Les vacances sont presque finies et voilà un film qui permettra un ultime voyage pour les petits sans déplaire aux grands. Tomi Ungerer avait écrit Jean de la Lune en 1966 en expliquant que qu'il s'agissait de ... l'éternelle histoire de l'intrus différent des autres. Sa curiosité l'embarque dans l'aventure qui tourne à la mésaventure. Il ajoutait que c'était un peu son cas.
"Son cas" mériterait un article entier, et c'est ce que je ferai en chroniquant bientôt l'Esprit frappeur, le long métrage qui sorti sur grand écran le 19 décembre et qui est le portrait d'un artiste hors normes.
Malgré ses 45 ans, Jean de la Lune a conservé sa candeur. On se réjouit qu'il se soit ennuyé sur les rayons des bibliothèques et qu'il atterrisse enfin dans les salles obscures, accroché à la queue d'une comète.
D'un album d'une quarantaine de planches et de quelques phrases, la magie cinématographique a fait un film de 1 h 35 dont on se régale de chaque image. Tout en étant fidèle au style initial, il accorde davantage de place à des personnages secondaires (que l'on remarque page 11 de l'album) comme la fillette, son petit chien et son père qui traversent la nuit dans leur grande automobile. L'adaptation a été faite en collaboration étroite avec l'auteur qui a ajouté les enfants des villes qui n'arrivent plus à dormir après la disparition de leur ami lunien.
Le chef de la police devient un dictateur, carrément Président du Monde, dont l'objectif est de conquérir l'astre lunaire. Son épouse porte une robe audacieusement fendue dans le dos (comme Mireille Darc dans le Grand blond avec une chaussure noire). Elle arbore une coiffure extravagante qui évoque discrètement un corps de strip-teaseuse. On reconnait dans ces détails le penchant du dessinateur pour les croquis érotiques. Un astronaute plante un drapeau sur l'astre lunaire, désignant l'événement qui eut lieu après l'écriture du livre et Jean de la Lune nous rappelle explicitement un certain E.T. sollicitant le petit Eliott pour rentrer à la maison.
Plusieurs détails anachroniques ponctuent le film mixant les époques ... des épées, un portable en forme de talkie-walkie, des plumes dans des encriers, une décapotable année 60. Le dessin animé devient intemporel d'une action qui se déroule de la pleine lune à la nouvelle lune, et qui pourrait se répéter indéfiniment.
C'est Tomi Ungerer lui-même qui endosse le rôle du récitant de sa voix si particulière, avec un français fredonné très légèrement accentué. La langue française était parlée en cachette à la maison pendant l'occupation nazie de son Alsace natale. Il s'exprime aussi parfaitement en anglais (il a longtemps vécu aux USA et est installé désormais en Irlande) qu'en allemand ou en alsacien.
Le récit retrace le périple d'un personnage qui est agité par deux sentiments, l'ennui de la solitude mais aussi le désir de la rencontre. Il met aussi en parallèle l'envie de l'homme d'explorer d'autres continents. Il dénonce l'intolérance et le pouvoir totalitaire qui ne respectent pas l'individualité. C'est donc dans la nature, au contact des fleurs que Jean de la Lune sera le plus heureux, et qu'il se sentira le plus libre. L'affiche du film, qui reprend la couverture de l'album, est à cet égard tout à fait emblématique.
Le film surprend par le contraste entre la densité de l'arrière-plan et la transparence des encres colorées du premier plan, qui éclatent comme des lavis, selon une technique que l'artiste a beaucoup employée dans son travail de publicitaire de la même époque, largement comparable à la palette du Douanier-Rousseau.
Tomi Ungerer demeure un défendeur acharné des libertés individuelles. Il n'a jamais effacé les années de guerre de sa mémoire, ni les événements familiaux qui ont marqué sa petite enfance comme la mort de son père. Mais c'est aussi un poète et un tendre, capable de s'extasier de mille et une petites choses, et de ponctuer son point de vue avec humour. Par exemple l'ours naturalisé qui se dresse derrière le dictateur prend des mimiques humaines s'accordant aux dialogues. Il confie aussi que Jean de la Lune c'est aussi un peu lui qui déguerpit dans la forêt pour fuir les militaires sociétiques des forêts norvégiennes lorsqu'il a commencé à explorer le monde à partir des années 50.
C'est le seul artiste vivant qui a un musée dédié à son (immense) oeuvre. Il a été ouvert au public en octobre 2007 pour présenter en alternance les 11 000 dessins et les 6 000 jouets qu'il a offerts régulièrement à Strasbourg depuis 1975. Ce sont ses propres objets qui lui ont servi de modèle pour dessiner autos et camions de pompier que l'on peut voir dans le film.
The Moon Man a été publié par Diogenes Verlag en 1966. Il a été traduit de l'américain par Adolphe Chagot pour l'Ecole des loisirs en 1969, sous le titre Jean de la Lune.
Un autre album, les Trois brigands, avait été adapté pour le cinéma par Hayo Freitag en 2007.
Musée Tomi Ungerer, Centre international de l'Illustration, Villa Greiner 2, avenue de la Marseillaise, Strasbourg, tél. 03 69 06 37 27
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