J'ai vu hier soir Qui es-tu Fritz Haber ? Voilà un de ces spectacles essentiels que l'on ne regrette pas d'avoir inscrit dans son emploi du temps.
Le sujet est difficile mais son traitement est universel. On se pose tous des questions semblables sur la religion, la science et la vie. Cela reste d'actualité : Peut-on faire de la science une religion ? Inversement, la science remet-elle en cause l’idée même de Dieu ? Qu’est-ce que la vérité scientifique ? Un scientifique peut-il s’affranchir de toute considération morale ? Le progrès scientifique est-il toujours un progrès pour l’humanité ?
Parfois ce type d'interrogations entraine des litanies bien pensantes ou culpabilisantes. Pas au Poche Montparnasse où les deux comédiens sont aussi persuasifs l'un que l'autre et je n'ai pas perdu une phrase de leurs joutes.
Initialement programmé jusqu'au 7 janvier, le spectacle -succès oblige- est prolongé jusqu'au 23 Février 2014 et son horaire est avancé à 19 heures, du mardi au samedi, le dimanche à 17h 30.
Des tintements d'assiettes et de couverts sur le cristal accompagnent l'installation du public. Nous sommes à Berlin, chez les époux Haber, tous deux chimistes, juifs et allemands, où vient de s'achever un dîner d'exception. L'action se situe en avril 1915, donc en pleine Première Guerre mondiale et si les dialogues ont été imaginés par Claude Cohen il n'empêche que les deux personnages ont réellement existé et que la tragédie fut bien réelle. Tous les faits relatés dans la pièce sont exacts. Le travail de recherche et d’écriture aura pris trois ans.
Des tintements d'assiettes et de couverts sur le cristal accompagnent l'installation du public. Nous sommes à Berlin, chez les époux Haber, tous deux chimistes, juifs et allemands, où vient de s'achever un dîner d'exception. L'action se situe en avril 1915, donc en pleine Première Guerre mondiale et si les dialogues ont été imaginés par Claude Cohen il n'empêche que les deux personnages ont réellement existé et que la tragédie fut bien réelle. Tous les faits relatés dans la pièce sont exacts. Le travail de recherche et d’écriture aura pris trois ans.
Fritz Haber se réjouit de s'être enfin régalé : rien à voir avec ce qu'on avale dans les tranchées ! Son épouse est d'emblée sur un autre terrain en resituant la soirée dans le contexte de la première utilisation du gaz chloré comme arme chimique pour détruire des vies humaines. Au fil de la soirée leurs désaccords se creusent sur la religion comme sur la conception morale du progrès scientifique. On assiste au drame d’un couple uni par la science mais déchiré par une conception opposée de l’humanité.
J'ai néanmoins écouté les dialogues avec une certaine distance pour mieux percevoir leur valeur universelle. Car ce type de joute est transposable à bien des découvertes.
L'Histoire, avec un grand H, confirme que ces gaz furent à l’origine de milliers de morts parmi les soldats français et eurent à plus long terme des conséquences tragiques, avec d'autres déclinaisons tristement célèbres comme le Zyklon B. Cela Clara ne peut pas le savoir mais on perçoit qu'elle devine combien les travaux de son mari vont engendrer de catastrophes.
Et le spectateur, pris par l'action, se met à douter. Certes toute guerre s'accompagne d'atrocités. Fritz porte l'uniforme. Son patriotisme est sans bornes. Il repose sur un besoin de reconnaissance que sa femme pointe en lui rappelant qu'il a changé son prénom de Jacob en Fritz avant de se faire baptiser dans le culte protestant. On sait combien la judaïté est une entrave dans sa carrière universitaire, dans une Allemagne où l’antisémitisme est fort, même s'il est sans commune mesure avec les proportions que l'on connaitra une trentaine d'années plus tard.
Sa démonstration est troublante : tous les moyens sont bons dès lors qu'ils sont efficaces. Si l'emploi de ce gaz peut accélérer la victoire il aura permis en quelque sorte de limiter les pertes humaines. Et bien entendu il recevra les honneurs qu'il estime mériter. Fritz odieux apprécie d'être aux commandes sur ce champ d'application extraordinaire qu'est la guerre (son budget a été multiplié par 5 et il ne touche plus terre, comme on dirait vulgairement). Il est sûr de lui ... jusqu'à ce qu'un coup de fil le déstabilise un instant. Il a commis une erreur mais il est prêt à partir sur le front pour réviser ses calculs.
Isabelle Andréani est Clara Immerwahr-Haber. La comédienne a déjà travaillé plusieurs fois sous la direction du metteur en scène et ils se sont donnés longuement la réplique dans Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée de Musset. Le couple qu'ils forment sur scène est totalement crédible.
Clara Immerwahr, l’épouse de Fritz Haber, est également chimiste de formation. En cette soirée d'avril 1915 c'est la mère de famille qui s'exprime devant nous. Elle vit désormais dans l’ombre de son mari et ne se consacre plus qu'à l’éducation de leur fils Hermann, et aux tâches domestiques. On apprend au fil de leur conversation qu'elle fut la première femme (et juive de surcroit) diplômée d’une université allemande. Elle a reçu un doctorat de l’université de Breslau. Ses démonstrations, d'abord fragiles et passionnelles, s'affinent et s'argumentent.
On comprend aussi qu'elle tente autant de protéger l'humanité que son mari. Elle cherche à le dissuader pour le sauver mais il n'entend rien, aveuglé par son patriotisme, son ambition et le machisme ambiant. Admirable de courage, elle défendra ses convictions jusqu’au bout d’elle-même... mais son suicide ne provoquera aucune remise en cause chez Fritz qui s'aveugle sur ce qui ne serait qu'un problème de couple si on se limite à la colère de Clara qui ne veut plus porter son nom.
Encore une fois non seulement les faits historiques sont exacts, mais le couple a réellement existé et fonctionné ainsi. Le geste de Clara a été expliqué par la folie. Leur contemporains n'auraient pas pu admettre une autre version.
C'est la pièce de Claude Cohen qui permet une relecture de la tragédie familiale. Avec toutes les conséquences (positives) sur la descendance du couple. Le hasard a fait que j'ai assisté à la représentation le même soir que l'arrière-petite-fille de Clara (photographiée ci contre) qui a fait part de son soulagement à comprendre que son aïeule était dans le vrai, et non une folle furieuse. La honte a changé de camp.
On peut prolonger la réflexion par la lecture de l'Invention de nos vies de Karine Tuil publié cet été chez Grasset. On y retrouve des traits communs sur les motivations à réussir sa vie pour celui qui se sent victime (comme Fritz) de ses origines, de son histoire ou de son éducation.
J'ai néanmoins écouté les dialogues avec une certaine distance pour mieux percevoir leur valeur universelle. Car ce type de joute est transposable à bien des découvertes.
Fritz Haber (1868-1934) est magistralement interprété par Xavier Lemaire qui est aussi le metteur en scène de la pièce. Alors que de prime abord sa culpabilité est évidente (le public ne peut que se situer du coté de Clara au début de la pièce) l'art du comédien est de faire vivre la dualité de son personnage.
On comprend vite que le chimiste a développé, quelques années plus tôt, un procédé de synthèse directe de l’ammoniac à partir d’hydrogène et d’azote atmosphérique. Cette découverte primordiale, vitale même, a favorisé l’intensification des productions agricoles grâce aux engrais azotés. Grâce à ses recherches des populations entières purent être alimentée et cela lui vaudra le Prix Nobel de chimie.
Malheureusement cette même découverte a fait de lui le père de l'arme chimique. En effet, depuis 1914, il travaille à la demande du gouvernement allemand, à la mise au point de gaz toxiques, notamment à l’emploi du sulfure d’éthyle dichloré comme gaz de combat dont les vapeurs toxiques sont plus connues sous le nom d’"ypérites".
Et le spectateur, pris par l'action, se met à douter. Certes toute guerre s'accompagne d'atrocités. Fritz porte l'uniforme. Son patriotisme est sans bornes. Il repose sur un besoin de reconnaissance que sa femme pointe en lui rappelant qu'il a changé son prénom de Jacob en Fritz avant de se faire baptiser dans le culte protestant. On sait combien la judaïté est une entrave dans sa carrière universitaire, dans une Allemagne où l’antisémitisme est fort, même s'il est sans commune mesure avec les proportions que l'on connaitra une trentaine d'années plus tard.
Sa démonstration est troublante : tous les moyens sont bons dès lors qu'ils sont efficaces. Si l'emploi de ce gaz peut accélérer la victoire il aura permis en quelque sorte de limiter les pertes humaines. Et bien entendu il recevra les honneurs qu'il estime mériter. Fritz odieux apprécie d'être aux commandes sur ce champ d'application extraordinaire qu'est la guerre (son budget a été multiplié par 5 et il ne touche plus terre, comme on dirait vulgairement). Il est sûr de lui ... jusqu'à ce qu'un coup de fil le déstabilise un instant. Il a commis une erreur mais il est prêt à partir sur le front pour réviser ses calculs.
Isabelle Andréani est Clara Immerwahr-Haber. La comédienne a déjà travaillé plusieurs fois sous la direction du metteur en scène et ils se sont donnés longuement la réplique dans Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée de Musset. Le couple qu'ils forment sur scène est totalement crédible.
Clara Immerwahr, l’épouse de Fritz Haber, est également chimiste de formation. En cette soirée d'avril 1915 c'est la mère de famille qui s'exprime devant nous. Elle vit désormais dans l’ombre de son mari et ne se consacre plus qu'à l’éducation de leur fils Hermann, et aux tâches domestiques. On apprend au fil de leur conversation qu'elle fut la première femme (et juive de surcroit) diplômée d’une université allemande. Elle a reçu un doctorat de l’université de Breslau. Ses démonstrations, d'abord fragiles et passionnelles, s'affinent et s'argumentent.
On comprend aussi qu'elle tente autant de protéger l'humanité que son mari. Elle cherche à le dissuader pour le sauver mais il n'entend rien, aveuglé par son patriotisme, son ambition et le machisme ambiant. Admirable de courage, elle défendra ses convictions jusqu’au bout d’elle-même... mais son suicide ne provoquera aucune remise en cause chez Fritz qui s'aveugle sur ce qui ne serait qu'un problème de couple si on se limite à la colère de Clara qui ne veut plus porter son nom.
Encore une fois non seulement les faits historiques sont exacts, mais le couple a réellement existé et fonctionné ainsi. Le geste de Clara a été expliqué par la folie. Leur contemporains n'auraient pas pu admettre une autre version.
C'est la pièce de Claude Cohen qui permet une relecture de la tragédie familiale. Avec toutes les conséquences (positives) sur la descendance du couple. Le hasard a fait que j'ai assisté à la représentation le même soir que l'arrière-petite-fille de Clara (photographiée ci contre) qui a fait part de son soulagement à comprendre que son aïeule était dans le vrai, et non une folle furieuse. La honte a changé de camp.
On peut prolonger la réflexion par la lecture de l'Invention de nos vies de Karine Tuil publié cet été chez Grasset. On y retrouve des traits communs sur les motivations à réussir sa vie pour celui qui se sent victime (comme Fritz) de ses origines, de son histoire ou de son éducation.
Qui es-tu Fritz Haber ? au Théâtre de Poche Montparnasse
D’après Le Nuage vert de Claude Cohen
Mise en scène Xavier Lemaire
Avec Isabelle Andréani et Xavier Lemaire
Décors, Caroline Mexme
Costumes, Rick Dijkman
Scénographie, lumières, Stéphane Baquet
Musique, Régis Delbroucq
Production Famprod et coréalisationThéâtre de Poche-Montparnasse
Le texte de la pièce est paru aux éditions Ovadia (2011).
Reprise au Studio Hébertot à partir du 23 novembre 2016
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Lot.
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