John Boyne est l’auteur multi-primé de treize romans traduits en 47 langues, dont La Maison Ipatiev (L’Archipel, 2011), ainsi que de nouvelles et d’articles. On lui doit des romans pour la jeunesse dont Mon père est parti à la guerre (Gallimard, 2014) et Le Garçon au pyjama rayé (Gallimard, 2009), roman vendu à 6 millions d’exemplaires dans le monde et adapté au cinéma par Mark Herman. Critique de livres pour l’Irish Times, il réside toujours à Dublin où il est né en 1971.
Je l'ai rencontré à l'occasion de la sortie en France du Secret de Tristan Sadler, un roman pour adultes ayant pour cadre la Première Guerre mondiale.
Très franchement je n'en peux plus qu'on me serine sans relâche ce devoir de mémoire qui a pourri tant de choses dans ma propre vie. Mais je dois convenir que John Boyne me réconcilie avec le sujet même si j'ai fait un détour pour découvrir cet auteur, en me plongeant dans ses livres écrits pour la jeunesse.
Le premier se déroulait au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Le Garçon en pyjama rayé pourrait bien un jour rejoindre Anne Frank dans les grands classiques. Il est ensuite remonté plus loin dans le temps avec Mon père est parti à la guerre. Il s'est attelé à restituer le climat qui régnait en Angleterre au cours de la Première. Ce n'est que tout récemment qu'il s'adresse aux adultes avec un roman ayant pour toile de fond cette même époque, marquée par la Grande Guerre.
Le Garçon en pyjama rayé
John Boyne construit une fiction qui fait froid dans le dos pour nous adultes qui connaissons l'Histoire, avec une grand H, dans tout ce qu'elle a eu de terrible. Il a beau achever le roman sur une affirmation optimiste on n'est pas rassuré pour autant : Rien de semblable ne pourrait plus arriver. Pas de nos jours.
Bruno est un petit garçon ordinaire de 8 ans, qui savoure des plaisirs simples. Quand son père impose de quitter leur grande et fort agréable maison berlinoise pour un pavillon isolé dans une forêt tout ce qu'il trouve à dire c'est qu'il pense que c'est une mauvaise idée. Qu'il faut oublier tout cela, rentrer à la maison et mettre le déplacement sur le compte de l'expérience. (p. 18)
Sa mère estime qu'ils n'ont pas le luxe de penser et qu'il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Bruno hait cet endroit où il est coincé pour un laps de temps indéterminé. Sa sœur Gretel semble mieux s'accommoder de la situation même si elle admet que les habitants de Hoche-Vite n'ont pas eu le temps d'aménager les lieux. Et les deux enfants sont d'accord sur un point : c'est horrible.
Le père est idéalisé par ses enfants qui ne sont pas au courant de son métier. Ils le croient incapable de se mettre en colère ou de faire du mal à qui que ce soit.
Bruno s'insurge simplement contre un quotidien qui contrarie son mode de vie et qui semble déboussoler ceux qu'ils aiment, hormis son père. Mais il interprète tout positivement. Il a un sens aigu de ce qui est juste ou pas mais, comme on dit, ne voit le mal nulle part. Avoir faim, c'est devoir attendre l'heure du dîner pour se rassasier.
Un immense massacre s'orchestre tout près de lui sans qu'il en sache rien, ce qui semble complètement irréel. Mais il ne faut pas oublier que c'est une fable pour mieux mettre le doigt sur la folie humaine.
Ce qui frappe le lecteur c'est le décalage entre la pensée plutôt élaborée de l'enfant et une réalité à laquelle il ne comprend rien parce qu'il n'en maîtrise pas les codes et parce que sa naïveté l'aveugle. Il cherche une logique là où effectivement la raison n'a plus de place. Il se satisfait de la réponse de son père (p. 55) à propos de ces gens ... qui ne sont pas des gens. (...) Contente-toi de t'installer dans ta nouvelle maison. Accepte la situation et tout ira mieux.
Et c'est très astucieusement que John Boyne a déformé les noms, Hoche-Vite, le Fourreur ... Certes, la version anglaise est plus forte, avec "Out with" et "The Fury" mais ils permettent au lecteur de se situer du point de vue du garçon.
À force d'ennui Bruno décide de se lancer dans l'exploration de son nouveau cadre de vie. C'est ainsi qu'il rencontre Shmuel qui est né le même jour que lui mais qui vit une existence très différente, de l'autre côté de la barrière, parmi les autres personnes en pyjama rayé.
Les deux garçons vont prendre l'habitude de se retrouver au même point un peu à l'instar du renard et du Petit Prince. Et on se laisse prendre par l'amitié qui se noue entre eux, espérant vainement une fin heureuse.
Il n'y a pas de scènes violentes mais le texte est impressionnant et bouleversant sur l'horreur des camps de concentration. Et sa lecture d'une force inoubliable, même s'il n'est pas unique en son genre à aborder la cruauté avec pudeur. Ainsi Max et les poissons de Sophie Adriansen, paru en février dernier chez Nathan est d'un niveau comparable, pour ce qui est de la délicatesse dans l'expression d'une certaine forme de candeur et d'optimisme, et de volonté de vivre. Tous deux expriment parfaitement l'absurdité de ce conflit.
J'ai pensé aussi au très sensible Flonflon et musette d'Elzbieta qui traite ce même sujet pour des enfants de 5 ans en situant l'action sur la ligne de démarcation alsacienne.
Le roman de John Boyne a été traduit en 40 langues. Il s'est vendu à plus de 5 millions d'exemplaires dans le monde et a reçu de multiples récompenses. Il a aussi été adapté au cinéma par Mark Herman en 2008 et le film est aujourd'hui disponible en DVD. Une fiche pédagogique est téléchargeable gratuitement sur le site de l'éditeur français.
Titre recommandé par le ministère de l'Éducation nationale en classe de 3e.
À partir de 12 ans
Alfie Summerfield vient d'avoir cinq ans le jour où la Première Guerre Mondiale éclate. Son père a promis qu'il ne partirait pas mais il s'engage dès le lendemain, persuadé que "tout sera fini à Noël".
Quatre ans plus tard, la guerre fait rage et le jeune garçon ignore si son père est vraiment parti en mission ou s'il a disparu à jamais.
Tout le monde semble savoir ce qui lui est arrivé mais le secret reste bien gardé. Devenu cireur de chaussures à la gare de King's Cross de Londres, Alfie va enfin découvrir la vérité au hasard d'une de ses rencontres et partir pour la mission la plus importante de sa vie...À partir de 10 ans
Tout sera fini avant Noël. Cette promesse ponctue toutes les réflexions. On y croit et puis on se le répète comme un mantra en se persuadant que cela finira par arriver ... Mais dans quel état seront ils tous ? La vie n'est pas plus facile pour les soldats que pour les civils.
J'ai aimé ce livre parce que les mots employés sont justes, parce qu'il décrit des scènes habituellement dans l'ombre. Certes depuis Marc Dugain on sait ce que furent les gueules cassées. Mais là ce sont les âmes ... La psychose post-traumatique n'était abordée jusqu'à présent que dans le contexte des vétérans du Vietnam. Comme si cela n'avait pas existé avant.
Je suis bien placée pour en mesurer les conséquences. Ma propre mère en a été victime et ce n'est que quelques mois avant son décès que j'ai compris combien elle avait été marquée par les horreurs qu'elle a vécues pendant la Seconde guerre mondiale et qui n'ont jamais été soldées. On ne s'est pas douté qu'une jeune fille qui n'est pas allée en camp de concentration pouvait avoir engrangé d'horribles images ... Elle avait l'âge d'Alfie et elle aussi est devenue adulte du jour au lendemain sans y avoir été préparée, dans une famille où le sujet était tabou.
L'écriture de John Boyne est teintée d'un humour qui bien entendu ne pouvait pas transpirer dans le précédent livre. Certes, il est certes britannique, je veux dire léger et subtil, limite noir mais il apporte de la fraicheur au récit. La scène de la fuite de l'hôpital est très drôle.
Cela n'exclue pas la critique et il a raison de pointer l'exigence du peuple à faire son devoir quand les politiques ne font pas le leur.
L'auteur est désabusé : les guerres sont comme les bus. Si tu en rates une, tu attrapes la suivante. (p. 239)
Alfie développe un TOC, celui de compter pour retrouver un certain calme, non pas les moutons mais il y a de cela. Certes le père n'est qu'un numéro ( un matricule très exactement le 12428) mais être un nombre c'est déjà exister. C'est être unique à l'inverse d'un nom qui peut avoir des homonymes ...
On fera aussi le parallèle avec le si sensible film Joyeux Noël de Christian Carion qui, en 2005, a révélé combien cette guerre aurait pu ne pas être la si grande, si meurtrière puisque les belligérants avaient toutes les raisons de faire la trêve.
Barnabé ou La vie en l'airJe n'ai pas encore lu celui-ci qui pour une fois n'a pas pour cadre un conflit mondial.
Tout est normal chez la famille Chevreau. Ennuyeux, respectables et fiers de l'être, Alistair et Éléonore Chevreau ont horreur de tout ce qui est différent.
Or quand leur troisième enfant Barnabé vient au monde, il faut se rendre à l'évidence : leur fils est tout sauf normal. À la grande honte de ses parents, Barnabé défie les lois de la gravité : il vole ! C'en est trop pour Éléonore et Alistair, qui prennent un jour une terrible décision...
De 9 à 13 ansLe secret de Tristan Sadler
Le Garçon en pyjama rayé, Mon père est parti à la guerre, et Barnabé ou La vie en l'air sont parus chez Gallimard Jeunesse1919. Dans une Angleterre qui se remet à peine du traumatisme de la Première Guerre mondiale, Tristan Sadler, 21 ans, fait le trajet de Londres à Norwich pour remettre des lettres à Marian Bancroft – celles que la jeune femme avait envoyées à son frère Will alors qu’il était sur le front.
Tristan et Will étaient proches. Au fil des batailles et des drames qu’ils ont connus dans les tranchées, les deux hommes ont beaucoup partagé. Mais Will, pour s’être rebellé contre l’autorité, a été passé par les armes. Pour tous, il fait désormais figure de lâche.Tristan, revenu vivant, passe au contraire pour un héros. Mais il a un lourd secret, un remords qui le ronge. Osera-t-il en parler à Marian ? Ou devra-t-il seul porter ce fardeau jusqu’à la fin de ses jours ?
Le Secret de Tristan Sadler de John Boyne, éditions de l'Archipel, en librairie depuis le 15 avril
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