L'actualité de Sophie Fontanel, la chroniqueuse malicieuse de ELLE, signant sous le pseudonyme de Fonelle, c’est l’Envie, un excellent livre au demeurant, dans lequel elle tord le cou à un travers de notre époque qui voudrait que la solitude amoureuse soit au pire une tare, au mieux une catastrophe. Comme si celui qui n’est pas en état d'appétit permanent est un anormal.
Je regrette de ne pas l'avoir remarqué à la rentrée de l'année 2010, mais c’est sur Grandir, qui est un autre ouvrage de ce même auteur qu’il me semble plus important de se précipiter, même si le sujet est moins plaisant à évoquer au cours d’un dîner. Sophie y déballe la dégringolade d’une fin de vie, en comptant les pas d’une danse macabre et en appelant un chat un chat. Mais elle le fait avec amour, poésie et respect.
Elle nous décrit un parc aux arbres aux fleurs crémeuses où elle installe sa mère comme dans une paisible dragée (p.126). Un autre jour c’est la tête de coucou émergeant des couvertures.
On est loin de l’écriture puissante et imprégnée de pathos d’Annie Ernaux ou de la réflexion introspective de Delphine de Vigan. Les chapitres sont courts, n’excédant pas trois pages, d’une écriture économe de mots mais abondante d’images, où sont doucement déposés les mots qui pèsent. Sophie Fontanel nous transporte, nous secoue, sans faire d’inutiles effets de style, ce qui est une grande qualité pour une journaliste. Elle fait preuve d’un peu de compassion mais jamais de complaisance. Et curieusement cela fait du bien.
On est dans la veine du Scaphandre et du papillon, d’Intouchables … On se situe en fin de vie mais on reste dans la vie et dans le désir dont elle parle sans fausse pudeur.
Elle a le chic de mettre du baume au cœur avec ses réflexions. Par exemple à propos des pertes de mémoire de sa maman, elle souligne qu’elle gagne en lucidité. Maintenant qu’elle oublie tant de choses, elle peut savourer les joies de l’improviste. Je dis que je viens, et puis je viens, mais elle, elle avait oublié que je venais, et pour un peu elle m’applaudirait. (…) Elle m’a fait ce cadeau quand j’étais enfant, de me délivrer du poids du quotidien (…) Elle a fait de mon enfance une vraie enfance. Je peux bien rendre, à présent. (p.35).
Elle s’amuse de ses incroyables bévues, et multiplie les anecdotes, plus vraies que vraies, comme le jour où elle cherche à se souvenir ce que les huitres lui inspirent. Ensemble elles imaginent une infinité de choses … jusqu’à ce qu’en fin de journée enfin la réponse lui revienne : manger une tranche de foie gras.
Elle cite à l’occasion la pensée d’un philosophe, comme Jankélévitch qui, à propos de la vieillesse et de la mort, les voyait comme « la suppression d’un insuppressible ». Elle nous déculpabilise en nous avouant qu’elle se sent inapte face à la vieillesse. Comme elle le dit simplement : on n’est pas préparé à élever ses parents.
Elle décrit une rencontre avec un homme très âgé, toujours roc indestructible au charme incandescent. Mais elle ne cache pas les ravages de la maladie, les faux-semblants et la collusion entre le dérisoire de son quotidien (comme lorsqu’elle revient d’un défilé de mode) avec la réalité hospitalière.
Sans voir la vie en rose, elle éclaire le quotidien en demi-teintes : assister calmement au monde est son nouveau privilège (p.127), tolère les caprices de la vielle dame, refusant d’y voir du chantage, mais simplement de l’âge (p. 138).
Elle demeure toujours journaliste, par exemple en nous rappelant le suicide du créateur Alexander Mc Queen la veille de l’enterrement de sa mère, ce qui bien entendu l’effraie d’avance. Elle est lucide sur ses propres atermoiements, confessant avoir donné ce qu’elle voudrait recevoir (p.139).
Grandir est bien le titre qui convient. Cette épreuve a permis à Sophie de quitter le stade de l’agacement facile pour entrer dans celui de la paix. Jusqu’à la non fin magnifique dans un jardin métaphorique dans un tutoiement polysémique qui s’adresse à ses deux neveux … renvoyant sans doute aux deux prénoms de la dédicace. Et surtout éclairant une des premières phrases du livre : aider quelqu’un c’est avoir aussitôt soi-même besoin de secours.
Décidément, oui , grandir, c’est bien après la croissance, on dirait.(p.20)
Sophie FONTANEL, Grandir, Robert Laffont, 2010
Je regrette de ne pas l'avoir remarqué à la rentrée de l'année 2010, mais c’est sur Grandir, qui est un autre ouvrage de ce même auteur qu’il me semble plus important de se précipiter, même si le sujet est moins plaisant à évoquer au cours d’un dîner. Sophie y déballe la dégringolade d’une fin de vie, en comptant les pas d’une danse macabre et en appelant un chat un chat. Mais elle le fait avec amour, poésie et respect.
Elle nous décrit un parc aux arbres aux fleurs crémeuses où elle installe sa mère comme dans une paisible dragée (p.126). Un autre jour c’est la tête de coucou émergeant des couvertures.
On est loin de l’écriture puissante et imprégnée de pathos d’Annie Ernaux ou de la réflexion introspective de Delphine de Vigan. Les chapitres sont courts, n’excédant pas trois pages, d’une écriture économe de mots mais abondante d’images, où sont doucement déposés les mots qui pèsent. Sophie Fontanel nous transporte, nous secoue, sans faire d’inutiles effets de style, ce qui est une grande qualité pour une journaliste. Elle fait preuve d’un peu de compassion mais jamais de complaisance. Et curieusement cela fait du bien.
On est dans la veine du Scaphandre et du papillon, d’Intouchables … On se situe en fin de vie mais on reste dans la vie et dans le désir dont elle parle sans fausse pudeur.
Elle a le chic de mettre du baume au cœur avec ses réflexions. Par exemple à propos des pertes de mémoire de sa maman, elle souligne qu’elle gagne en lucidité. Maintenant qu’elle oublie tant de choses, elle peut savourer les joies de l’improviste. Je dis que je viens, et puis je viens, mais elle, elle avait oublié que je venais, et pour un peu elle m’applaudirait. (…) Elle m’a fait ce cadeau quand j’étais enfant, de me délivrer du poids du quotidien (…) Elle a fait de mon enfance une vraie enfance. Je peux bien rendre, à présent. (p.35).
Elle s’amuse de ses incroyables bévues, et multiplie les anecdotes, plus vraies que vraies, comme le jour où elle cherche à se souvenir ce que les huitres lui inspirent. Ensemble elles imaginent une infinité de choses … jusqu’à ce qu’en fin de journée enfin la réponse lui revienne : manger une tranche de foie gras.
Elle cite à l’occasion la pensée d’un philosophe, comme Jankélévitch qui, à propos de la vieillesse et de la mort, les voyait comme « la suppression d’un insuppressible ». Elle nous déculpabilise en nous avouant qu’elle se sent inapte face à la vieillesse. Comme elle le dit simplement : on n’est pas préparé à élever ses parents.
Elle décrit une rencontre avec un homme très âgé, toujours roc indestructible au charme incandescent. Mais elle ne cache pas les ravages de la maladie, les faux-semblants et la collusion entre le dérisoire de son quotidien (comme lorsqu’elle revient d’un défilé de mode) avec la réalité hospitalière.
Sans voir la vie en rose, elle éclaire le quotidien en demi-teintes : assister calmement au monde est son nouveau privilège (p.127), tolère les caprices de la vielle dame, refusant d’y voir du chantage, mais simplement de l’âge (p. 138).
Elle demeure toujours journaliste, par exemple en nous rappelant le suicide du créateur Alexander Mc Queen la veille de l’enterrement de sa mère, ce qui bien entendu l’effraie d’avance. Elle est lucide sur ses propres atermoiements, confessant avoir donné ce qu’elle voudrait recevoir (p.139).
Grandir est bien le titre qui convient. Cette épreuve a permis à Sophie de quitter le stade de l’agacement facile pour entrer dans celui de la paix. Jusqu’à la non fin magnifique dans un jardin métaphorique dans un tutoiement polysémique qui s’adresse à ses deux neveux … renvoyant sans doute aux deux prénoms de la dédicace. Et surtout éclairant une des premières phrases du livre : aider quelqu’un c’est avoir aussitôt soi-même besoin de secours.
Décidément, oui , grandir, c’est bien après la croissance, on dirait.(p.20)
Sophie FONTANEL, Grandir, Robert Laffont, 2010
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