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lundi 27 juillet 2015

Ton cœur perd la tête de Lucía Etxebarria, chez Héloïse d'Ormesson

Je devais voir Lucía Etxebarria en avril dernier ... La rencontre ne s'est pas faite et maintenant que j'ai lu avec attention Ton cœur perd la tête je regrette sincèrement de ne pas avoir eu la chance de discuter avec une personnalité aussi riche.

Son livre, qualifiée de docu-roman par l'éditeur, est un objet hybride entre autobiographie, essai, témoignage, entretiens et documentaire.

C'est un ouvrage militant, comme les précédents. Lucía maitrise très bien le sujet qu'elle inscrit dans une société propice au narcissisme. Elle se reconnaît comme une dépendante émotionnelle type, survivante de relations envahissantes qui ont failli la consumer à plusieurs reprises.

On pourrait croire que c'est un livre de plus sur un thème porteur, celui du harcèlement (d'ailleurs la préface est signée de la spécialiste française, Marie-France Hirigoyen) par des personnalités au profil pervers narcissique.

Sa particularité est de proposer une analyse très fine sans se poser en victime mais en personne responsable (non coupable) de ses actes, seule position pour garder la main sur le cours de sa vie.

La lucidité n'exclue pas l'humour même si, parfois, quelques confidences font froid dans le dos. Si les faits sont racontés d'un point de vue féminin, et situés dans le domaine des sentiments, ils sont transposables au masculin et au monde du travail. Je vous invite à ce propos à lire l'excellent roman de Nina Léger, Histoire naturelle.

L'analyse est très fine. Elle explique le processus de construction de la personnalité manipulatrice, en distinguant la différence entre présenter des traits ou un vrai trouble de personnalité narcissique.

Elle décode le fonctionnement de la personnalité narcissique. Elle recherche quelqu'un qui doit s'identifier à sa façon de voir le monde alors qu'une personne saine souhaitera quelqu'un qui lui soit complémentaire. Elle pointe ses tactiques de manipulation comme le silence hostile, l'ambivalence et sa manière très particulière de se poser en martyre. L'ouvrage aborde aussi le contexte familial. Si toutes les victimes de maltraitance (physiques ou psychiques) ne deviennent pas des personnes toxiques, toutes les personnes toxiques sont d'ancienne victimes de maltraitance.

Elle débusque les techniques réactives et les fausses bonnes idées pour se libérer de l'emprise et qui ne fonctionnent pas. Lucía ne juge pas. Elle accepte même, le temps d'en démontrer les limites, que la personne sous influence ait l'illusion de pouvoir redresser la barre avant le naufrage, en lui donnant les règles de la communication assertive. Celles-ci ne lui permettront sans doute que de résister stoïquement quelques semaines et de laisser s'exprimer sa voix intérieure en préservant une certaine part de clairvoyance. Car peu importe au final que l'autre soit ceci ou cela ... le bonheur doit se passer d'interrogations.

La seule voie possible est la fuite en retrouvant le pouvoir de dire non. Il faudra effectuer parallèlement un travail de deuil, de renoncement, d'acceptation de la perte pour éviter de répéter à l'avenir, parfois avec la même personne. Et surtout restaurer l'estime de soi qui a été atteinte. Pour être heureux avec quelqu'un il faut d'abord être capable d'être heureux tout seul. On comprendra qu'il ne faut jamais dépenser plus d'énergie à changer son partenaire qu'à se changer soi-même.  

La période de reconstruction est essentielle une fois que l'on a compris que le problème n'est pas en nous mais chez l'autre, et cela même si on a connu une carence affective. C'est ce manque qui a attiré le prédateur émotionnel. Et ce n'est qu'une fois qu'on aura pardonné qu'on sera durablement libéré.

Il faut lire son livre le crayon à la main, ne pas hésiter à biffer les passages qui font écho, sans chercher à conclure trop vite que l'on peut être concerné dans la relation que l'on a bâtie avec l'être aimé. C'est bien connu : on voit bien la paille qui est dans l'œil de son voisin tout en ignorant la poutre qui obture le sien. Et il peut être utile de le parcourir plusieurs fois car c'est une mine de conseils.

Sa manière d'interpeller à grands renforts de cher(e) lecteur(trice) est un peu agaçante, les digressions incessantes. L'écriture est curieusement injonctive. Et puis, à force de s'obstiner à s'assurer d'être bien comprise, l'auteur se répète. Ce sont parfois des paragraphes entiers repris à la lettre, enrichis des commentaires de praticiens auxquels elle a soumis ses réflexions. Il faut passer outre.

Il n'est pas nécessaire d'avoir des connaissances en psychologie pour aborder le livre, et c'est un point appréciable. Cette lecture permet de comprendre, de prévoir et pronostiquer. D'aider aussi ses amis à y voir clair car la manière de traiter le sujet est plutôt grand public. Elle dissèque la relation toxique en long, en large et en travers afin qu'on ne puisse pas passer à côté des signes d'alerte.

Et si au final on se rend compte (ou si on accepte de le reconnaître) que l'on est embarqué dans une relation (plus ou moins) toxique on aura les clés pour supporter ou ... se sauver. Encore une fois le but n'est ni de se poser en victime ni de se croire coupable de quoi que ce soit, si ce n'est d'avoir ouvert la porte au vampire. 

Certes on apprend toujours de nos relations. Certes ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, dirais-je en paraphrasant Nietzsche qui mérite d'être redécouvert, mais est-ce indispensable de supporter une mer déchaînée pour s'autoriser l'accalmie ?

Ton cœur perd la tête de Lucía Etxebarria, traduit de l'espagnol par Nicolas Véron, chez Héloïse d'Ormesson, en librairie depuis avril 2015

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