Quel bijou que ce Twist à Bamako que j'ai vu à mon retour du Mexique ! J'ai un grand coup de coeur pour ce dernier film réalisé par Robert Guédiguian, le vingt-deuxième, et qui est sorti en France depuis le 5 janvier 2022.
Le réalisateur marseillais qui situe la plupart de ses films dans cette ville a déjà tourné hors de France. Ce fut l'Arménie pour Le Voyage en Arménie (2006), le Liban pour Une histoire de fou (2015),… et maintenant l'Afrique.
C'est un drame historique français, canadien et sénégalais qu'il nous présente à propos de l'ébullition révolutionnaire qui suivit l'indépendance du Mali au travers des photographies de Malick Sidibé (1936-2016). En creusant un peu, il a découvert cette époque où Modibo Keïta et quelques autres ont cherché une voie originale au socialisme et au développement de l’Afrique. Il n'était jusque là jamais allé dans ce continent avec lequel il entretenait un rapport disons intellectuel et qu'il n'avait abordé que de manière symbolique dans Les Neiges du Kilimandjaro (2011).
Dès les premières images j'ai aussitôt pensé à cet immense photographe dont une photo m'avait frappé en 2016 dans l'exposition Love Story des Photaumnales de Beauvais.
Sur ce cliché immense, intitulée Nuit de Noël (Happy club), les danseurs évoluent dans une bulle de complicité que l'on a envie de pénétrer. Et c'est cette image qui a déclenché le projet de Robert Guédiguian.
Rarement une image fixe aura induit autant de mouvement et de légèreté. Je n'avais alors pas été surprise d'apprendre que l'artiste avait reçu en 2007, le Lion d’or pour sa carrière, lors la 52ème Biennale de Venise.
Robert Guédiguian dit avoir vu pour la première fois son travail à Paris en 2017 lors d’une exposition à la Fondation Cartier et avoir été saisi par les images magnifiques de jeunes gens qui dansaient dans tous les sens, avec leurs habits extravagants.
Né en 1935 dans une famille de paysans peuls à Soloba, à 300 kilomètres de Bamako, Malick Sidibé a reçu l'enseignement d'une "école des Blancs" où il développe des compétences en dessin qui le mènent à devenir bijoutier. Un photographe français fera appel à lui pour décorer la vitrine de son studio. Il deviendra son assistant et comme lui photographiera les soirées organisées par les Bamakois dans le milieu colonial. Son talent lui vaudra la célébrité, les honneurs, l'argent, dont il n'aura que faire en estimant avec philosophie que son tombeau n'en aura nul besoin.
L'artiste, surnommé "l’œil de Bamako" est, avec son compatriote, Seydou Keita (1921-2001), considéré comme "trésor national" » au Mali. Ils sont célébrés dans le monde entier pour avoir su capter les pulsations de vie de de pays dans l’après-guerre. Leur regard est d'autant plus émouvant que, depuis, le pays sombre dans un chaos épouvantable. D'ailleurs le cinéaste a dû, pour des raisons évidentes de sécurité, tourner son film au Sénégal. Il a choisi de filmer les scènes de village à Podor, dans le nord du Sénégal, les lieux administratifs à Saint-Louis, qui est l’ancienne capitale politique, ainsi qu’à 70 kilomètres à l’est de Dakar, à Thiès et ses alentours, dont la végétation fait penser à Bamako.
Le film commence peu après la proclamation de l'indépendance du Mali, en 1962, et se déroule sur fond de musique twist. Samba (Stéphane Bak), le fils d'un riche commerçant, fervent militant qui prêche le socialisme porté par le président Modibo Keïta, parcourt le pays pour expliquer aux paysans les vertus de ce régime politique. C'est là, en pays bambara, qu'il fait la rencontre de Lara (Alice Da Luz), une jeune fille mariée de force, et dont il va tomber amoureux.
Samba est courageux et travailleur, ce qui ne l'empêche pas d'avoir une passion pour la danse. C'est la grande époque du twist et si on considère le sens de ce mot (de plus en plus utilisé dans le domaine culinaire pour indiquer qu'on ajoute un petit + à un plat) on remarquera la symbolique de cette danse qui susceptible de remuer aussi les esprits et les croyances ancestrales.
Le film commence en noir et blanc scandé par le cliquetis des métiers à tisser et le martèlement des outils sur le cuir; Quand la couleur arrive, rien n'a encore changé si ce n'est que nous sommes en 1962. On remarque immédiatement que les femmes travaillent dur. Très vite on comprend que les intérêts du père de Samba (commerçant dans les tissus qui sont teints sur place) sont contradictoires avec les opinions du fils. Pourtant ils se respectent et leur affection est profonde. Leurs échanges sont chaleureux et teintés d'humour. Le spectateur se dit que tout est possible.
On suit le jeune homme dans une soirée sur la musique de la chanson de Johnny Halliday, Bal à Saint-Tropez. La bande est joyeuse et bien sapée. Plus tard Saba exhorte ses compatriotes récemment affranchis de la tutelle coloniale française, mais encore sous le poids des traditions, quelles soient culturelles ou familiales comme la polygamie ou le mariage forcé.
Samba est convaincu que le Mali a autant besoin de ses hommes que de ses femmes. Il prône la construction d'une société nouvelle en souhaitant que l'Afrique ait vertu d'exemple. Mais l'indépendance ne fait pas bon ménage avec l'économie et les idées ne suffisent pas pour installer un monde idéal. Car ce n'est pas parce qu'on est tous égaux qu'on est tous pareils.
Twist à Bamako est de ces films exceptionnels que j’ai eu la chance de voir au Cinéma Le Rex de Châtenay-Malabry où c’était la dernière séance. Ce drame est une œuvre majeure qui allie l’histoire, l’amour, l’humour … la raison et la sensualité, avec une justesse de ton absolument constante. Il y a un discret aspect documentaire qui n'empêche pas le développement d'une romance magnifique et poignante.
C’est aussi un hommage évident au grand photographe Malick Sidibé comme le précise le générique de fin. Soyez à l'affut et tentez de le découvrir ailleurs … ou sur une plateforme comme N… ou A… où il figure déjà au catalogue.
Il a été retenu en 2021 à la Semaine international du film de Valladolid.
Twist à Bamako de Robert Guédiguian, avec notamment Alice Da Luz (Lara), Stéphane Bak (Samba) et Issaka Sawadogo, Saabo Balde, Ahmed Dramé, Bakary Diombera, Ben Sultan, Alassane Gueye, Diouc Koma, Miveck Packa …
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