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dimanche 7 juin 2015

La pyramide des besoins de Caroline Solé

J'ai eu le livre entre les mains en mars. Je crois que je l'ai lu la nuit qui a suivi, me promettant de publier un article le jour de sa sortie en librairie et puis les aléas de la vie ont perturbé mes projets.

La pyramide des besoins est maintenant en librairie depuis un moment et tout le monde en fait des critiques élogieuses. Rien de plus normal. L'écriture de Caroline Solé est puissante, précise et prenante.

C'est son premier livre. Elle l'a porté pendant de longues années pour que la phase d'écriture ne lui demande pas plus de quelques mois. Et c'est vraiment un objet très abouti. Il ne fait pas de doute que Geneviève Brisac, qui est éditrice à l'ecole de loisirs, a joué un rôle clé car son travail littéraire d'une grande exigence. La maison ne publie pas dans l'air du temps et c'est la qualité du roman qui prime.

J'ai mesuré l'ampleur du travail de préparation même s'il ne pèse pas du tout sur la lecture. Je le répète : je l'ai lu sans faire de pause. Le roman m'avait été remis sous forme d'épreuve, sans couverture.

Je n'avais donc pas vu cette photo de Bruce Davidson pour Magnum Photos, intitulée "Girl holding kitten" (Londres, 1960) qui, sans doute, participe aussi à l'envie de lire les premières pages. On y reconnait une adolescente, encore que le visage ne soit pas trop typé féminin. Un doute qui facilite la projection du futur lecteur.
Les adolescents ne connaissent peut-être pas la fameuse Pyramide de Maslow que j'ai étudiée en philosophie. Le théoricien y classe nos besoins selon cinq catégories qui, selon lui ne peuvent être satisfaites que l'une après l'autre.

Caroline Solé dévoile très peu son livre sur le site qu'elle a créé elle-même (et toute seule) à l'occasion de sa sortie : Un adolescent fugueur qui vit dans la rue, à Londres, est propulsé sous les feux des projecteurs en participant à une émission de télé-réalité.

Les jeunes maîtrisent les codes édictés par les réseaux sociaux sans avoir conscience d'étaler leur intimité. J'ai regardé il y a quelques jours une émission bilan sur ce que sont devenus les anciens participants d'une grande émission de télé-réalité musicale. Ils savaient que des centaines de milliers de fans avaient voté pour eux mais ils racontaient leur étonnement à les entendre les appeler par leur prénom à leur sortie des studios, comme si leur soudaine célébrité pouvait elle aussi être virtuelle. 

Elle a voulu traiter cette thématique et son questionnement est tout à fait d'actualité. Ce fut le point de départ qui a structuré la trame pour aborder la problématique de la rue sans verser dans le drame. Qu'est ce qu'on mange, qu'est-ce qu'on boit quand on vit sur un carton ? Egalement comment se construit le fantasme de la fugue. Et Caroline Solé dit chiche à celui qui se demande : Si je quitte tout serais-je enfin libre ?

Christopher a sûrement été un adolescent qui ne s'est pas senti vraiment regardé par ses parents. Alors il quitte le foyer familial, mais pour aller tout de même au cœur d'une ville où personne ne passe inaperçu.

Il sera propulsé dans la célébrité, ce qui est une forme particulière d'exposition au regard de l'autre. De nouvelles questions sont portées par le livre : être épié par des internautes est-ce être regardé ? Devenir célèbre est-ce exister enfin ?

Elle réinterroge le schéma de Maslow, tant récupéré par les coaches en tous genres, parfois légèrement critiqué, jamais controversé à ce point jusque là. On savoure sa manière d'écorner la théorie, en voyant ce qu'une chaine de télévision peut en faire. Cet ado à qui il manque à priori tout va devenir très populaire à un jeu où il faut prouver que l'on possède.

Pour ceux qui ont besoin de davantage d'éléments avant de se décider à s'engager dans la lecture, la quatrième de couverture est plus explicite :
L’ensemble des besoins des êtres humains peut être classé en cinq catégories. Aujourd’hui, cette théorie est le principe d’un nouveau jeu de télé-réalité : La pyramide des besoins humains. Nous sommes 15 000 candidats, et dans cinq semaines il n’en restera plus qu’un. Et moi dans tout ça ? Disons que je m’appelle Christopher Scott. Disons que j’ai dix-huit ans. Que j’habite sur un morceau de carton, dans la rue, à Londres.Enfin, peu importe mon nom, peu importe mon âge. Je suis le candidat n° 12778. Je n’existe pas encore. Mais je risque fort de devenir quelqu’un, et même quelqu’un de célèbre. Et c’est bien ça le pire.
Elle a choisi de situer l'action en Angleterre pour rendre son écriture particulièrement crédible parce que c'est un environnement qu'elle a connu il y a quelques années. Le rapport aurait été très différent si le cadre avait été Paris. On voit des enfants dans la rue, mais en compagnie de leurs parents et il semble qu'il y ait peu d'adolescents dans notre capitale, surtout sur une longue période.

Elle pointe l'aspect passif des passants (qui s'opposera avec l'hystérie déclenchée par la médiatisation de certains évènements), le peu de contrôle des policiers qui vérifient rarement leurs papiers (qui s'opposera cette fois avec la scène finale), les londoniens embêtés et gênés  Beaucoup de gens se mobilisent pourtant. Et le lecteur se demandera ce qui rend l'action des "types de Dieu", comme Christopher les appelle, si peu efficace et pourquoi on les laisse dans la rue.

Elle nous brosse le portrait d'un adolescent au caractère bien trempé, qui n'est jamais dupe du malaise qu'il provoque dans la rue. Mais elle n'a pas cherché à livrer une étude sociologique. Elle ne prétend pas avoir un point de vue éclairant. Elle souligne que Christopher est un personnage de fiction et qu'elle n'a pas cherché à créer une référence.

Caroline Solé indique au chapitre "biographie"  être née à la fin du XXème siècle, sous un climat tempéré. Bonne constitution. Mauvaise mémoire. Enfance au clair de lune. Adolescence troublée. Texture : papier. Voyage : intérieur.


On devinera la richesse de sa personnalité derrière le mystère. On est dans une société où on nous fait croire qu'on doit dire tout alors qu'on doit préserver notre droit à différentes activités. Elle ne souhaite pas particulièrement communiquer d'éléments sur sa vie professionnelle ou privée et je respecterai sa décision. Je dirai simplement qu'elle ne subit pas de contraintes financières liées à l'écriture, et je suis bien placée pour en apprécier toute la liberté que cette position autorise. Ce n'est pas elle qui s'inquièterait de l'évolution des droits dérivés (vente du livre à l'étranger).

Elle demeure concentrée sur l'écriture et travaille à un autre projet qui s'adressera à la jeunesse. Elle ne s'interdit pas de raconter la suite des aventures de Christopher mais elle n'a pas de tome 2 prévu pour le moment. Et plus tard il est envisageable qu'elle se tourne (aussi) vers la littérature générale. Elle ne serait pas la première à alterner littérature jeunesse et adulte. Ce qui est certain, c'est que l'écriture est plus forte que tout et qu'elle est vraiment sa passion.

La brève bio publiée sur Internet est un clin d'œil aux séries télévisées qui juxtaposent une case "bio dans le monde réel" à coté de celle de l'avatar. 

Vous trouverez sur son site un onglet intitulé "Inspiration" où elle donne des livres qui l'ont marquée quand elle était elle-même une ado. Ils ont déclenché ce désir d'écrire comme Chiens perdus sans collier qu'elle a récemment relu, et dont elle a été surprise à se souvenir de tout.

Elle souhaite que ses suggestions donneront envie aux adolescents de lire d'autres livres après le sien. C'est tout à son honneur. J'ajouterai No et moi de Delphine de Vigan, et le Passage de Louis Sachar qui s'inscrivent dans une problématique assez proche.

Comme la plupart des auteurs que je rencontre, Caroline Solé est très attentive aux premières réactions des lecteurs. Elle a reçu beaucoup de messages de personnes qui, comme moi, l'ont lu d'une traite. Le personnage de Christopher provoque de l'émotion dès l'âge de treize ans. Personne ne lui fait le reproche d'avoir écrit un roman trop sombre. Pourtant son analyse de notre société de consommation est sans concession et le leitmotiv perdant-perdant résonne douloureusement même si un horizon se profile à la fin, avec une certaine dose d'espoir.

Le talent de Caroline Solé rend admiratif. Je m'attendais à un roman "pour ado" mais il est bien plus large. On se dit en le refermant le livre que Maslow devrait être plus subtil. Et si l'enjeu était tout simplement de devenir soi-même ?

La pyramide des besoins de Caroline Solé, l'Ecole des loisirs, Collection Médium, en librairie depuis le 27 mai 2015

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