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jeudi 26 décembre 2013

Andersen au Vietnam fin décembre au Quai Branly ... une pure merveille !

Le Quai Branly propose encore un spectacle hors du commun pour les fêtes de fin d'année. Je l'ai vu aujourd'hui et je le recommande aussi bien pour les petits que pour les adultes.

Y aller à la représentation de 17 heures permet de poursuivre sur une rencontre au bord de l'eau avec les artistes et de remonter à l'air libre pour découvrir les jardins éclairés dans une gamme de turquoises et de roses.

Pour ceux qui ne le connaissent pas c'est magique. Et le contraste est très fort entre les jardins en plein jour (plutôt dépouillés en cette saison) et la nuit. Ils sont alors féériques, surtout lorsqu'on les regarde depuis la rue de l'Université, derrière laquelle émerge la Tour Eiffel.

Ce type de spectacle a déjà été présenté au musée du Quai Branly,  en 2012 avec Le Maître des marionnettes, par le metteur en scène Dominique Pitoiset qui avait fait une relecture d’un spectacle de marionnettes sur l’eau du Vietnam, et qui fut un succès.

Andersen au Vietnam obéit en quelque sorte à une démarche strictement inverse. Ngô Quynh Giao, à la fois sculpteur et metteur en scène, adapte, pour les marionnettes du Théâtre de Hanoi, trois des célèbres contes d’Andersen qui font partie de l’imaginaire collectif européen. Dominique Pitoiset est associé mais cette fois pour les lumières tandis que la musique est composée par Henry Torgue. Il est présenté en exclusivité à Paris, en ouverture de la saison du Vietnam en France (2014).

Dans l’eau d'un bassin installé sur la scène, neuf marionnettistes actionnent et donnent vie, suivant les techniques traditionnelles, à des marionnettes de bois créées pour le spectacle et inspirées des personnages d’Hans Christian Andersen. Ngô Quynh Giao a revu à la mode vietnamienne le Petit soldat de plomb, le Vilain petit Canard et la Petite Sirène.

L'idée est excellente. Parce que le public se trouve d'abord en terrain de connaissance, surtout pour le second conte, ultra connu, même par les très jeunes enfants. Cela permet d'adhérer à cet art de la marionnette et d'en apprécier des caractéristiques insolites. Les personnages multiplient les cabrioles et les éclaboussures. Ils peuvent surgir et créer l'effet de surprise. Enfin l'histoire est légèrement revue et corrigée de manière à instaurer une forme de suspense, très loin des clichés véhiculés par les dessins animés.


Au commencement une réplique d'une pagode rappelle l'origine vraisemblablement religieuse de ce théâtre d'objets.

Quelques chants d'oiseaux. Une manipulatrice traverse le rideau de perles (là encore c'est un parti pris de mise en scène fort intéressant car il suggère le travail des marionnettistes sans tout dévoiler alors qu'au Vietnam le rideau de bambou est parfaitement opaque) avec une tortue. Leur dialogue, en vietnamien, installe la représentation. La traduction défile sur un écran au-dessus de la scène, et c'est peut-être la seule limite pour les jeunes enfants qui ne sont pas encore capables de lire.

On se doit d'être conciliant pour les parents qui font la lecture simultanée ....
Il sont vingt-cinq soldats de plomb dans le conte. L'adaptation est proportionnée au nombre de marionnettistes, neuf, et six figurines déboulent en fanfare. Le dernier, unijambiste par défaut de fabrication, tombera sous le charme d'une danseuse de carton qui comme lui, se déplace sur une seule pointe.

Cet après-midi les enfants s'exprimaient sans réserve et certains ont cru reconnaitre une "sirène" ... Les  couleurs d'Andersen sont respectées mais les visages ont les yeux en amande. Quelques fantaisies ont été voulues par l'équipe artistique avec la présence des diablotins, des serpents et des flammes.

La manipulation autorise beaucoup de galipettes et le bruit de l'eau ajoute une note d'exotisme. L'idée du bateau de papier est magnifique. On partage la mélancolie de la danseuse qui se languit de son amoureux. Belle alternance des musiques, douces ou rythmées, des lumières bleutées ou rougeoyantes qui se reflètent sur le bassin.
La tortue revient pour annoncer le deuxième tableau. Cela sent un peu le brûlé. L'univers aquatique convient parfaitement au canard qui nage en se dandinant tout en chantant. L'éclosion des oeufs révèle un oison "pas pareil, pas comme nous".

Une neige se déverse sur un arbre dénudé avec beaucoup de poésie. dans quelques minutes il se couvrira de feuilles comme par magie et ce sera déjà le printemps.

Tchaikovsky résonne avec naturel. La musique du Lac des cygnes est si nostalgique ... et si célèbre aussi. Elle se fond à merveille dans la trentaine de morceaux conçus par Henry Torgue.
Le troisième tableau est le plus étonnant. On découvre la Petite Sirène sous un autre angle, victime d'une très méchante sorcière et de son crapaud. Ses ricanements se passent de traduction. Et c'est cette rencontre qui a été retenue pour l'affiche du spectacle.

C'est à la vraie fin que nous assistons, avec la transformation de l'héroïne en écume de mer, comme l'a voulu Andersen.
A la fin les artistes soulèvent le voile et viennent saluer dans la pénombre. Leur jeunesse est flagrante.

La rencontre avec le concepteur du projet Jean Luc Garnier (à gauche sur la photo), le musicien Henry Torgue (extrême droite) et le chef de troupe Nguyen Tien Dung apporte des éléments de compréhension complémentaires.

Il nous a été expliqué que si Ngô Quynh Giao et Nguyen Tien Dung sont partis d'Andersen il se sont raconté leur propre version.
Le corps des marionnettes est en bois donc fragile. Il est léger (parfois combiné avec un flotteur) mais pas imputrescible. Leur taille est de 10 à 75 centimètres, selon les figurines. Il faut savoir qu'elles ne résistent pas à plus d'une centaine de représentations. Les manipulations s'effectuent au moyen d'une perche de bambou et l'exercice est assez physique même si la poussée d'Archimède est une petite aide.

A une époque où l'électronique domine le monde du spectacle il est heureux de pouvoir encore voir des représentations d'une telle simplicité. Ainsi les feuilles qui tombent sont tenues par des pinces, les mêmes que celles que les peintres emploient pour fixer le Canson.

Monsieur Dung révèle en souriant quelques unes des astuces modernes, comme une bouteille à l'intérieur du crapaud que le marionnettiste actionne à l'aide d'un piston pour le faire cracher.

Il y a d'ailleurs dans la troupe un préparateur qui aménage sans relâche les marionnettes pour qu'elles fonctionnent toujours mieux. Il en faut plus d'une centaine pour monter un tel spectacle.

Cet art est très ancien (il remonte au 11e siècle) et il s'est transmis dans le secret avec pendant longtemps une interdiction faite aux femmes ... Il est particulier à la région d'Hanoï, dans un rayon restreint d'une cinquantaine de kilomètres. Son origine est incertaine et a pris racine en Chine ou en Inde, avec une vocation première vraisemblablement religieuse. les villages de sculpteurs travaillaient aussi bien pour faire des statues religieuses que des marionnettes.

Il a fallu beaucoup d'effort aux acteurs culturels vietnamiens et à des opérateurs étrangers pour le faire renaitre d'autant que quatre années d'exercice sont indispensables avant de parvenir à les manipuler correctement. Cinq ou six troupes l'exercent aujourd'hui, avec une orientation principalement touristique, ce que l'on peut regretter. Le Théâtre National des Marionnettes sur l’eau du Vietnam a pour objectif de tirer cet art vers le haut en l'inscrivant dans le dialogue des cultures plutôt que dans l'axe touristique.

Le prochain projet consiste à adapter Pinocchio, ou les Fables de la Fontaine, toujours en s'appropriant le concept. Ce serait un beau cadeau de Noël pour les prochaines années ...

Andersen au Vietnam
Conception du projet : Ngô Quynh Giao et Jean-Luc Larguier
Mise en scène : Ngô Quynh Giao et Nguyen Tien Dung
Création et sculpture des marionnettes : Ngô Quynh Giao 
Création musicale : Henry Torgue
Création lumière : Christophe Pitoiset
Artistes du Théâtre national des marionnettes sur eau du Vietnam – Hanoi :
Nguyen Tien Dung (chef de troupe), Nguyen Thuy Trang, Nguyen The Long, Pham Thu Hang, Hoang Thi Kim Thoa, Tran Quy Quoc, Tran Minh Toan, Vu Thanh Tung, Nguyen Lan Huong, Doan Ngoc Nen.

Les 26, 27, 28, 29 et 30 décembre, à 14h et 17h
au Théâtre Levi Strauss du Musée du Quai Branly, 75007 Paris
Le spectacle sera traduit en langue des signes française (LSF) le vendredi 27 et samedi 28 décembre à 14h, ainsi que le dimanche 29 et lundi 30 décembre à 17h.
Réservations au 01 56 61 71 72, du lundi au vendredi de 10h à 16h30.
Rencontre avec les artistes en bord de scène, à l'issue de chaque représentation de 17h
Plus de renseignements sur la page dédiée du musée
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de © François Carlet Soulages - Agence NOI Hanoi pour Interarts

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