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dimanche 25 août 2019

Les guerres intérieures de Valérie Tong Cuong chez JC Lattès

Les guerres intérieures de Valérie Tong Cuong nous offrent en cette rentrée littéraire un roman qui ne peut laisser indifférent. Il me semble que chacun d’entre nous a pu se trouver dans des situations, de près ou de loin, semblables à celle qui est le point de départ de l’intrigue.

Des bruits de lutte venus de l’étage supérieur attirent l'attention de Pax mais il se persuade que ce n’est rien d’important et fait comme si de rien n'était. On apprendra plus tard que, s'il avait alerté les secours, son voisin Alexis Winckler n'aurait pas perdu l’usage d’un œil. Faute de soins.

Il m’est arrivé d’appeler la police en pleine nuit parce que j’étais alertée (ou dérangée dans mon sommeil) par des cris s’échappant d’une fenêtre ouverte de l’autre côté de la rue. Je suis intervenue plusieurs fois pour m’interposer et faire cesser des bagarres. Et on m’a souvent reproché mon inconséquence en me faisant remarquer le risque que je courrais à me prendre pour Zorro.

Être témoin d’une agression n’est pas un acte auquel on est préparé. Et personne ne peut jurer d’avoir, le moment venu, le comportement héroïque qu’il conviendrait d’avoir. En tout cas le sujet choisi par Valérie n’est pas celui là.

Quand Pax Monnier, au début du roman, entend un vacarme qui pourrait correspondre au bruit d'un meuble qu'on déplace il croit être à un moment crucial de sa vie (P. 17) : face à son plus grand défi il réalise brusquement ce que son parcours médiocre avait de confortable. Jusqu’ici, il pouvait mettre le plafonnement de sa carrière sur le compte d’un système inique, d’un agent décevant. Il laissait entendre aux autres qu’il était un génie méconnu. (…) Et voilà qu’on lui donne sa chance. On l’appelle pour tourner avec Peter Sveberg. Le voilà propulsé dans une configuration binaire : il réussit où il échoue. Il démontre qu’il a du talent ou bien qu’il méritait ce chemin étriqué.

Ce type n’est pas cynique pour deux sous mais il joue sa carrière et la décision qu’il prend est entièrement orientée par cet enjeu.

Le roman traite de la culpabilité par omission, que l’on ressent à l’instant T, qui nous poursuit sans lâcher prise, et à laquelle des événements peuvent nous confronter ultérieurement. Quel est alors le meilleur moyen d’alléger sa conscience ? La sagesse populaire prétend que toute vérité n’est pas bonne à dire. Alors faut-il mentir à ceux qu'on aime, pour les protéger et pour se protéger.

Toute faute est-elle corrigeable et a fortiori pardonnable ? Le thème n'est pas nouveau dans l'oeuvre de l'auteure. Il était au coeur de Pardonnable, impardonnable, que j'avais tant aimé.

Le pardon efface-t-il la faute ? Ce sont des questions qui traversent le livre et que Valérie s’est sans doute posé personnellement puisque son fils a été victime d’une agression sans qu’il reçoive l’aide de quiconque. Je ne dis là rien de secret puisqu’elle même présente son roman en le révélant.

Cette explication m’a incitée à reprendre une lecture que j’avais abandonnée, ne parvenant pas à éprouver la moindre sympathie pour le personnage principal. Je me suis accrochée à partir du moment où j’ai compris ce que le roman pouvait apporter dans ce type de réflexion. Et j’ai d’ailleurs deviné à ce moment-là que le pluriel du titre laissait supposer que Pax n’était pas le seul à être rongé par la culpabilité.

En effet, parallèlement, Emi Shimizu se sent responsable de l’accident d’un de ses chauffeurs dont elle n’a pas perçu suffisamment la détresse. Pourtant, en tant que responsable QHSE (Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement), elle aurait dû être vigilante. Cette femme avait elle aussi des soucis graves puisqu'elle est la mère d'Alexis Winckler. Pourtant elle est animée de sentiments contradictoires, persuadée qu’il faudrait avoir (P. 47) le courage de renoncer aux pensées stériles de vengeance et de haine : puisqu’il n’y a personne à punir, ni personne à haïr.

Valérie Tong Cuong fait se rencontrer les deux protagonistes un an plus tard, qui tombent immédiatement amoureux et qui mèneront donc chacun leurs guerres intérieures. Elle a réussi à écrire un récit où rien n’est évident. Où les cartes sont susceptibles d’être redistribuées en permanence et qui offre des rebondissements jusqu’à la dernière phrase.

Elle ne donne pas de leçon mais elle nous offre une réflexion très poussée sur ce type de situation. Si bien que je dirais que c'est sans doute grâce à elle que j'ai pu éprouver une certaine empathie pour le personnage de Frank interprété par Olivier Gourmet dans le film d'Antoine Russbach, Ceux qui travaillent, et que j'ai vu en avant-première.

Par contre je ne m'explique pas la présence du panneau de sens interdit que je n'ai d'ailleurs remarqué qu'après avoir photographié le livre sur un papier rouge, choisi pour contraster. Il n'y a sans doute pas de message à y décrypter.

Les guerres intérieures de Valérie Tong Cuong, en librairie depuis le 21 août 2019

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