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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 27 février 2011

L'amour est une île de Claudie Gallay chez Actes Sud

Claudie Gallay excelle dans l’installation d’une atmosphère propre à chacun de ses livres. Elle m’a emmenée dans un camp de gitans avec Mon amour, ma vie (2002), en territoire Hopi Dans l’or du temps (2006), à Venise dans Seule Venise (2004), au cap de la Hague, avec les Déferlantes (2008). Avec l’Amour est une île c’est en Avignon qu’elle a choisi de m’embarquer.

Il y a quelque chose qui n’a pas très bien fonctionné cette fois entre le livre et moi. A qui la faute ? Probablement à l’interférence avec mes propres souvenirs qui ont fait écran aux images projetées par l’auteur.

Hésiter n’est pas fréquent pour moi. Quand j’aime je le dis, quand je n’aime pas je me tais ou je m’explique franchement. La critique doit être constructive et honnête. L’exercice est difficile quand on connait et apprécie l’auteur d’autant que Claudie Gallay reste un de mes écrivains préférés et que l’entretien que j’ai relaté sur le blog est un des articles les plus lus depuis deux ans.

D’un coté je ne veux pas me défiler en masquant mon opinion. D’un autre je ne veux pas blesser. J’ai choisi d’attendre plusieurs mois après la sortie du livre (que j’avais reçu en avant-première l’été dernier) et de présenter mon billet sous la forme d’un pour/contre, un peu à l’image des critiques de la rubrique cinéma de Télérama quand la rédaction est divisée.

J’ai aimé :
Lire de jolies citations mais je ne suis pas certaine qu’elles étaient utiles :
Le trac vient avec le talent (Sarah Bernhardt) p. 63
Se taire est la seule attitude valable (Mime Marceau) p. 176
Le seul moyen de se délivrer d’une tentation c’est d’y céder (Oscar Wilde) p. 285

Saliver avec les descriptions de scènes de repas ou de leur préparation. Il y a beaucoup à manger et à boire au fil des pages. Par exemple (p. 160) : çà sent l’huile et le poivre. Les poivrons ont mariné dans un petit saladier bleu. Ils sont verts et rouges, servis avec des tomates que l’on dirait confites.

Suivre les déambulations des personnages qui circulent dans la grande « famille» recomposée du théâtre : Isabelle, Nathalie, Mathilde, Odile, Odon, Julie, Jeff et Marie …

Retrouver l’énergie qui se dégageait dans les premiers livres de l’auteur, en particulier l’Office des vivants (2001), son talent pour construire des personnages complexes, à vif, qui peuvent ne pas craindre la violence.

Résoudre l’énigme d’Einstein (p. 140) … qui a sans doute agacé ceux qui la connaissaient.

Et puis, comme toujours, le style de Claudie, avec ces phrases courtes qui sonnent justes et qui sont sa marque de fabrique et qui sont bien plus savoureuses que les citations de personnages célèbres :
- il y a toujours une multitude de raisons de faire ou de ne pas faire les choses (p.111)
- les hommes je les aime tellement, dit Mathilde, que je ne les aime qu’avec passion … Mais je m’ennuie vite avec eux. Ils me font perdre mon temps, me prennent mon énergie. La passion est un fruit à croissance rapide, il retombe vite et … pourrit. (p.144)
- vieillir ce n’est rien quand on se souvient (p.176)
- çà lui nécrose les chairs, les griffures c’est pour suinter (p.199)
- ce morceau de gamine (Marie) ressemble à une déchirure. Ne l’embête pas.
- souffrir ne lui donne pas tous les droits (p.215)
- les indiens Hopis disent que les photos gardent l’âme de ceux qui se laissent prendre (p.240)
- à défaut d’être fière, faire honte (p.284)

Je n’ai pas aimé :
Certaines scènes très dures et le parallèle qu’on serait tenté de faire avec le film Black Swan, car la force auto-destructrice du personnage de Marie est douloureuse à lire s’agissant d’une adolescente.

Le surnom de la Jogar donné à Mathilde qui me semble désuet à l’époque où le roman est situé. Cette façon d’appeler les comédiens n’a plus cours depuis longtemps.

Le surgissement d'évènements réels qui ne m’ont pas semblé servir l’intrigue. La grève des intermittents du spectacle par exemple est une citation anecdotique qui ne fait que dater l’époque, juillet 2003. C’est un élément exact mais Claudie Gallay le relate sans l’analyser ni prendre partie. Or l’annulation du festival a été un évènement colossal et le off, composé uniquement d’intermittents, s’est trouvé face à un dilemme et finalement contraints de jouer pour exister (31 troupes sur 600 seulement se sont arrêtées). Cette grève libère Mathilde de ses obligations professionnelles. L'annonce d'un jour de relâche aurait fait tout aussi bien.

Marie porte un pull vert qui annoncerait le malheur. C’est vrai que cette couleur est bannie au théâtre bien que ce soit aussi la couleur de la chance et de l’argent (le dollar est le billet vert). L'association du vert avec le hasard viendrait du fait qu'il était l'une des couleurs les plus instables en teinturerie, d'où son interdiction traditionnelle au théâtre. Il est possible aussi que certains comédiens aient été empoisonnés par de l’oxyde de cuivre ou du cyanure présents sur les costumes verts à l'époque médiévale. Je la crois volontiers quand elle écrit que Molière est mort sur scène en habit vert, malheureux hasard. (p.113)

Les allusions à Jacques Prévert dans les Déferlantes ne m’avaient pas dérangée. Cette fois c’est Gérard Philipe, figure mythique du festival d’Avignon, qui vient hanter plusieurs chapitres. Je suis trop jeune pour l’avoir rencontré et le visage des acteurs que j’ai connus en Avignon s’interposait parfois au détour d’une page. Il me suffisait de lire le nom de la rue de la Croix, qui est bien voisine de la rue du Mont-de-piété, de la rue des Lices ou de la place des Carmes. Et surtout l’hôtel de la Mirande qui existe bel et bien et qui est, au festival d’Avignon, l’équivalent du Carlton pendant le festival de Cannes.

Les références à Gérard Philipe m’ont gênée parce qu’elles sont ultra connues. Il suffit de taper le nom sur Google pour tomber sur l’hommage d’Aragon : les siens l’ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer pour qu’il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards, et qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde. Et le passant, tant qu’il fera beau sur sa tombe dira : non, Perdican n’est pas mort, simplement il avait trop joué, il lui fallait se reposer d’un long sommeil.

Si Aragon le surnomme Perdican, du nom du héro d’Alfred de Musset (On ne badine pas avec l’amour) c’est parce que c’est le dernier rôle que l’acteur interpréta en 1959 au Théâtre national de Chaillot avant de mourir, à 37 ans, d’un cancer du foie foudroyant. Mais c’est dans le costume du Cid qu’il est enterré à Ramatuelle.

Il est exact que sa tombe fait l’objet d’incessantes visites de touristes mais le rituel du pèlerinage d’Isabelle en plein été est surprenant puisqu’il est mort en novembre.

Je n’ai jamais mis les pieds dans le théâtre du Chien-fou ni celui des Trois colombes, qui me semble-t-il n’existent pas car je connais bien le in comme le off. Ce n’est pas grave. Cela reste un roman, mais Claudie Gallay met dans son livre tant de détails authentiques, d’anecdotes et de citations que j’ai cru un moment avoir la mémoire qui flanchait.

J’ai encore mieux compris pourquoi Didier Decoin m’avait confié dans le train menant au Livre sur la place de Nancy qu’il n’avait pas réussi à se promener sur les chemins des Déferlantes alors que je tentais de lui communiquer mon enthousiasme et d’entendre quelques avis sur les probables « goncourables» 2009 (il est Secrétaire général de l'Académie Goncourt). Il est vrai qu’il habite le Cotentin et que le décor des Déferlantes lui est familier.

Je vous recommande d’ailleurs la lecture savoureuse de Vue sur la mer, où il relate avec force humour la recherche de la maison de ses rêves, rendue accessible grâce aux droits d'auteur de John l'enfer. Nous avons chacun notre vision des paysages. J’ai commencé le dernier livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, qui me transporte en Haïti après le séisme qui a secoué le pays. Si j’avais déjà voyagé là-bas j’aurais peut-être une perception moins positive.

Mais surtout je n'ai pas trouvé ce condensé d'universalité qui permet de répondre à la question de savoir ce qu’on retient d’une lecture, ce qui nous reste, une fois le livre refermé.

Je compte bien discuter de cela mi-mars avec Claudie Gallay au Salon du livre de Paris et de ses prochains projets que j'attends avec impatience.

L'entretien avec Claudie Gallay en 2009
L'énigme d'Einstein, publiée avant-hier

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