Avais-je été trop enthousiaste à l’idée de découvrir ce roman dont l’originalité m’avait a priori séduite ?
Recevoir en héritage un chien dépressif après le suicide de son meilleur ami n’est pas banal, surtout quand il s’agit d’un animal de très grande corpulence qu’il va être quasi impossible de faire vivre dans un logement minuscule où de plus ls chiens sont interdits.
La narratrice est alors confrontée à de multiples soucis qui ne vont pas tout à fait la distraire du propre travail de deuil qu’elle doit entreprendre. D’une mélancolie extrême, ce récit offre une réflexion introspective sur l’amitié et la fidélité.
Sigri Nunez est écrivaine et professeure de littérature dans une fac new-yorkaise. Son mentor et ami de toujours vient de mourir inopinément, et d'une façon peu banale puisqu'il s'agit d'un suicide. Il lui lègue Apollon, un immense dogue allemand de la taille d'un poney. Au choc du décès s'ajoute le devoir de s'occuper désormais de ce chien énorme, dans un appartement minuscule où, en principe, les animaux ne sont pas autorisés. En plus de son propre chagrin, la narratrice doit donc faire face aux menaces d'expulsion de son propriétaire, et à la souffrance d'Apollon, déboussolé par la disparition soudaine de son maître, qu'il ne comprend pas. Pendant que ses amis s'inquiètent de son obsession pour son nouveau compagnon, la narratrice parvient à établir avec l'animal un contact, une connivence, et à le sortir de son abattement.
Ecrit à la deuxième personne, cette élégie pour un ami décédé explore les thèmes du deuil et de son dépassement, du suicide et des raisons qui y poussent, tout en offrant une réflexion sur la littérature et le métier d'écrivain. Elle a raison de le souligner, une bonne phrase commence par une pulsation (p. 6).
En tant que lectrice je ne voyais pas le milieu littéraire comme un canot de sauvetage encombré de trop de passagers (p. 10). Et pourtant je pourrais utiliser la même métaphore à propos des compagnies espérant obtenir la gloire au festival d'Avignon …
Mais le sujet principal de ce roman reste évidemment l'amitié, celle qui existe entre les humains, et celle qui peut se développer entre les humains et leurs animaux domestiques. Au point qu'au final, on se demande qui est, en réalité, "l'ami" du titre...
Il est bon de nous rappeler que Beckett oscillait entre humour et désespoir (p. 9) et j'ai apprécié d'apprendre que Simenon comparait l’écriture à une vocation au malheur. Interrogé sur sa motivation profonde à exercer ce métier il répondait que c’était sa haine pour sa mère qui avait fait de lui un romancier, et ajoutait tous mes livres me sont venus en marchant.
Une recette plus facile à suivre que secret de la réussite de Flaubert vivre en bourgeois, penser en demi-dieu (p. 14).
On découvre plein de choses dont certaines ne sont pas étonnantes et pourtant inconnues jusque là. On se demande comment de telles idées viennent à l’auteure. Il y a un mix subtil entre anecdotes triviales (par exemple les surgissement de pub sur son ordinateur), citations littéraires et considérations philosophiques. Avec une manière bien à elle (à moins que ce ne soit l'idée du traducteur) de parler d'engin électronique pour faire allusion au téléphone portable. J'ai à plusieurs reprises noté une extrême pudeur dans le choix de ses termes sans pourtant user de dissimulation. Ainsi le chien arrive comme inopinément page 22 et repart aussi vite.
L'humour peut s'appliquer à son propre domaine. Ainsi elle fait état d'une blague qui circulerait à l'université (p. 115) et que si j'osais je transposerais dans les blogosphère :
Professeur A : Est-ce que vous avez lu ce livre ?Professeur B : Lu ? je n’ai même pas encore fait mon cours dessus.
Terriblement mélancolique, parfois obscur, déroutant sous sa forme de monologue, ce texte est écrit avec élégance, et la richesse des références littéraires contrebalance un peu le souvenir d'une lecture déprimante.
Née en 1951 à New York, Sigrid Nunez est l’auteure de sept romans et d’une biographie, Sempre Susan : Souvenirs sur Sontag (13e note éditions, 2012).
L'ami de Sigri Nunez, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Mathilde Bach, Stock, lauréat du National Book Award en 2018, en librairie en France depuis le 21 août 2019
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