".
Juste la fin du monde résonne comme une expression de l’impossible : Si je fais ça, ce sera la fin du monde ! ? Le public le sait d'emblée, le personnage raconte en prévenant que Plus tard l’année d’après j’allais mourir à mon tour (...) mais il a tenu malgré tout à faire le voyage. Et même si on peut penser que Jean-Luc Lagarce s'est inspiré de sa propre vie pour écrire la pièce (en 1990) elle n'est pas la dernière qu'il ait publiée. Il donne dans celle-ci une parole entière à ce qui reste d'habitude en l'état de non-dits et le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont très bruyants.
Le décor est de prime abord déroutant, composé d'un empilement de tables dépareillées toutes peintes anthracites mais il fonctionne ... lui aussi comme une sorte de double métaphore, à la fois de la fin d'un monde et aussi de l'imbrication des relations interpersonnelles au sein d'une famille. Le décorateur Raymond Sarti explique avoir conçu une scénographie paysage susceptible de permettre aux failles de l'imaginaire de trouver une place entre les personnages du récit.
Outre Louis (interprété par Jean-Charles Mouveaux), la famille est rassemblée autour de la mère (Chantal Trichet), le frère Antoine (Philippe Calvario), la femme de celui-ci Catherine (Jil Caplan) et la petite soeur Suzanne (Vanessa Cailhol). Ils composent un choeur où chacun, à sa manière, est bouleversant.
Ils restituent l'électricité qu'on a tous connue un jour dans nos propres familles, surtout quand les mots qui pourraient réellement fâcher restent enfouis. Car (entre autres) la raison de la mort n'est pas dite. Louis parait être venu pour en parler mais chacun a quelque chose sur le coeur qui empêche la confidence et Louis repartira sans avoir pu trouver le temps de se confier. Rien n'est nommé mais tout est suggéré, surtout pour nous, spectateurs qui savons et qui avons la capacité de faire du lien avec des évènements plus récents. Le texte de Lagarce prend alors (et on peut le regretter parce que cela signifie que rien ne change jamais) une teinte universelle.
N'allez pas croire que le spectacle soit triste et noir. Un certain humour se dégage bien qu'il ne soit pas directement perceptible. Jean-Charles Mouveaux tenait à rendre compte de ce potentiel qui n'est pas décelable spontanément dans l'écriture chaotique de l'auteur. Il faut dire qu'il connait l'oeuvre parfaitement puisqu'il en a réalisé la première mise en scène il y a douze ans.
On entend parfaitement le texte, dans chacune de ses nuances, dans le moindre détail. Le très long monologue de Suzanne sonne comme un dialogue tellement Louis y est attentif. Plus tard il dira avec une infinie lucidité : Pourquoi la mort devrait-elle me rend bon ? C’est une idée de vivant.
Ce spectacle est parfait. Jusqu'au choix de la chanson de Charles Aznavour, Je t'attends.
Juste la fin du mondeJe suis venue avec une grande réticence parce que j’avais tellement aimé le film de que je redoutais la déception.
En fait la mise en scène de Jean-Charles Mouveaux m’a emportée sans doute parce qu’il a réussi à restituer la musicalité de la si particulière syntaxe de Jean-Luc Lagarce. Les deux œuvres sont différemment intéressantes.
Je comprends que le spectacle ait été un des grands succès du festival off d'Avignon l'été dernier (et il le sera encore cet été, au Petit Louvre, à 18 h 20, c'est une évidence). En sortant d’Hébertot je n’avais qu’une envie, lire le texte original.
Première bonne idée de mise en scène : avoir utilisé l'escalier coté jardin, et d'où les comédiens descendent un à un et pour s’assoir à cour alors que les spectateurs eux aussi s'installent.
S'il faut en rappeler le contexte je dirais que c'est l’histoire de Louis, un jeune homme d’une trentaine d’années, qui se rend dans sa famille, après de longues années d’absence, pour "annoncer moi même - seulement dire ma mort prochaine et irrémédiable".
Juste la fin du monde résonne comme une expression de l’impossible : Si je fais ça, ce sera la fin du monde ! ? Le public le sait d'emblée, le personnage raconte en prévenant que Plus tard l’année d’après j’allais mourir à mon tour (...) mais il a tenu malgré tout à faire le voyage. Et même si on peut penser que Jean-Luc Lagarce s'est inspiré de sa propre vie pour écrire la pièce (en 1990) elle n'est pas la dernière qu'il ait publiée. Il donne dans celle-ci une parole entière à ce qui reste d'habitude en l'état de non-dits et le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont très bruyants.
Le décor est de prime abord déroutant, composé d'un empilement de tables dépareillées toutes peintes anthracites mais il fonctionne ... lui aussi comme une sorte de double métaphore, à la fois de la fin d'un monde et aussi de l'imbrication des relations interpersonnelles au sein d'une famille. Le décorateur Raymond Sarti explique avoir conçu une scénographie paysage susceptible de permettre aux failles de l'imaginaire de trouver une place entre les personnages du récit.
Outre Louis (interprété par Jean-Charles Mouveaux), la famille est rassemblée autour de la mère (Chantal Trichet), le frère Antoine (Philippe Calvario), la femme de celui-ci Catherine (Jil Caplan) et la petite soeur Suzanne (Vanessa Cailhol). Ils composent un choeur où chacun, à sa manière, est bouleversant.
Ils restituent l'électricité qu'on a tous connue un jour dans nos propres familles, surtout quand les mots qui pourraient réellement fâcher restent enfouis. Car (entre autres) la raison de la mort n'est pas dite. Louis parait être venu pour en parler mais chacun a quelque chose sur le coeur qui empêche la confidence et Louis repartira sans avoir pu trouver le temps de se confier. Rien n'est nommé mais tout est suggéré, surtout pour nous, spectateurs qui savons et qui avons la capacité de faire du lien avec des évènements plus récents. Le texte de Lagarce prend alors (et on peut le regretter parce que cela signifie que rien ne change jamais) une teinte universelle.
N'allez pas croire que le spectacle soit triste et noir. Un certain humour se dégage bien qu'il ne soit pas directement perceptible. Jean-Charles Mouveaux tenait à rendre compte de ce potentiel qui n'est pas décelable spontanément dans l'écriture chaotique de l'auteur. Il faut dire qu'il connait l'oeuvre parfaitement puisqu'il en a réalisé la première mise en scène il y a douze ans.
On entend parfaitement le texte, dans chacune de ses nuances, dans le moindre détail. Le très long monologue de Suzanne sonne comme un dialogue tellement Louis y est attentif. Plus tard il dira avec une infinie lucidité : Pourquoi la mort devrait-elle me rend bon ? C’est une idée de vivant.
Ce spectacle est parfait. Jusqu'au choix de la chanson de Charles Aznavour, Je t'attends.
J'attends l'air que je respire
Et le printemps
J'attends mes éclats de rire
Et mes vingt ans
Mes mers calmes et mes tempêtes
En même temps
Car sans joie ma vie s'arrête
Et je t'attends
Je t'attends
Viens ne tarde pas
Encore quelques jours pour aller voir ce spectacle qui est une pépite à plus d'un titre.
De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène Jean-Charles Mouveaux assisté de Esther Ebbo
Scénographie Raymond Sarti. Lumière Ivan Morane. Costumes Michel Dussarrat.
Avec Vanessa Cailhol, Philippe Calvario, Jil Caplan, Esther Ebbo, Jean-Charles Mouveaux et Chantal Trichet
Du 26 avril au 30 juin 2018
Du jeudi au samedi à 21h
Au Studio Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17ème
01.42.93.13.04
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