Il y a probablement une part de mythe dans ce qu’on raconte à propos de Bernard Palissy. Tous les livres d’histoire le montrent aux enfants en train de bruler ses meubles pour alimenter son four. Sa statue, due à Louis-Ernest Barrias, devant la façade de la Manufacture, rappelle en tout cas son rôle dans la découverte des propriétés de la haute température sur la qualité de l’émaillage.
Haute n’est pas un vain mot puisqu’il s’agit très exactement de 1380°.
La Cité de la céramique est composée désormais de deux unités, sous une seule direction, la première consacrée à la conservation, avec le Musée, la seconde à la production.
Créée en 1740 par Louis XIV, elle fut initialement installée à Vincennes, puis rue de Sèvres à partir de 1756 à l’initiative de Madame de Pompadour, passionnée par les arts et artiste elle-même, qui en obtint la construction de Louis XV. Elle en fut un mécène régulier et irremplaçable et elle s’y rendait à pieds, en voisine. L’emplacement avait été choisi pour cette raison mais aussi parce qu’on se trouvait sur la route de Versailles, que les coteaux des alentours de Meudon et de Saint-Cloud étaient riches en bouleaux (indispensable pour alimenter les fours), et que la Seine facilitait les approvisionnements.
L’enjeu était phénoménal au XVIII° siècle. Seuls les Chinois savaient alors faire de la porcelaine, parce qu’ils étaient les seuls à disposer du kaolin.
C’est la découverte de gisements en Allemagne puis à Limoges qui ont donné accès à la pâte magique aux Européens. Devenir capable de fabriquer sa propre porcelaine était un challenge énorme alors qu’une simple assiette de porcelaine ne fait plus figure d’exception aujourd’hui.
La Manufacture ne pouvait être que Royale. Les contrefaçons de l’époque sont des faïences de Deft, blanches avec un décor bleu, piètrement ressemblantes. En aiguisant son regard on repère que sous l’émail blanc la pâte est grise et qu’il ne s’agit donc pas d’une porcelaine.
En 1876 la Manufacture migre en bordure de Seine où elle se trouve toujours. Les anciens bâtiments abriteront l’École normale supérieure de jeunes filles jusqu’en 1940. Depuis 1945 ils abritent le Centre international d’études pédagogiques et leur aspect extérieur est resté le même.
La manufacture accueille régulièrement des élèves d’écoles primaires dans un partenariat instauré depuis 2006 avec l’Éducation nationale appelé les Petits Dégourdis de Sèvres. L’intitulé fait référence au terme de dégourdi désignant une première cuisson à 900° qui permet d’émailler et de peindre.
Après avoir touché dans leur classe des matières emprisonnées dans des petits sacs (papier bulle, toile cirée, papier de verre, fibre végétale …) chacun avait donné ou imaginé des mots qui avaient été notés dans une ébauche de lexique. Ils avaient découvert les lieux dans le cadre des Journées du Patrimoine et fait la connaissance d’un artiste.
Le jour de ma visite un groupe explorait le vocabulaire de la sensation du toucher. Dur, lisse, doux, rugueux, les termes manquent pour décrire avec précision. Les enfants ont donc le droit d’inventer, par exemple chatouilleux, malfoineux … On leur demande ensuite d’associer chacun à un des carrés de pâte que l’artiste leur donne à manipuler, porcelaine, grès, faïence plus ou moins lisse.
Il y a beaucoup de pistes à travailler avec les enfants, à commencer par leur demander comment la terre peut bien « tenir ».
A l’époque de Louis XV on faisait appel à des artistes. Cela reste vrai aujourd’hui. On peut tout aussi bien refaire à l’identique un objet ancien comme réinventer des nouveautés. 32 corps de métiers y travaillent, ce qui fait qu’un objet peut passer entre 32 paires de mains, sur un délai de parfois un an, dans un rapport au temps qui n’est pas celui que nous vivons dans notre quotidien. Qui reste unique au monde et qui justifie son appartenance à l’industrie du luxe où le degré d’imperfection n’excède pas le zéro absolu.
Première salle dite du moulin :
Depuis le camion de cailloux jusqu’à la porcelaine émaillée et raffinée tout est entièrement fait à la main, à l’exception de quelques machines dans la première partie du processus.
Le quartz apporte la qualité et la luminosité, le feldspath le fondant, et le kaolin est magique.
Chaque matière est broyée séparément et il existe plusieurs types de mélange.
La pâte est délayée dans de l’eau de pluie pour obtenir ce qu’on appelle de la barbotine. Une goutte de colorant est ajoutée pour repérer les différentes pâtes d’un seul coup d’œil. Mais après cuisson toutes les pièces seront blanches.
L’ennemi absolu de la porcelaine est le métal (il explose à la cuisson). Il faut donc passer la poudre au filtrage aimanté. On voit les trois aimants en ailettes sur le cliché.
Pour perdre son eau la pâte passe dans une machine permettant à la matière de se déposer sur les filtres. On obtient des galettes de pâtes que l’on rebrasse et pétrit avec la marcheuse. L’ennemi est cette fois la bulle d’air. On a donc recours ensuite à la désaréeuse qui tourne avec une vis d’Archimède pour sortir un colombin d’un mètre de long. A l’issue de cet atelier on dispose d’un stock de pâte liquide et de pâte solide, au choix.
Deuxième salle dite galerie des moules. Il en existe une autre, dite le Magot qui recèle les moules historiques.Troisième salle dite galerie des fours :
Des six fours à bois ne fonctionne plus que celui-ci pour ne pas en oublier la technique et qui, en outre, demeure pratique pour cuire les très grandes pièces qui sont placée en bas, les petites étant au deuxième étage. De chaque coté se trouvent des coffres, au nombre de 4, pour y stocker le bois, uniquement du bouleau parce que c’est l’essence qui tient le mieux la chaleur.
Les objets sont installés dans des « gazettes » en terre (en pile le long du mur dans l’attente d’être utilisées) pour les protéger des retours de flamme et des fumées. La tasse est cuite à l’envers, les supports aussi.
La porte du four est obturée par la construction d’un mur. Elle est soigneusement bouchée.
Le feu est allumé par une allumette géante d’une quarantaine de centimètres qu’on appelle alandier et qui est une sorte de branche dont l’écorce arrachée par endroit s’enroule sur elle-même.
Il ne doit pas désemparer pendant 36 heures. On laissera ensuite refroidir 3 semaines avant d’ouvrir.
L’atelier de façonnage est à l’étage :
La pâte est modelée dans des moules et les déchets sont toujours recyclés au « moulin ». Le retrait est de 18% à la cuisson. Il est amusant de s’interroger sur le procédé de moulage.
En fait la pâte est versée comme on coulerait une pâte à crêpe dans le moule, l’eau étant presque instantanément aspirée par la paroi. Il n’y a plus qu’à ouvrir le moule en deux pour libérer l’objet. Il faut ensuite longuement finaliser certaines pièces au tour. On travaille alors avec des outils que chacun a fabriqués spécialement pour chaque pièce.
Et à l’éponge.
Les couleurs sont toutes faites chimiquement dans la pièce que l’on voit ci-dessous.Et bien entendu les émaux sont appliqués à la main dans des pièces au calme d'une densité incomparable.
Quand un objet nécessite plusieurs émaux c’est la couleur qui doit cuire à la plus haute température qui est appliqué en premier. Il y a autant de cuisson que de couleur (et à raison d’un refroidissement de 3 semaines entre chaque on commence à comprendre qu’il faille un an pour sortir une assiette).
L’or sort du four mat. Il faudra le brunir pour le rendre brillant, c’est-à-dire le frotter des heures avec une agate comme on en voit dans cette vitrine (ci-dessous).
Les artistes sont respectueux de la tradition mais on sent poindre des souhaits de nouveauté, comme l’envie de pâtes chamottées par exemple.
Sèvres demeure une vitrine de la science des arts français. Les déjeuners et les dîners des grands corps de l’État sont toujours servis dans de la vaisselle de Sèvres, laquelle est prêtée aux ministres, jamais offerte, sauf en cadeau de prestige à des fins diplomatiques.
D'intrigantes architectures se devinaient depuis le premier étage dans le petit jardin adjacent.
Une vingtaine de maisons diversement parfumées, toutes des réalisations d'élèves, se dressent au garde-à-vous ... alors que la raison d'être de la pyramide de la cour d'honneur demeure un mystère, même pour le personnel de la Manufacture.
Vous trouverez le programme des manifestations de Sèvres ici. partant du principe que les enfants sont prescripteurs des parents un vernissage leur est spécialement dédié le 10 mars 2012.
Haute n’est pas un vain mot puisqu’il s’agit très exactement de 1380°.
La Cité de la céramique est composée désormais de deux unités, sous une seule direction, la première consacrée à la conservation, avec le Musée, la seconde à la production.
Créée en 1740 par Louis XIV, elle fut initialement installée à Vincennes, puis rue de Sèvres à partir de 1756 à l’initiative de Madame de Pompadour, passionnée par les arts et artiste elle-même, qui en obtint la construction de Louis XV. Elle en fut un mécène régulier et irremplaçable et elle s’y rendait à pieds, en voisine. L’emplacement avait été choisi pour cette raison mais aussi parce qu’on se trouvait sur la route de Versailles, que les coteaux des alentours de Meudon et de Saint-Cloud étaient riches en bouleaux (indispensable pour alimenter les fours), et que la Seine facilitait les approvisionnements.
L’enjeu était phénoménal au XVIII° siècle. Seuls les Chinois savaient alors faire de la porcelaine, parce qu’ils étaient les seuls à disposer du kaolin.
C’est la découverte de gisements en Allemagne puis à Limoges qui ont donné accès à la pâte magique aux Européens. Devenir capable de fabriquer sa propre porcelaine était un challenge énorme alors qu’une simple assiette de porcelaine ne fait plus figure d’exception aujourd’hui.
La Manufacture ne pouvait être que Royale. Les contrefaçons de l’époque sont des faïences de Deft, blanches avec un décor bleu, piètrement ressemblantes. En aiguisant son regard on repère que sous l’émail blanc la pâte est grise et qu’il ne s’agit donc pas d’une porcelaine.
En 1876 la Manufacture migre en bordure de Seine où elle se trouve toujours. Les anciens bâtiments abriteront l’École normale supérieure de jeunes filles jusqu’en 1940. Depuis 1945 ils abritent le Centre international d’études pédagogiques et leur aspect extérieur est resté le même.
La manufacture accueille régulièrement des élèves d’écoles primaires dans un partenariat instauré depuis 2006 avec l’Éducation nationale appelé les Petits Dégourdis de Sèvres. L’intitulé fait référence au terme de dégourdi désignant une première cuisson à 900° qui permet d’émailler et de peindre.
Après avoir touché dans leur classe des matières emprisonnées dans des petits sacs (papier bulle, toile cirée, papier de verre, fibre végétale …) chacun avait donné ou imaginé des mots qui avaient été notés dans une ébauche de lexique. Ils avaient découvert les lieux dans le cadre des Journées du Patrimoine et fait la connaissance d’un artiste.
Le jour de ma visite un groupe explorait le vocabulaire de la sensation du toucher. Dur, lisse, doux, rugueux, les termes manquent pour décrire avec précision. Les enfants ont donc le droit d’inventer, par exemple chatouilleux, malfoineux … On leur demande ensuite d’associer chacun à un des carrés de pâte que l’artiste leur donne à manipuler, porcelaine, grès, faïence plus ou moins lisse.
Il y a beaucoup de pistes à travailler avec les enfants, à commencer par leur demander comment la terre peut bien « tenir ».
A l’époque de Louis XV on faisait appel à des artistes. Cela reste vrai aujourd’hui. On peut tout aussi bien refaire à l’identique un objet ancien comme réinventer des nouveautés. 32 corps de métiers y travaillent, ce qui fait qu’un objet peut passer entre 32 paires de mains, sur un délai de parfois un an, dans un rapport au temps qui n’est pas celui que nous vivons dans notre quotidien. Qui reste unique au monde et qui justifie son appartenance à l’industrie du luxe où le degré d’imperfection n’excède pas le zéro absolu.
Première salle dite du moulin :
Depuis le camion de cailloux jusqu’à la porcelaine émaillée et raffinée tout est entièrement fait à la main, à l’exception de quelques machines dans la première partie du processus.
Le quartz apporte la qualité et la luminosité, le feldspath le fondant, et le kaolin est magique.
Chaque matière est broyée séparément et il existe plusieurs types de mélange.
La pâte est délayée dans de l’eau de pluie pour obtenir ce qu’on appelle de la barbotine. Une goutte de colorant est ajoutée pour repérer les différentes pâtes d’un seul coup d’œil. Mais après cuisson toutes les pièces seront blanches.
L’ennemi absolu de la porcelaine est le métal (il explose à la cuisson). Il faut donc passer la poudre au filtrage aimanté. On voit les trois aimants en ailettes sur le cliché.
Pour perdre son eau la pâte passe dans une machine permettant à la matière de se déposer sur les filtres. On obtient des galettes de pâtes que l’on rebrasse et pétrit avec la marcheuse. L’ennemi est cette fois la bulle d’air. On a donc recours ensuite à la désaréeuse qui tourne avec une vis d’Archimède pour sortir un colombin d’un mètre de long. A l’issue de cet atelier on dispose d’un stock de pâte liquide et de pâte solide, au choix.
Deuxième salle dite galerie des moules. Il en existe une autre, dite le Magot qui recèle les moules historiques.Troisième salle dite galerie des fours :
Des six fours à bois ne fonctionne plus que celui-ci pour ne pas en oublier la technique et qui, en outre, demeure pratique pour cuire les très grandes pièces qui sont placée en bas, les petites étant au deuxième étage. De chaque coté se trouvent des coffres, au nombre de 4, pour y stocker le bois, uniquement du bouleau parce que c’est l’essence qui tient le mieux la chaleur.
Les objets sont installés dans des « gazettes » en terre (en pile le long du mur dans l’attente d’être utilisées) pour les protéger des retours de flamme et des fumées. La tasse est cuite à l’envers, les supports aussi.
La porte du four est obturée par la construction d’un mur. Elle est soigneusement bouchée.
Le feu est allumé par une allumette géante d’une quarantaine de centimètres qu’on appelle alandier et qui est une sorte de branche dont l’écorce arrachée par endroit s’enroule sur elle-même.
Il ne doit pas désemparer pendant 36 heures. On laissera ensuite refroidir 3 semaines avant d’ouvrir.
L’atelier de façonnage est à l’étage :
La pâte est modelée dans des moules et les déchets sont toujours recyclés au « moulin ». Le retrait est de 18% à la cuisson. Il est amusant de s’interroger sur le procédé de moulage.
En fait la pâte est versée comme on coulerait une pâte à crêpe dans le moule, l’eau étant presque instantanément aspirée par la paroi. Il n’y a plus qu’à ouvrir le moule en deux pour libérer l’objet. Il faut ensuite longuement finaliser certaines pièces au tour. On travaille alors avec des outils que chacun a fabriqués spécialement pour chaque pièce.
Et à l’éponge.
Les couleurs sont toutes faites chimiquement dans la pièce que l’on voit ci-dessous.Et bien entendu les émaux sont appliqués à la main dans des pièces au calme d'une densité incomparable.
Quand un objet nécessite plusieurs émaux c’est la couleur qui doit cuire à la plus haute température qui est appliqué en premier. Il y a autant de cuisson que de couleur (et à raison d’un refroidissement de 3 semaines entre chaque on commence à comprendre qu’il faille un an pour sortir une assiette).
L’or sort du four mat. Il faudra le brunir pour le rendre brillant, c’est-à-dire le frotter des heures avec une agate comme on en voit dans cette vitrine (ci-dessous).
Les artistes sont respectueux de la tradition mais on sent poindre des souhaits de nouveauté, comme l’envie de pâtes chamottées par exemple.
Sèvres demeure une vitrine de la science des arts français. Les déjeuners et les dîners des grands corps de l’État sont toujours servis dans de la vaisselle de Sèvres, laquelle est prêtée aux ministres, jamais offerte, sauf en cadeau de prestige à des fins diplomatiques.
D'intrigantes architectures se devinaient depuis le premier étage dans le petit jardin adjacent.
Une vingtaine de maisons diversement parfumées, toutes des réalisations d'élèves, se dressent au garde-à-vous ... alors que la raison d'être de la pyramide de la cour d'honneur demeure un mystère, même pour le personnel de la Manufacture.
Vous trouverez le programme des manifestations de Sèvres ici. partant du principe que les enfants sont prescripteurs des parents un vernissage leur est spécialement dédié le 10 mars 2012.
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