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samedi 12 janvier 2013

Calacas, par le Théâtre Equestre Zingaro et le manifeste de Bartabas

Je suis allée hier soir voir Calacas, que le Théâtre Equestre Zingaro reprend jusqu'à fin février 2013 avant de partir en tournée.

C'était le premier spectacle de Bartabas auquel j'assistais et il m'a éblouie. Et pourtant j'ai eu d'emblée le sentiment d'une forme de familiarité avec une scénographie qui pourrait surprendre un public non averti.

Venir au Théâtre Equestre Zingaro obéit à un rituel
Bartabas organise l'entrée des spectateurs pour qu'ils aient le temps de se "laver" de leurs soucis pour être en condition de recevoir le spectacle. Il a bien raison même s'il se trouve que lorsqu'on a l'habitude de fréquenter l'Espace Cirque d'Antony on a une bonne longueur d'avance par rapport à un public non averti. Ma perception a été à bonne école. J'ai connu en juin 2010  le Petit Théâtre Baraque de Branlo et Nigloo Roussayrolles qui, me semble-t-il ont créé Zingaro (on disait alors Cirque Zingaro) avant de le céder à Bartabas lequel, à force d'un travail acharné, l'a propulsé au zénith.

Le public antonien a beaucoup de chance aussi parce qu'il avait pu profiter en juin 2009 du spectacle de Baro d'Evel, intitulé le Sort du dedans. On était assis sur des gradins, autour de la piste et on entendait le cheval cavaler derrière et autour de nous au son d'une clochette. En décembre de la même année c'était un superbe travail de dressage avec InSTALLation. Les chevaux blancs "faisaient le mort" sans broncher de longues minutes dans une presque obscurité. L'année suivante nous étions rassemblés autour d'un feu de camp pour Obludarium que les Frères Forman avaient conçu entre cabaret, danse, cirque et marionnettes. Quant à voir des dindons sur scène, celui du cirque Rasposo ne passait pas inaperçu. Il donnait son titre au spectacle, le Chant du Dindon.

De ce fait j'étais très préparée à apprécier Calacas. Je ne me suis même pas étonnée de voir les chevaux galoper sur la scène supérieure. Cela me parut naturel alors que le dispositif était nouveau au Théâtre Equestre Zingaro.

Naturel, mais ô combien exceptionnel. Et le lendemain de la représentation j'ai le sentiment que pas une image ne m'a échappé. Elles sont toutes venues s'imprimer sur le disque dur de ma mémoire personnelle. Je pourrais vous raconter chaque tableau dans le détail. On ressort de Calacas comme "habité" et c'est assez merveilleux. C'est un spectacle qui se vit. Probablement que chacun le découvrira à sa manière, selon son vécu et sa sensibilité mais c'est une expérience que je vous recommande.

Vous aurez compris que j'ai adoré. Parce que si la mort est le thème principal il est traité de manière assez joyeuse. Avec un juste dosage de dérision, de religieux et de sacré, et quelques évocations de l'au-delà.

Une voix râpeuse souhaite la bienvenue au Zingaro. Vous allez voir le spectacle, si çà vous plait c'est pas mal, si çà vous plait c'est bien, si ça vous plait pas c'est le même prix ! On en rit, devinant qu'on ne sera pas dans le troisième cas de figure.
On vient de passer un moment dans la salle ronde à regarder les photos et les vidéos des spectacles précédents. On a pu prendre une collation. On pourra y dîner (sur réservation) après le spectacle. Certains soirs on peut discuter autour d'un feu (il sera allumé à la sortie).
On se sent dans un ailleurs, près des caravanes, où plus de 50 personnes vivent là comme dans un village. Nous sommes "lavés des problèmes de la journée." On grimpe les marches du fort construit par Patrick Bouchin et on aperçoit en contrebas, dans leur box, quelques-uns des 45 chevaux de la troupe.
Il donne une imagerie joyeuse de la mort. 
La scène est dans le noir quasi complet. Des gloussements suggère qu'une troupe de volailles picore dans la sciure. Des enfants pensent reconnaitre des pintades. De fortes odeurs émanent de la sciure. La même voix rappelle les interdits majeurs : cloper, fricoter et picoler pendant le spectacle, et pour les personnes assises au premier rang, de faire des mouvements intempestifs, même s'ils en prennent plein la tronche.

Avec la lumière, on découvrira des dindons qui ressusciteront pour moi un souvenir très vif, celui de Kusturica et du Temps des Gitans. Des clochettes, une procession, un cheval, des chevaux. Mais combien sont-ils s'étonne un enfant devant moi. Ah ... ils sont pleins ... Une incantation s'élève dans une langue qui me semble inconnue.
Un squelette se secoue, se redresse, se prosterne et ... faisant réagir les dindes. Surgit un cheval noir, queue nattées de multiples tresses, un aigle sur le dos, prêt à voler, à chasser, à provoquer la ruade.

Deux hommes orchestres prennent le relai, dansant et courant comme des chevaux, tournoyant en une sorte de valse ou exécutant une danse qui prend des allures de claquettes, alors que notre coeur absorbe les battements de leurs tambours. Les Dupont, en défi permanent, se répondent et s'entrainent. 

On pensera plus tard à la danse macabre du Moyen-Age, et surtout aux fêtes qui se pratiquent au Mexique où les enfants mangent des sucreries en forme de squelette, alors que les adultes vont boire un bon coup dans les cimetières.


Il faut vivre Calacas.
Ce n'est pas une histoire, mais un théâtre de vision et d'images dans lequel on perçoit de plus en plus de choses au fur et à mesure qu'on y pénètre. Avec une alternance de fulgurance comme un galop effréné d'un cheval blanc queue dressé ou des moments plus longs avec une poupée mécanique descendue d'un tableau de Toulouse-Lautrec pour danser le french cancan, une poursuite dans le far-west, des derviches tourneurs, une veuve en robe blanche faisant des huits avec des caporaux, une corrida, une course poursuite de landaus, beaucoup de contrastes.

L'apparition du cheval est parfois théâtralisée par la lumière, le maquillage (parfaitement), le costume (aussi ... avec une robe aux allures de squelette), ses caractéristiques physiques (un dalmatien).

Elle dégage une sensualité particulière. Notre oeil est surpris par les performances des cavaliers qui volent littéralement, et par celles des animaux, capables d'imiter les hommes et de danser. J'ai cru voir un cheval faire les pointes comme une ballerine, un autre balancer du popotin.

Le nouvel espace scénique sert la volonté de Bartabas de nous offrir un spectacle entre ciel et terre. Comme toutes les autres créations de Zingaro il a été écrit pour des gens et des chevaux qui auront disparu dans quelques années.

Il ne faut donc pas oublier que le spectacle vivant est un art éphémère malgré une éventuelle et faible trace vidéo. Il est donc urgent de se rendre au Fort d'Aubervilliers pour le vivre. Ne me dites pas que c'est un peu loin : vous n'aurez qu'une centaine de mètres à peine à faire depuis la sortie du métro (choisir "avenue Jean Jaurès").

Théâtre équestre Zingaro, 176 avenue Jean Jaurès, 93300 Aubervilliers jusqu'à fin février 2013

Puis en tournée à Mulhouse du 12 au 30 avril 2013 au Parc des expositions

A Genève du 29 mai au 7 juillet 2013 sous le Chapiteau Zingaro - Plaine de Plainpalais

A Bègles du 23 aout au 15 septembre 2013 également sous Chapiteau Zingaro
Les éditions Autrement ont publié en septembre 2012 le Manifeste de Bartabas pour la vie d'artiste. Il y écrit, avec la collaboration de Claude-Henri Buffard ce qu'il appelle l'aventure zingaresque, qu'il poursuit depuis un quart de siècle et dont on pense qu'elle ne se prolongera pas au-delà de lui.

Son analyse est fort juste quant aux exigences de la vie d'artiste, à son mode de vie et à la qualité de l'engagement de chacun. Après la sienne on y lit les contributions personnelles et intimes d'Alain Cavalier (cinéaste), Chris Christiansen (jongleur), Luis Francisco Espla (torero), Dominique Mercy (danseur), Ko Murobushi (danseur), Alain Passard (chef cuisinier), Ernest Pignon-Ernest (plasticien), Jack Ralite (homme politique), Christophe Soumillon (jockey), Alexandre Tharaud (pianiste) sans oublier Laurent Terzieff (comédien, portrait par André Velter) et Pina Bausch (danseuse et chorégraphe) avec qui il aurait pu mener un bout de chemin plus long si la vie ... ou la mort y avait consenti.

La photo de Bartabas est signée Philippe Baumann.

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