J'ai lu Ainsi Berlin en version numérique et il est probable que ce format m'ait influencée. J'aime beaucoup cette capitale où je suis allée il y a quelques années. J'avais été frappée par la marque encore indélébile entre l'ouest et l'est bien qu'on puisse évidemment circuler partout librement de nos jours.
L'architecture et le tracé des voies y sont radicalement différents. Rien que les feux de circulation vous signalent immédiatement dans laquelle des deux moitiés vous vous trouvez. Il se dégage un je ne sais quoi qui transpire de l'histoire, laquelle est entretenue volontiers par ce pays, peut-être pour témoigner qu'il est possible de se reconstruire envers et contre tout, et cela tout en maintenant le devoir de mémoire.
En ce sens, le personnage de Käthe représente tout à fait cette volonté. L'effet de balancier entre l'ouest et l'est est scandé par les différences entre cette femme et Elizabeth, qui apparait sous le diminutif de Liz alors que le coeur de Gerd hésite entre l'une et l'autre.
Le roman commence juste après la Seconde guerre mondiale. Berlin est en ruine et les trois protagonistes s’engagent dans la construction du monde nouveau pour lequel ils se sont battus. Käthe et Gerd sont communistes. Ils appartenaient à la Résistance allemande et sont désormais des cadres du Parti. La jeune femme imagine un programme où les enfants à haut potentiel, dont les parents sont des scientifiques, seraient retirés à leurs familles, élevés loin de toute sensiblerie, pour former une génération d’individus supérieurs assurant l’avenir de l’Allemagne (en l'occurrence de l’Est). C'est l'essentiel du programme Spitzweiler dont j'ignorais l'existence.
Mais, à l’ouest du mur qui s’élève, Liz est une jeune veuve qui a d'autres idéaux et des rêves de renouveau. Cette femme, architecte, membre de la délégation américaine, entend bien tout faire pour défendre les valeurs du monde occidental. La force de ses convictions fera vaciller le coeur de Gerd dès leur première rencontre.
Ainsi Berlin est le second roman de Laurent Petitmangin, dont j'avais énormément apprécié Ce qu'il faut de nuit, découvert dans le cadre des 68 premières fois. Je n'en suis pas certaine mais je crois qu'en fait il a écrit Ainsi Berlin avant mais que l'ordre de publication a été bousculé. Y aurait-il une raison de cause à effet ? Toujours est-il que mon enthousiasme ne s'est pas répété malgré les grandes qualités de cette narration. Il faut dire que j'attendais beaucoup de cet auteur dont le précédent ouvrage a été couronné par une vingtaine de distinctions littéraires.
J'ai été extrêmement dérangée par l'absence de repères. Il me semble qu'hormis Alexanderplatz (p. 252) il n'y a jamais d'indice permettant de situer l'action. Auparavant (et ce n'est qu'un exemple) il fait allusion (p. 222) à des excursions et des visites touristiques mais sans donner la moindre indication de nom de lieu ni en faire la moindre description. Le lecteur est comme prisonnier dans un tunnel, ce qui est peut-être intentionnel pour lui faire vivre la sensation d’étouffement ressentie par Gerd.
J’aurais sans doute préféré une narration qui soit différente lorsqu’il est à Berlin Est ou Ouest, dans un style plus marqué. J’ai été, je l’avoue, déçue de ne jamais revivre une des si fortes impressions que j’ai eues quand j’ai visité cette ville, il y a pourtant quelques années seulement. Il s’y dégage encore une atmosphère quasi irréelle. L’empreinte de la seconde guerre mondiale y demeure encore très palpable, alors qu’elle a disparu à Paris. La différence entre les quartiers situés à l’ouest et ceux de l’est est toujours reconnaissable au premier coup d’œil, même pour une française qui n’a pas connu la ville avant. C’est dommage qu’on ne sente rien de cela.
Je n'ai pas réussi à éprouver d'empathie pour cet homme qui dit aimer sincèrement les deux femmes (p. 223) et qui ne parvient pas à choisir son camp sans pour autant se comporter comme un traître avec l’une ou l’autre femme. L'auteur a sans doute voulu utiliser le cloisonnement comme une allégorie métaphorique du mur et nous faire entendre l'absence de logique dans le déroulement des faits (p. 246). Mais leur enchainement très complexe sur plus de quarante années a fini par me perdre.
Pourtant les adieux -je devrais plutôt dire l’absence d’adieux- sont très émouvants (p. 234). ll y avait matière à rendre ce roman bouleversant. Ce sera peut-être le cas d'une adaptation cinématographique, si elle voit le jour.
Ainsi Berlin, de Laurent Petitmangin, La Manufacture de livres, en librairie depuis octobre 2021
Ce roman fait partie des titres en lice pour le Prix Littéraire du deuxième roman 2022 qui sera remis à Laval dans le cadre du 30ème Festival du premier roman et des littératures contemporaines.
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