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mercredi 9 mai 2018

Au petit bonheur la chance ! d'Aurélie Valognes

Aurélie Valognes a toujours voulu devenir romancière mais elle ne se sentait pas du tout prédestinée à être écrivain. Elle dit elle-même, et c'est à son honneur, venir d'un milieu populaire, où on lisait davantage des livres de poche que des éditions originales, et s'avouait un peu complexée à l'idée d'entrer dans une librairie.

Ses études commerciales l'éloignaient de la littérature. Sa vocation s'est concrétisée à la faveur d'une mutation de son mari à l'étranger (en Italie, à Milan), la contraignant à démissionner de son travail alors qu'un baby-blues l'incitait à se remettre en question, en s'interrogeant sur ce qu'elle allait faire pour elle-même. La perte, du jour au lendemain, d'une cousine, acheva de la décider à vivre son rêve : C’était le grand saut dans le vide. Mais, loin de son pays, c’est aussi plus simple de repartir d’une page blanche, de se réinventer, sans avoir peur d’être jugée.

La jeune femme a pris une sage décision en suivant enfin son instinct. Elle compte aujourd'hui un nombre impressionnant de lecteurs qui se chiffre en millions, presque à égalité avec des plumes célèbres comme Guillaume Musso ou Marc Lévy. Et, si elle est une femme, elle a réussi à conquérir un lectorat masculin important qui représente la moitié de ses lecteurs.

Elle ne craint plus d'entrer dans une librairie. C'est à l'occasion du trentième anniversaire de la Griffe noire que je l'ai rencontrée à Montreuil où elle est accueillie à juste titre comme une star, d'autant que Jean-Edgar Casel et Gérard Collard, les deux responsables de cet endroit devenu mythique, ont créé depuis 2009 le Salon international du livre de poche. Il aura lieu cette année, du 23 au 24 juin 2018, toujours Place des Marronniers à St-Maur-des-Fossés (94100).
Dans sa famille, le quotidien était rythmé par des expressions qui sont aujourd'hui désuètes mais qui me parlent beaucoup parce que j'ai grandi comme elle dans un milieu populaire. Ma grand-mère aménageait d'ailleurs de grands classiques pour les adapter (de son point de vue) à la situation. Elle disait de bons copains, non pas qu'ils s'entendaient comme larrons en foire mais comme marrons en foire, tout simplement parce qu'elle était très gourmande et qu'elle ignorait probablement ce qu'était un larron.

Combien de fois ai-je entendu Faut pas pousser (on se dispensait même d'ajouter mémé dans les orties), et Minute papillon dont je viens d'aller chercher l'origine. Papillon était le patronyme d'un serveur du 'Café du Cadran à Paris, dans les années précédant la seconde guerre mondiale. L'histoire veut que l'établissement fût le lieu de rendez-vous de nombreux journalistes. Ces clients, toujours pressés, hélaient sans cesse le garçon de café par son nom: ''Papillon, Papillon''. Le serveur débordé répondait alors: ''Minute, j'arrive!''.

Par la suite, l'association de l'appel et de la réponse a donné l'expression ''minute papillon'' pour indiquer à une personne pressée qu'elle peut prendre son temps.

Minute Papillon ! vient de sortir en poche mais c'est d'Au petit bonheur la chance ! dont je vais vous parler maintenant.
1968. Jean a six ans quand il est confié du jour au lendemain à sa grand-mère. Pour l’été. Pour toujours. Il n’a pas prévu ça. Elle non plus. Mémé Lucette n’est pas commode, mais dissimule un cœur tendre. Jean, véritable moulin à paroles, est un tourbillon de fraîcheur pour celle qui vivait auparavant une existence paisible, rythmée par ses visites au cimetière et sa passion pour le tricot. Chacun à une étape différente sur le chemin de la vie – elle a tout vu, il s’étonne de tout –, Lucette et Jean vont s’apprivoiser en attendant le retour de la mère du petit garçon. Ensemble, dans une société en plein bouleversement, ils découvrent que ce sont les bonheurs simples qui font le sel de la vie.
Les titres de ses romans sont toujours ponctués d'un point d'interrogation et puisés dans le répertoire familial. Au petit bonheur la chance ! est le quatrième. On dit qu'elle écrit du feel good, pour signifier une littérature qui fait du bien parce que la règle veut que ce type de romans se termine positivement.

Je n'aurais pas émis ce qualificatif pour ce dernier qui est loin d'être aussi rose que le promet la couverture ponctuée de fleurs des champs. Ceux que l'on aime le plus vont et viennent, en prenant un bout de notre coeur. Mais on ne va pas se priver d'aimer de peur de devoir souffrir un peu (p. 206). Et si le roman ne se termine pas "très" bien on peut dire que le protagoniste évolue dans le bon sens. C'est un opus auquel Aurélie Valognes tient beaucoup parce qu'elle est partie de l'histoire de son papa en remontant une cinquantaine d'années en arrière.

J'ai trouvé l'intrigue extrêmement touchante. Même si je n'ai pas vécu les mêmes aventures, j'ai retrouvé intacte l'atmosphère de mon enfance. Je salue l'art d'Aurélie de restituer ainsi les détails qui ont marqué une époque. Comme les cadeaux Bonux, le capuchon transparent, peu glamour mais si pratique pour se protéger d'une pluie inopinée, ou Belphégor qui épouvantait (en noir et blanc) les téléspectateurs la Première chaine de l'ORTF. Mai 68 se profile et avec lui l'espoir de voir les salaires augmenter significativement. Bientôt Poulidor et Anquetil se disputeront la médaille du Tour de France et la mixité à l'école sera une autre forme de révolution. Flipper le dauphin sera un rendez-vous joyeux pour les enfants qui abandonneront le Mille Bornes pour suivre ses facéties aquatiques et toute "bonne" ménagère exécutera les recettes de Ginette Mathiot comme on suit aujourd'hui les conseils de Mercotte.

Mais pour le moment Lucette tire le diable par la queue pour nourrir son petit-fils, en quelque sorte tombé du nid. Marie, sa mère, n'a pas la fibre maternelle. Elle a des excuses, la vie n'est pas clémente à son égard. C'est même carrément un naufrage mais l'enfant souffre, se débattant dans des sentiments contradictoires, un peu à l'instar du héros de la pièce de Victor Hugo, Le dernier jour d'un condamné (p. 233). L'école n'est pas un milieu plus facile. Il passe vite de bon élève à bonnet d'âne, juste parce qu'il écrit de la main gauche et qu'il ne maitrise pas parfaitement la langue que parlent les petits parisiens.

La grand-mère agit avec les moyens du bord pour réparer les erreurs de sa fille (p. 214). On ne peut pas laisser un enfant détester sa mère (p. 168). Alors elle aura recours à un stratagème avec la complicité de son ami le facteur. Cette histoire d'amour arrosé au porto (p. 93) est elle aussi touchante.

Les chapitres s'enchainent avec vivacité, eux aussi gouvernés par une expression quotidienne. On se demande combien elle en garde en réserve ... En route mauvaise troupe ! (p. 38) ... combien de fois l'ai-je entendu ? Toujours avec le même agacement, ne comprenant pas ce qu'il y avait de mauvais dans l'affaire.

La vie était très différente. Avec peu de confort et un certain manque de psychologie dans les rapports humains. Mais la tendresse et l'attention aux autres n'étaient pas distraits par la profusion des moyens modernes de communication. On savait prendre le temps de s'écouter et de se parler. Certains, comme la tante Françoise, parvenait à s'émanciper des tracas, pour allier tradition et progrès, devenant l'exemple parfait de la femme moderne des années 60 (p. 38).

Peu importe que vous ayez ou non connu cela. On est à l'aise avec les personnages comme on le serait dans un roman historique et on se projette facilement, avec l'envie de déambuler dans les rues de Granville, où subsiste toujours le souvenir de Dior.

Il faut lire ce livre jusqu'au bout, et au-delà. Parce que l'auteure nous en dit plus en quelques pages additionnelles, en particulier qu'elle dédie cet ouvrage aux femmes d'aujourd'hui et de demain pour qu'elles se rappellent celles d'hier qui ont été les premières à tracer un nouveau chemin vers la liberté.

Aurélie Valognes est une grande travailleuse. Elle a suivi des tutoriels d'écriture pour commencer l'aventure, et ne s'en cache pas, ce qui est très fair-play de sa part. Elle bâtit en premier lieu l'architecture sur des carnets où elle écrit non stop à la main de 9 heures du matin à 9 heures du soir. Ce n'est que dans un second temps qu'elle se met à l'ordinateur. Ses romans sont fluides mais elle reconnait les corriger à multiples reprises après un certain temps de maturation.

Elle a eu le courage de prendre la voie de l'auto édition pour le premier et sachant ce qu'elle doit à ses lecteurs elle a distribué gratuitement les cinq premiers chapitres du dernier.

C'est une fine observatrice de la vie. Sa famille est encore sa première source d'inspiration mais sachant qu'elle écrit chaque jour dans le café du coin on peut parier que d'autres types de personnages surgiront bientôt.
Au petit bonheur la chance ! d'Aurélie Valognes, chez Mazarine, en librairie depuis mars 2018

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