(mise à jour 31 décembre 2013)
Pour le grand public Robert Doisnau est le photographe du Baiser de l'hotel de ville ou d'écoliers malicieux. Pour les connaisseurs il est celui que Vogue ou Fortune payait un pont d'or pour sublimer les modèles de Dior, tirer le portrait de Picasso ou de richissimes américains.
D'un coté le pur bonheur, saisi dans son instantanéité. De l'autre le paradis factice, et le rêve imposé.
Il exerçait deux métiers. L'homme public était photographe de mode, acceptant des travaux alimentaires pour faire vivre sa famille. L'homme privé pratiquait, presque en amateur, une sorte d'anthropologie des éreintés.
Il a toute sa vie été tiraillé entre le désir, non pas de s'élever socialement mais de vivre dans des lieux d'exception. Et c'est en l'écoutant parler de son métier que j'ai compris le message que son oeuvre nous transmet.
Il aurait voulu vivre la vie de château. Pas pour se la couler douce. On le constate dans les clichés qu'il a faits à Palm Springs en 1060. Le luxe y est au mieux kitchissime, au pire ridicule. Même le milliardaire le plus digne, celui du Miroir de la salle de bains, suinte le désœuvrement, la vacuité ...
La vie de château ç'aurait été pour apprendre l'astronomie, la philosophie, la musique. Le destin n'a pas voulu cela pour le jeune Robert qui a passé ses jeunes années dans les ruisseaux de Gentilly et les rues populaires qui étaient les terrains de jeux des bandes d'enfants. Il n'y était donc jamais seul. Et tous les enfants qu'il a immortalisés plus tard sur les pavés mouillés ou devant les façades lézardées font figure d'autoportraits.
Quand il parlait de sa jeunesse, Robert Doisneau estimait qu'il n'avait pas eu l'enfance qu'il méritait. Du coup il avait envie que les choses changent pour tous ceux qu'il désignait sous l'expression des éreintés de la vie.
Alors, inlassablement, dès qu'il parvenait à se libérer de ses obligations alimentaires, il partait à la recherche des sans logis, des anciens taulards, des tatoués, des souteneurs, des prostituées... qu'ils appelaient les infirmières de l'amour. C'était le plus souvent le soir. Il pouvait attendre des heures s'il le fallait que se présente le bon moment pour immortaliser l’aura des petites gens. C'était tout ce qu'il pensait pouvoir faire et c'était déjà quelque chose.
Jamais Robert Doisneau n'a volé une âme. Il revenait le lendemain dans le bar où il avait fait des photos la veille pour déposer un tirage à l'attention des héros anonymes, comme on dit aujourd'hui. La légende des clichés indiquait toujours leur prénom ou leur nom.
Leçon de subjectivité photographique
Robert Doisneau a beaucoup photographié la banlieue grise. Il y voyait une juxtaposition de décors de rajouts, de creux et de déboulis qu'il avait en horreur. Mais il ne cessait de les arpenter. Et quand il pensait en avoir fini il suffisait que Blaise Cendrars lui réclame des clichés de la cote de Villejuif ou des baraques de gitans pour qu'il se remette en route.
Il préférait travailler en solitaire, un peu en cachette, et sans demander d'autorisation pour officier dans les lieux publics. C'est en n'ayant pas de témoin qu'il pouvait réaliser les meilleurs clichés. Il délimitait un cadre, qu'il nommait "mon petit théâtre" et il attendait que les gens viennent se mettre dedans, un peu comme l'araignée guette ses proies. Jacques Prévert avait sa propre formule : Robert installait son miroir à alouettes, sa piégerie de braconnier.
Il pouvait ainsi patienter deux heures jusqu'à ce que la fatigue le pousse à songer à abandonner la planque ... En général il patientait encore quelques secondes et la malice voulait qu'alors il se passe quelque chose, faisant coïncider le cadre et la scène.
Il se défend d'avoir mis en scène ses prises de vue même s'il lui arrivait de demander aux protagonistes de reprendre leur position pour immortaliser une nouvelle fois l'instant furtif construit, selon sa propre expression. Il justifie sa position par le fait qu'il était là "avant" le bon moment, par une sorte d'anticipation. Ce fut le cas bien entendu pour le fameux Baiser de l'hôtel de ville, réalisé pour une commande de Life, en 1950 et qui deviendra sa photo la plus célèbre. C'est un tirage moderne que vous découvrirez sous vitrine dans la dernière salle de l'exposition, sous une vitrine à coté d’épreuves vintages.
A coté des clichés célèbres on en découvre de moins connus comme le Cheval tombé (1942) par un hiver d'une dureté incroyable ou Liqueurs - Gentilly (1943) ou encore le Manège de Monsieur Barré (Paris - 1954) sous une pluie battante.
Il a photographié la guerre et la Libération. A ce moment là sa pellicule ne lui permettrait de ne réaliser que 20 clichés. Pour chacun il s'interrogeait : cela vaut-il le coup ? N'oublions pas qu'alors on travaillait sur argentique et qu'on ne pouvait pas effacer une prise. Plus tard il sera heureux de n'avoir pas osé refuser aux militaires les photos qu'il a prises et qui ont pris une valeur de témoignage en raison de la rareté de tels clichés qui témoignent de leur jeunesse, de leur armement, de leurs trombines ...
S'il affirme avoir travaillé seul, il eut toutefois des poissons pilote pour le guider dans ses pérégrinations et il fit des livres avec chacun d'eux. Robert Giraud, son compagnon explorateur des zincs, Blaise Cendrars, qu'il rencontra à Aix-en-Provence et qu'il surnommait le menhir, Jacques Prévert qui lui fit découvrir le Canal Saint-Martin, un quartier qu'il trouva exotique comparativement à la banlieue sud. Il fut fasciné par les engrenages des "roues de la fortune" du Pont de Crimée.
S'il affirme avoir travaillé seul, il eut toutefois des poissons pilote pour le guider dans ses pérégrinations et il fit des livres avec chacun d'eux. Robert Giraud, son compagnon explorateur des zincs, Blaise Cendrars, qu'il rencontra à Aix-en-Provence et qu'il surnommait le menhir, Jacques Prévert qui lui fit découvrir le Canal Saint-Martin, un quartier qu'il trouva exotique comparativement à la banlieue sud. Il fut fasciné par les engrenages des "roues de la fortune" du Pont de Crimée.
Les formules de Jacques Prévert le ravissaient. Il adora courir avec lui dans les rues avec un manteau de fou rire. Il l'approuvait quand il lui faisait remarquer que les quartiers les plus pauvres ont les plus jolis noms. Il l'admirait pour son irrespect nécessaire.
C’est à l’Atelier Doisneau – l’ancienne maison familiale de Montrouge – que sont organisées et gérées les archives par les deux filles de Robert Doisneau, Annette et Francine. La commissaire de l'exposition Agnès Sire y a choisi les clichés de l'exposition parmi un fonds de 450 000. Elle salue la grande ouverture d’esprit et l'enthousiasme avec lequel ce projet a été accueilli, peut-être parce que son approche de l’œuvre n'était pas classique.
Le choix des clichés témoigne du goût du photographe pour les plans d'ensemble et en plongée, ce qui provoque un effet mélancolique, voire dramatique. Ci-dessous Le lancer de tracts (1944).
Le choix des clichés témoigne du goût du photographe pour les plans d'ensemble et en plongée, ce qui provoque un effet mélancolique, voire dramatique. Ci-dessous Le lancer de tracts (1944).
A quelques exceptions les tirages qui sont accrochés à Campredon sont des tirages d'époque. Il travaillait au format 6 x 6 dans la plupart des cas. Les images étaient recadrées ensuite pour s’adapter aux pages des publications. Une image peut se présenter sous de multiples versions, bien que tirées par l’auteur, et rarement bien sûr dans son format carré initial. La conception du fameux "rectangle" a fait couler beaucoup d’encre.
Amené à faire le bilan de son oeuvre Robert Doisneau estimait qu'il n'avait qu'égratigné certains sujets. Il a regretté de n'avoir pas témoigné sur les conditions de vie des mineurs, des pêcheurs, d'avoir effleuré celles des ouvriers. Il travaillera pour Renault 5 ans à partir de 1934, à une époque où il n'y avait ni garages à vélo, ni douches (les visages sont très noircis de poussière) et où le cadre de travail était encore médiéval.
Amené à faire le bilan de son oeuvre Robert Doisneau estimait qu'il n'avait qu'égratigné certains sujets. Il a regretté de n'avoir pas témoigné sur les conditions de vie des mineurs, des pêcheurs, d'avoir effleuré celles des ouvriers. Il travaillera pour Renault 5 ans à partir de 1934, à une époque où il n'y avait ni garages à vélo, ni douches (les visages sont très noircis de poussière) et où le cadre de travail était encore médiéval.
Il devait photographier les chaînes de montage et ce travail ne le réjouissait pas. Curieusement il appréciait de s'évader avec quelques dactylos en les faisant jouer les actrices dans les lieux à la mode du Bois de Boulogne pour en ramener des clichés publicitaires.
Finalement Robert Doisneau a toujours été tiraillé entre deux mondes.
Palm Springs photographiés comme une banlieue
Depuis l’après guerre Robert Doisneau a travaillé régulièrement avec la presse américaine, le New York Times, Life ou Fortune. Ses images sont également entrées au Musée. En 1948 il a participé à une exposition sur la photographie française à New York avec Edouard Boubat, André Papillon, Willy Ronis. En 1951 c’est au prestigieux MoMA de New York qu’il est exposé en compagnie de Brassai, Willy Ronis, Henri Cartier-Bresson et Izis.
Ce n'est pourtant que le 19 novembre 1960, qu'il va traverser l’Atlantique pour réaliser un reportage pour le magazine Fortune. Thème du reportage : la construction de golfs à Palm Springs, refuge des riches retraités américains dans le désert du Colorado.
Au delà de l’empiètement des greens sur un territoire aride, il dresse un portrait amusé d’une planète artificielle repeinte aux couleurs les plus suaves. Il utilise tout à tour un Rolleiflex, un Leica et un Hasselblad et, pour la première fois se sert de la pellicule couleurs à des fins résolument esthétiques.
Il est probable que s'il avait continué à employer du noir et blanc le coté artificiel de ce paradis n'aurait pas eu la même intensité.
Trente tirages de cette série réalisés sous diasec ou contrecollés sur dibon à la manière de la photographie la plus contemporaine sont accrochés sur des murs repeints en rose vif pour l'occasion et pour faire contraste avec la centaine de photos des salles précédentes.
Ce n'est pourtant que le 19 novembre 1960, qu'il va traverser l’Atlantique pour réaliser un reportage pour le magazine Fortune. Thème du reportage : la construction de golfs à Palm Springs, refuge des riches retraités américains dans le désert du Colorado.
Au delà de l’empiètement des greens sur un territoire aride, il dresse un portrait amusé d’une planète artificielle repeinte aux couleurs les plus suaves. Il utilise tout à tour un Rolleiflex, un Leica et un Hasselblad et, pour la première fois se sert de la pellicule couleurs à des fins résolument esthétiques.
Il est probable que s'il avait continué à employer du noir et blanc le coté artificiel de ce paradis n'aurait pas eu la même intensité.
Trente tirages de cette série réalisés sous diasec ou contrecollés sur dibon à la manière de la photographie la plus contemporaine sont accrochés sur des murs repeints en rose vif pour l'occasion et pour faire contraste avec la centaine de photos des salles précédentes.
Ce Pêcheur au gros cigare n'est pas nécessairement une icône du bonheur. Il suffit de regarder la ligne d'horizon qui, comme sur la photo précédente, témoigne de la faible profondeur de champ du "paradis".
Cette Voiture blanche et pinceau ne manque pas d'humour. on reconnait le regard Doisneau en s'interrogeant sur le nombre de minutes d'attente pour capter cet instant. Vue de loin elle intrigue, évoquant presque un oiseau ... C'est l'affiche de l'exposition.
Les cygnes gonflables sous le regard du surveillant de baignade sont drôles mais ils dégagent une forme de pathétisme.
Doisneau sombre et invisible
Cette Voiture blanche et pinceau ne manque pas d'humour. on reconnait le regard Doisneau en s'interrogeant sur le nombre de minutes d'attente pour capter cet instant. Vue de loin elle intrigue, évoquant presque un oiseau ... C'est l'affiche de l'exposition.
Les cygnes gonflables sous le regard du surveillant de baignade sont drôles mais ils dégagent une forme de pathétisme.
Doisneau sombre et invisible
La sélection de 100 épreuves originales noir et blanc, intitulée "Du métier à l’œuvre", a été créée en 2010, pour la Fondation Henri Cartier Bresson sous le commissariat d’Agnès Sire. Choisies parmi les trésors de l’Atelier Robert Doisneau, ces images ont été réalisées entre 1930 et 1966, à Paris et dans sa banlieue.
Cette œuvre est sombre, à commencer par ses premières images, comme Les pavés (ci-dessus à gauche) réalisés en 1929 et La chambre de Gentilly, prise en 1930, (qui ici est un tirage 2011), où l’apprenti photographe dénonçait déjà l’univers petit-bourgeois qu’il exécrait. D'une grande timidité il préférait alors photographier les objets de la rue, les lanternes et les chantiers. Un peu plus tard il osa s'approcher des enfants. Son intérêt pour les adultes vint encore plus tard.
On retrouve les clichés légendaires pris aux Halles de Paris, au Pavillon de la viande en 1955, ou ceux du Bal du 14 juillet à la Bastille, ainsi qu’un choix de portraits célèbres d’enfants et de personnages pittoresques que le photographe a rencontrés au gré de ses déambulations : "Le petit tzigane de Montreuil", "L’enfant papillon", "Coco", "Richardot", et "Mademoiselle Anita" ... (ci-dessous)
Il aimait beaucoup cette photo prise à La Boule rouge en 1951. Anita y était une jeune femme presque insignifiante jusqu'à ce qu'il ose lui demander d'enlever son boléro, laissant apparaitre une chrysalide. C'est un des rares clichés où on aperçoit la silhouette du photographe dans le miroir. Car jamais il n'acceptait de se montrer.
C'est celle-ci qui fit la une de Libération le 1er avril 1994 pour annoncer son décès avec comme titre : Anita est seule désormais.
En complément de l'exposition il faut voir le film de Patrick Jeudy, "Robert Doisneau, tout simplement", édité en 2012 aux éditions Montparnasse. On y entend la voix de Doisneau commenter ses principaux clichés, environ 700, dont certains se trouvent en ce moment à Campredon. Je n'en ai vu que la première moitié lors de mon passage au Centre (il ferme à l'heure du déjeuner) mais j'ai eu la chance de le trouver en médiathèque ensuite et de terminer le visionnage. C'est passionnant et je vous le recommande. C'est un cadeau intelligent.
C'est celle-ci qui fit la une de Libération le 1er avril 1994 pour annoncer son décès avec comme titre : Anita est seule désormais.
En complément de l'exposition il faut voir le film de Patrick Jeudy, "Robert Doisneau, tout simplement", édité en 2012 aux éditions Montparnasse. On y entend la voix de Doisneau commenter ses principaux clichés, environ 700, dont certains se trouvent en ce moment à Campredon. Je n'en ai vu que la première moitié lors de mon passage au Centre (il ferme à l'heure du déjeuner) mais j'ai eu la chance de le trouver en médiathèque ensuite et de terminer le visionnage. C'est passionnant et je vous le recommande. C'est un cadeau intelligent.
... humaniste et ... facétieux aussi
L'homme discret qui se montrait si peu avait mis ses compétences de graveur au service de la Résistance en faisant de nombreux faux papiers. Il était aussi capable de beaucoup d'humour comme en témoigne le montage ci-dessous (1962), posé sous vitrine à coté du Baiser.
Il adorait les trucages et excellait dans les photographies publicitaires.
Le centre est installé dans L’hôtel Donadéï de Campredon, une demeure du XVIIIe siècle en partie protégée au titre des Monuments Historiques depuis 1979. Elle a été édifiée en 1746, le long de l’actuel quai Frédéric Mistral, pour Charles-Joseph de Campredon, issu d’une vieille famille de propriétaires terriens dont les origines remontent au XIVe siècle.
Les plans en furent commandés à Esprit Joseph Brun, appelé aussi Brun Cadet, devenu en 1736 le gendre de Jean-Baptiste Franque. Architecte l’islois de très grande qualité, on lui doit de nombreuses réalisations à L’Isle-sur-la-Sorgue, mais aussi à Aix-en-Provence et à Marseille dont le château Borely.
Robert Doisneau, Du métier à l'œuvre // Palm Springs, 1960
Exposition du 26 Octobre 2013 au 8 Février 2014
Autour de l'exposition :
- Projection à l'auditorium du film de Patrick Jeudy, "Robert Doisneau, tout simplement" (67')
- Ateliers photo, animés par Christine Cornillet, les samedis 16, 23, 30 novembre et 7 décembre à 10h00
- Visites pour les scolaires le jeudi à partir du 14 novembre à 9h, 10h, 14h et 15h
- Visite enseignants le mercredi 6 novembre à 14h
- Visite guidée les samedis 9 novembre et 7 décembre 2013 ; 11, 18, 25 janvier 2014 à 15h00
Campredon Centre d'art, 20, rue du Docteur Tallet
BP 50038 – 84801 L'Isle-sur-la-Sorgue cedex 01
Tél. 04 90 38 17 41
L'Isle-sur-la-Sorgue est aussi connue pour ses antiquaires et brocantes, cent cinquante à ce qu'on m'a dit. De quoi meubler et décorer tous les types d'intérieurs.
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