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mercredi 21 août 2019

Sale gosse de Mathieu Palain chez l'Iconoclaste

Mathieu Palain est un journaliste talentueux, couronné par plusieurs récompenses, qui a choisi cette fois d'utiliser la voie du roman pour traiter un sujet qui nous bouleverse tous, celle d'un Sale gosse qui a de multiples raisons de "péter les plombs" comme on en voit de plus en plus dans l'actualité.

Il s'est inspiré de chaque personne rencontrée en trente ans de vie à Ris-Orangis où il est né, en 1988, de l'expérience de son père, éducateur PJJ,  la Protection judiciaire de la jeunesse, à Evry, et de l'immersion qu'il a courageusement faite lui-même dans un service semblable pendant six mois, dans la brigade d'Auxerre (89). La crédibilité de ce qu’il raconte est indubitable. 

On pourrait croire que cette ville moyenne (que je connais bien puisque j'y suis née) est plus tranquille que la banlieue parisienne mais elle compte, comme toutes les villes, des quartiers qu'on dit difficiles où la jeunesse n'a pas la vie rose.

L'intervention de l'auteur au cours de la présentation de la rentrée chez son éditeur, l'Iconoclaste, m'avait donné très envie de le lire : ce qui devait être un article, ou un livre de journaliste, est devenu un roman. Je n'ai pas pu aller plus loin que les premières pages pendant le festival d'Avignon et j'ai repris cette lecture à mon retour.

Le thème a été souvent traité au cinéma depuis quelques années. Je pense particulièrement à Tête haute d'Emmanuelle Bercot. Mais je sais combien l'écrivain a été touché par un autre film conçu par cette même réalisatrice (avec Maiwen), Polisse, ... évidemment. Nous sommes sans doute nombreux à avoir été sensibilisés à ces enfants qui sont nés du mauvais côté de la vie. Et à estimer que les choses ne s'améliorent pas malgré les alertes. J'écrivais en 2011 que c'était un film "à voir absolument". C'est toujours vrai.

Mathieu Palain est de cet avis. Sa narration est imprégnée d'un sentiment d'urgence, ce qui apporte une énergie phénoménale au récit. Putain c’est Shining votre taf, fait-il dire à une policière (P. 220 )Ce livre est un hommage et un cri d’amour envers ceux qui font tout ce qu’ils peuvent et même plus encore, pour infléchir le destin de gamins qui n’avancent pas sur la bonne route. Mathieu Palain est persuadé qu’on ne sait pas ce qui se passe dans la réalité et il sait que même un film comme Polisse est en deçà de ce qu'on voit sur le terrain.

Je lis sur le verso du bandeau entourant le livre : J’ai écrit Sale Gosse avec des histoires vraies. Les personnages existent. Je les connaisCela se veut être une accroche. À la réflexion c’est une des pistes pour expliquer cette curieuse impression de faiblesse de ce livre. Un paradoxe s’agissant du récit de violences. Car j'ai souvent eu la sensation de lire un documentaire plus qu'un roman. Il ne faut pas manquer de lire (P. 348) la genèse du bouquin, qui bien entendu force le respect. 
Il n'en reste pas moins qu'il a beaucoup de qualités et qu'il inspirera probablement un réalisateur. J’en ai connu moi aussi des ado qui se vantaient ouvertement de gagner en une seule journée mon salaire mensuel avec leur business, comme si mes diplômes m’avait conduite à la déroute. Je me désespérais alors, comme Marc de : Leur faire entendre qu’en rentrant dans le rang ils éviteraient la taule ou le cimetière c’était comme crier dans le désert (P. 17).

Tous les éducateurs ont ceci en commun de savoir, ou de se rendre compte un jour, que le miracle n'est pas à portée de main. Laurence, l’assistante sociale, s'en ouvrira à son collègue Marc : Quand je suis arrivée à la PJJ, je voulais changer le monde. Aujourd’hui, j’essaye de ne pas l’abîmer. Ton métier, c’est semer sans jamais récolter (P. 77).

Marc a compris qu'il ne ferait pas de miracle. Il quitte le foyer pour le milieu ouvert. L’auteur compare le premier au cinéma, le second à la photographie. La photo elle reste figée, mais à force de la regarder, tu perçois les détails, le second plan. Le milieu ouvert, c’est ça : tu as l’impression d’avoir perdu le contact, alors qu’en fait tu as pris du recul pour comprendre ce que tu regardes (P. 22). Est-ce pour cela que la photographie du "sale gosse", se dédouble sur la page de couverture? Pour témoigner que la vérité est multiple ?

Parmi tous les gosses, il y a Louise (la mère de Wilfried, qui n’a encore que huit mois), née en 1980, âgée alors de vingt ans (on est donc en 2000) mais déjà un palmarès de coups durs, viol, psychiatrie, bipolarité, et surtout plusieurs tentatives d’autolyses, un terme pour signifier suicide avec médicaments. Et la drogue évidemment. Quand Laurence lui demande, à bout d’arguments, si elle ne préfère pas aller mal elle a cette phrase terrible : Des fois c’est mieux que d’être jugée (P. 40). On est très proche de répliques qu'on entend dans un film comme La vie scolaire, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, et dont je parlerai prochainement.

Wilfried a la passion du football et il a un vrai talent. Il sera recruté par  le centre de formation de l’AJ d’Auxerre, le club du mec à bonnet, Guy Roux, que j’ai bien connu. On a beau le mettre en garde : N’oublie jamais, le football c’est pas ton métier. Ton métier c’est d’être un enfant (P. 73), il va faire une "grosse" bêtise et c'est vraiment le début des emmerdes.

L'adolescent a des accès de violence qu'il ne peut contenir : Avec la colère, des fois j’ai l’impression que je pourrais tuer à mains nues. Limite, ça me fait flipper, tu vois ? Je sens le truc monter, je me sens grave puissant (P. 131).

Pourtant, outre l'éducateur et l'assistante sociale, il rencontre quand même des enseignants formidables qui vont le faire progresser, comme Madame Blin, le genre de prof qui avance de sa poche pour emmener ses élèves à Verdun (P. 136 ) et qui a bien compris que enseigner "Nos ancêtres les Gaulois" à des Aboubacar sans évoquer leurs grands parents, quel sens ça a ?

Mais Wilfried décroche, multiplie les punitions, se fait choper au "petit pont massacreur". Madame Blin est impuissante à mettre en garde sa mère adoptive : Wilfried est un garçon intelligent. Mais il a une colère en lui, et cette colère grandit. Il faut qu’il travaille sur cette colère (P. 139).

Une colère qui enfle quand, malgré tout ce qui pèse à charge contre la mère biologique, le juge va quand même prononcer une mesure d’interdiction d’entrer en relation à l’encontre de la famille d’accueil (P. 161). Les textes étaient clairs : les placements sont temporaires, un enfant à vocation à grandir avec sa mère. Point.

La justice n'est pas à une contradiction près. Ainsi par exemple les enseignants ont le devoir de signaler les comportements violents des parents ... Ils risquent gros à ne pas le faire, et pourtant ils savent que la justice ne fera pas grand chose. On voudrait pouvoir dire comme l'éducatrice (P. 250) Notre rôle, c’est de tendre la main aux parents, mais quand ils sont trop destructeurs, on doit pouvoir dire au jeune : "Sauve ta peau."

Rien d'étonnant à ce que le gamin soit incapable de se projeter dans un avenir et de se motiver pour changer de comportement. Mathieu Palain le pointe avec à propos : l’avenir, vous pouvez le prendre par tous les bouts, face à un gamin de seize ans qui a décidé de vivre au jour le jour, c’est un mot qui ne veut rien dire.

Il a sans doute raison de relier cette attitude au ballottement de mère biologique en mère d’accueil, de structure en structure. John Bowly parle de "détachement permanent" (P. 174). L’enfant finit par comprendre qu’il ne doit pas s’attacher s’il ne veut las souffrir. (...) Donc il saborde la relation.

Il m'a semblé que le livre bascule (positivement) lorsque l'enfant est confié à Nina, sa nouvelle éducatrice. La jeune femme n'a pas un cursus banal, même si sa situation est hélas loin d'être exceptionnelle. Elle aurait voulu devenir avocate mais ce rêve a été brutalement balayé par de mauvais résultats scolaires en sixième (P. 78) Je savais à peine lire. Mes parents s’en étaient pas rendu compte, les profs non plus parce que j’apprenais tout par cœur. Sauf qu’au collège ça marchait plus.

Rien d'étonnant à ce qu'elle soit touchée par Wilfried (P. 250). Bien sûr qu’il est intelligent. Il pourrait faire n’importe quel métier. Sauf que là il est à mille deux cents tours dans le tambour de la machine à laver. (...) Comment tu veux qu’il construise quoi que ce soit, s’il s’attend à être envoyé à Fleury ?
Le livre est très dialogué. C’est davantage le constat d’une réalité que nous devons tous déplorer qu’un roman au sens classique. Même si les noms ont été changés il est, pour reprendre l'expression de l'auteur, un livre de journalisteIl faut néanmoins prendre cette "critique" pour un compliment. J’y ai vu constamment matière à un scénario. J’avais les mouvements de caméra dans la tête en lisant (P. 294) la scène de la lecture de l’oraison funèbre de Rosa. Mathieu Palain donne même l’indication de la musique, Tears Dry on Their Own d’Amy Whitehouse, bien que (ou parce que) ce soit selon lui une chanson d’amour raté.


Ne nous arrêtons pas aux quelques faiblesses narratives, ce premier roman est touchant, et mérite amplement d'être découvert. Mathieu Palain, qui décidément déborde de vitalité, a été jusqu'à concevoir une playlist de 77 titres à écouter en tournant les pages, et que vous trouverez sur la page du livre qui se trouve sur le site de l'éditeur. Y figure bien entendu la chanson de Dadoo Sales gosses, mais curieusement pas celle d'Amy Whitehouse.

Sale gosse de Mathieu Palain chez l'Iconoclaste, en librairie le 21 août 2019

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