La Franche-Comté est une région où l'on se régale.
Avec les saucisses, de Montbéliard ou de Morteau, ou encore le Bresi, une noix de boeuf bien supérieure à mon sens, à la viande des Grisons (et nettement moins onéreuse) au délicieux goût de fumé obtenu par la station dans le tuyé d'une haute cheminée. Je vais recommander la maison Grésard, 50 Grande rue à Malbuisson, qui est une affaire familiale depuis trois générations.
Ce sont les truites de rivière. Et là ce sont celles de Bonneveaux que je vous conseille. L'élevage est de qualité et les prix très raisonnables. C'est encore le pain, comme ce pavé comtois parfait pour les pique-niques au bord du lac de Saint-Point.
Ce sont aussi les fromages blancs, crèmes et faisselles ... celles de la GAEC du ruisseau des Ecrevisses (70800 Bouligney) est parfaite avec un petit coulis de fruits ou de miel.
Ce sont enfin les fromages AOC de la région, bleu de Gex, vacherin et surtout le comté.
Si sa fabrication s'effectue en fruitière, l'affinage peut être confié à un spécialiste car il faut de l'espace pour conserver 2 à 3 ans les meules ... de 35 kilos. Marcel Petite est une entreprise dont le patron a révolutionné la pratique. On se trouvait à l'époque en pleine euphorie d'industrialisation et l'affinage lent à basse température était un pari risqué.
C'est ce que cet homme a mis en oeuvre grâce à la découverte de deux forts désaffectés, celui des Rousses et le Fort Saint-Antoine, que j'ai visité cet après-midi. Un moyen comme un autre de s'assurer de la fraicheur par ces temps de canicule (et même plus encore) puisque la température y demeure de 6-7 ° à longueur d'année avec une hygrométrie à saturation de 95%.
Le fort a été construit à 1100 mètres d'altitude, entre 1879 et 1882, à la fin de la guerre franco-prussienne pour assurer la défense de la région. 600 tailleurs de pierre, 600 maçons et 3 000 soldats ont travaillé d'arrache-pied pour recouvrir 718 mètres de terre car on le voulait invisible. Trois ans plus tard l'invention de l'obus-torpille et de l'explosion à retardement rend l'édifice obsolète. Il est abandonné.
A croire que l'expérience des anciens ne sert pas. Aujourd'hui on entreprend d'autres travaux pharaoniques en saignant Besançon, à l'instar de beaucoup de grandes villes, afin de réimplanter un tramway arraché au nom du progrès au siècle précédent. Mais tandis qu'on s'énerve dans la capitale (c'est fou toutes les conséquences négatives et les déboires occasionnés par la construction du tramway, mais là n'est pas le sujet aujourd'hui) un homme a eu l'idée de recycler l'erreur de construction des forts.
Son pari est aujourd'hui réussi puisque si on posait l'une sur l'autre toutes les meules conservées sous terre on montera au-delà de l'Everest. La visite est très bien conçue, par l'office du tourisme de Malbuisson. Elle commence par un accueil en musique ... avec les sonnailles de cloches et des chants d'oiseaux.
Il faut 4000 litres de lait pour obtenir une meule de 40 kilos et sachant qu'une vache donne environ 20 litres de lait par jour, combien de ... je vous épargne la réponse exacte, mais c'est beaucoup, d'où l'idée de se regrouper pour mettre en commun le fruit du travail ... d'où le nom de fruitière donné aux coopératives.
Tout cela nous est expliqué en détail dans une salle où le décor est reconstitué, depuis l'arrivée du lait jusqu'au fromage. C'est si bien fait qu'on s'y croirait, si on ne savait pas qu'on est sous terre. Seules les vaches Montbéliardes peuvent prétendre à fournir leur lait. Et chacune doit disposer pour elle seule d'au moins un hectare de prairie en herbe. le fromager ne peut pas récolter au-delà de 25 km. Il appose une plaque verte sur chaque meule avec son numéro d'identification, la date, et le numéro de la cuve, traçabilité oblige. Pour avoir le droit de le commercialiser avec le label AOC, il faut au moins 4 mois d'affinage.
Chez Marcel Petite on s'impose un minimum de 10 mois. Son petit-fils a repris l'affaire. Il assure 10% de la production AOC en comté, soit 5500 tonnes par an. Et comme on est sur un fromage où la demande excède l'offre tous les éleveurs sont certains que leurs meules seront achetées.
Quelques chiffres plus tard, le corps un peu refroidi nous voilà prêts à descendre 8 mètres sous terre, au coeur de là où le processus a lieu. Premier choc, mais celui là on s'y attendait, d'ordre thermique. Second choc respiratoire car l'atmosphère est saturé d'humidité et ... d'ammoniaque. On est proche de la suffocation, ce qui ne se voit pas sur les photos. Par contre la nappe d'eau qui recouvre le sol est clairement identifiable.
Plusieurs cours se succèdent. On a l'impression qu'il a suffit d'installer les rayonnages mais ce sont des travaux énormes qui ont été entrepris pour mettre l'espace aux normes et permettre aux 7 robots de travailler sept jours sur sept, "les yeux fermés " en quelque sorte.
Ils oeuvrent imperturbables à saisir la meule, la brosser, la saler, la retourner, la replacer, réitérant ces actions 120 fois par heure, alors que les fromagers se déplacent à toute vitesse sur de drôles de petits engins pour ramener d'autres meules ici ou là. Car elles changent régulièrement de place tous les trois mois.
Les planches d'épicéa sur lesquelles les meules reposent sont régulièrement lavées et séchées à l'air libre. Mises bout à bout elles s'allongeraient sur 150 kilomètres.
Les meules d'exception sont bichonnées dans l'ancienne poudrière. La cour d'honneur supérieure a été construite de toutes pièces en 1999 comme un chapeau au-dessus des caves existantes pour augmenter la capacité de stockage.
Sous nos yeux 25 000 meules, assez jeunes (elles sont encore jaunes), étiquette verte encore bien lisible, ce qui n'empêche que chacune a été marquée au fer rouge à son entrée. A ce stade les soins sont quotidiens. Dans quelques mois ce ne sera plus qu'une fois par semaine.
Tout est rigoureusement classé comme en témoignent les ardoises avec les dates et les provenances.
Tout est rigoureusement classé comme en témoignent les ardoises avec les dates et les provenances.
Le moment crucial est l'étape du triage, effectué par un des 5 trieurs-dégustateurs. Il tapote sur le fromage avec une sorte de marteau minuscule. Sonner la meule est un travail d'écoute, pour rechercher là où le bruit va révéler une fissure ou pire un creux plus important, la lainure, le comble de la honte pour le comté qui, je vous le rappelle n'a pas d'yeux, à l'inverse de son voisin l'emmental.
Le trieur va sonder alors le fromage, en sortir une sorte de mini carottage, le goûter (rassurez-vous il fait comme l'oenologue pour le vin, il crache, sinon il deviendrait obèse en un temps record), rebouche le trou avec un peu de ce qu'il a prélevé et marque la croute de signes pour indiquer le niveau de qualité de la meule, ou le cas échéant la déplacer pour attendre encore quelques semaines. Chaque meule est goûtée au moins une fois.
Le talent consiste à affiner le plus possible, mais pas trop. Et à expédier les meules à ses clients en fonction de leurs goûts. Il existe 6 familles aromatiques et le dégustateur va chercher quels arômes se dégagent parmi les 86 possibles.
La visite se termine et nous gagnons la salle de dégustation en empruntant couloirs lambrissés, escaliers de bois, le tout décoré d'une iconographie très paysanne comme les tableaux de Millet, les glaneuses et l'angélus. On s'attendrait à Courbet, le peintre régional, mais il faut reconnaitre que les reconstitutions sont soignées.
C'est un fromage d'été (de l'été dernier ...bien sur) qui nous est présenté, d'abord à l'aveugle. Il est souple, élastique, a une texture agréable en bouche. Aucun doute sur son appartenance à la famille lactique, avec ses descripteurs très présents lactiques, et son goût de beurre. Il est fruité, rond en bouche, un peu sucré avec un arôme de miel.
Un comté plus vieux pourrait développer davantage des descripteurs épicés, torréfié ou des senteurs animales. Une heure trente s'est écoulée. Le soleil s'est un peu calmé, rendant le choc thermique inverse moins brutal. La fin de journée est ainsi plus propice à la visite.
Dehors les montbéliardes continuent de brouter ... l'herbe bien sûr, pas la gentiane... autre spécialité locale avec la "Pont", la liqueur d'absinthe de Pontarlier.
Cave d'affinage du Fort Lucotte - Comté Marcel Petite - 25370 Saint-Antoine 03 81 69 31 21
3 commentaires:
Très beau reportage sur ces délicieux produits, bon samedi
Il faut 400L de lait pour une meule de 40 kg et pas 4000l comme indiqué dans ce beau reportage.
jpv
Effectivement il y a eu une coquille dans la rédaction (merci de l'avoir signalée). J'ai profité du Salon du fromage qui avait lieu cette année pour vérifier.
Il faut environ 10 litres de lait pour fabriquer un fromage à pâte dure d’un kilo
2 litres pour un camembert (d'environ 250 grammes)
mais 5 litres pour un pont-l’évêque
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