Je connais l'univers de Praline Gay-Para depuis très longtemps. Je l'ai sans doute vue pour la première fois à Chevilly-Larue (94), haut lieu du conte en France, avec Abbi Patrix, Muriel Bloch, Mimi Barthélémy ... j'ai le souvenir de sa Femme dorade (publiée chez Syros, coll. Paroles de conteurs) mais c'est à Confluences, qui se définit comme un lieu d'engagement artistique, que je suis venue entendre Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ?
Praline est une conteuse qui écrit ce qu'elle conte, pour questionner le monde. Et cela fonctionne au-delà de tout ce qu'on peut imaginer puisque nous avons quitté la salle dimanche alors que la neige commençait à tomber. Difficile d'être plus "raccord".
On aimerait que le pouvoir des mots ait la puissance d'arrêter la guerre, car c'est le sujet central du spectacle. J'ai plusieurs fois écrit qu'aucun conflit ne mérite qu'on meure pour lui. Et de tous c'est la guerre civile qui est la plus odieuse
Il a fallu quinze ans à Praline pour exprimer sur scène ce qu'elle a vécu personnellement. Car même si elle a quitté le Liban six mois après le début de la crise, elle se souvient parfaitement des premiers attentats ... ce bus mitraillé par les phalanges libanaises et la couleur rouge du sang qui recouvrait la route. C'est leur violence qui a forgé sa détermination à partir en octobre 1975.
On pourrait croire qu'elle a vécu ensuite dans le calme. D'une certaine façon oui, mais avec l'angoisse toujours chevillée au corps d'apprendre de mauvaises nouvelles des amis, de la famille, des voisins. Son art de conteuse lui permet de transformer cette angoisse, de lui donner une version spectaculaire et de décentrer l'obsession pour faire surgir des étincelles de sagesse, d'humour et de vie.
Une femme est là. Elle a décidé de partir. Elle emporte avec elle le miroir qui est le seul témoin de tout ce qui s'est passé. Elle en sait pas où elle va. Elle sait ce qu'elle quitte. Elle regarde le soleil se lever.
La lumière se fait parfois coupante, parfois caressante tout au long de ce moment que l'on passe avec Praline. Elle évoque en arabe quelques bons moments, la figure de Mariam, sa quasi seconde mère dont elle était "l'enfant choisi", qui lui réservait une couverture rouge au crochet, et nous souffrons avec elle la séparation. Ce n'est sans doute pas par hasard si elle porte souvent des vêtements et des accessoires précisément de cette couleur.
Elle nous parle de mezze, de feuilles de vigne farcies, d'une assiette de gâteaux aux dattes et nous salivons.
Elle fait surgir Orly en hiver et nous avons froid.
Elle raconte des blagues. Son Président a reçu le Prix Nobel de chimie pour la découverte d'une molécule qui transforme la monnaie en merde. Nous le raillons.
Elle relate une séance de cinéma en compagnie de militaires qui regardent la larme à l'oeil E.T. s'envoler dans le ciel. Ils crient Allah protège tes pneus ! On rirait de bon coeur si elle n'ajoutait pas que quelques minutes plus tard c'était le massacre de Sabra et Chatila. Comment aimer encore un pays où il n'y a pas de place pour les faux méchants ?
On comprend qu'elle rage : j'en veux à chacun qui a une vie normale ... La phrase mériterait d'être débattue ... qui a une vie "normale" ? Ce qui est sur c'est que le public n'y est pour rien et que les reproches de Praline ne lui sont pas adressés. Elle pointe l'absurdité des comportements qu'elle tente de fouiller : c'est la guerre qui rend fou ou on est fou d'abord et après c'est la guerre ?
Quand on appartient à la cohorte des bousculés de l'Histoire l'humour permet d'apprivoiser les drames. Lors de son premier retour, en 1982, dans une période qu'elle qualifie d'accalmie relative, la coupure d'électricité est générale, comme si Beyrouth fermait les yeux pour ne plus voir l'horreur.
Toutes les formes d'humour sont bonnes à prendre pour mettre la réalité à distance. Des histoires circulent en Palestine comme en Israël : Moïse, jésus et Mahomet s'ennuie et décident d'entreprendre une partie de tric-trac qui logiquement se joue à deux. Celui qui fera le tirage le moins avantageux laissera sa place aux autres. Moïse lance les dés et et fait 6-5. Mahomet double 6. Jésus ne renonce pas et fait ... 6-7, ce qui lui vaut le dépit de ses compagnons : tu nous fais chier avec tes miracles.
Praline relate les souvenirs pour transmettre la vie, pas le conflit. Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ? est sans doute le spectacle le plus personnel de son répertoire. Mais il s'inscrit malgré tout dans la même lignée que ce qu'elle avait écrit avant dans le cadre des collectages de paroles urbaines qui sont une de ses spécialités. A force de recueillir les paroles des autres on est heureux d'entendre la sienne, si personnelle, même si on aurait souhaité pour elle qu'elle puisse être plus légère. Qu'elle soit remerciée de ce cadeau qu'elle nous offre.
Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ?
Auteur et interprète : Praline Gay-Para
Mise en scène : Laurence Garcia
Scénographie, lumières : Sam Mary
Spectacle tout public à partir de 14 ans.
Durée : 55 minutes environ
Coproduction du Pavé Volubile, 5, square des Bouleaux, 75019 Paris, pavevolubile@free.fr
Du 11 au 19 janvier 2013 à 20h30 - le 13 janvier à 18h - (Relâche les 15 & 16)
à Confluences, 190 boulevard de Charonne, 75020 Paris
D'autres spectacles suivront dans le même lieu : J'écoutais le bruit de nos pas, dans une mise en scène originale qui confronte deux récits. Et la chorégraphie de All along Far Away qui mérite d'être soutenue.
Photo du spectacle Adrien Offredo.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire