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vendredi 24 juillet 2020

Et la vie reprit son cours de Catherine Bardon

Catherine Bardon a poursuivi la saga de la famille dominicaine en publiant le tome 3, intitulé Et la vie reprit son cours qui fait suite aux Déracinéssalué par de nombreux prix, et à L’Américaine tous trois aux éditions Les Escales.

La série est addictive parce que les personnages, bien qu'exceptionnels, sont profondément humains. A tel point que le dernier ouvrage nous abandonnant fin septembre 1979 nous attendons maintenant un quatrième.

Comme dans les précédents tomes, les chapitres sont toujours courts, et l'écriture rythmée, donnant le sentiment d'assister à un diaporama laissant notre esprit vagabonder un peu entre les chapitres. 

J'aime beaucoup la ponctuation du texte par des expressions locales, souvent non traduites, et à ce propos intraduisibles littéralement,  mais compréhensibles dans le contexte comme la parada, qui est un endroit où l'on peut s'arrêter pour se restaurer.

Je découvre des expressions savoureuses et méconnues. J'ignorais que ahoritica (p. 217) était une nuance supplémentaire à ahora (maintenant) et ahorita (dans un petit moment) que j'entends si souvent au Mexique.

Catherine Bardon connait parfaitement l'histoire de la fondation de la République dominicaine où elle se rend régulièrement et qu'elle a recueillie, il y a trente ans déjà, de la bouche même des derniers témoins. Avant de s'atteler à cette fresque historique elle avait écrit des guides de voyage et réalisé un livre de photographies. On en apprend de plus en plus sur ce pays dont l'histoire était jusque là méconnue et l'image très focalisée sur l'exploitation récente et touristique. Nous sommes "baladés" (dans le bon sens du terme) entre deux continents, quatre pays, cinq langues, trois générations. Et cela fait du bien, particulièrement en cette période oui les voyages nous sont interdits pour cause sanitaire.

C'est la chronique d'une grande et belle famille ressuscitée de son exil après le sacrifice de sa terre natale (p. 315). C'est l'histoire de Ruth, qui se déroule dans des chapitres écrits à la première personne mais c'est aussi -et alors l'auteure passe à la troisième personne- celle d'Almah. L'évolution des sentiments compte autant que les faits historiques. Catherine Bardon a beaucoup contribué à mettre à jour une mythologie restée longtemps confidentielle afin que ceux qui ont fait l'histoire de cette communauté ne soient pas que des noms oubliés au bas des pages jaunies d'un accord qui aura tout juste sa place dans un musée (p.137) comme elle le fait dire à un de ses personnages au moment de la dissolution de l'accord encadrant le projet de communauté agricole de Sosúa et qui avait été signé en janvier 1940.

Organisé en 3 parties, et 38 chapitres, ce tome III couvre la période 1967-1979. Je vous conseillerais de les découvrir dans l'ordre mais celui qui commencerait par ce livre là ne serait pas perdu puisque Catherine Bardon commence par rappeler qui sont les personnages principaux en résumant brièvement l'essentiel de ce qu'ils ont vécu jusque là. Un prologue, ensuite, remet le lecteur en condition pour accueillir la suite du feuilleton.

La deuxième partie, intitulée Et la vie prit ses racines est très proche du titre, lequel sera d'ailleurs la dernière phrase du roman. C'est Joseph Kessel (in La vallée des rubis) qui le lui a inspiré : Et la vie prit ses racines, son cours, sa routine parmi les décors et les personnages d'un songe.

Il m'est difficile de parler de cet opus parce que je ne voudrais pas spoiler les rebondissements qui vont se succéder, jusqu'à la fin. Je peux juste dire qu'on retrouve l'atmosphère que l'on appréciait déjà, et que le caractère des personnages est intact, quoique un peu assagi par les années, ce qui est tout à fait dans l'ordre des choses. 
Il y a beaucoup d'événements festifs, organisés dans une vitalité joyeuse. La succession de ces nouvelles aventures qui sont éclairées de multiples citations placées en tête de chaque grande partie est davantage imprégnée de romantisme que de nostalgie. Il a sans doute fallu que Catherine Bardon prenne de la distance avec les personnages avec qui elle a vécu tant d'années et sur la sépulture desquels elle est revenue se recueillir, dans un cimetière envahi d'herbes folles où, selon l'usage, des petites pierres alignées sur les tombes signalent le passage des visiteurs.

Un jour retrouvera-t-on la clé du petit musée consacré localement à l'histoire de cette communauté ? Arrêtera-t-on de ne voir que la République dominicaine qu'à travers le prisme de ses plages ? C'est pourtant un pays très moderne, qui a su faire preuve de réactivité notamment dans la gestion de la pandémie de Covid. 

Une forme de sagesse se dégage de ce troisième livre. Nul ne peut atteindre l'aube sans passer par le chemin de la nuit, comme le souligne Khalil Gibran. Une citation que je ne peux m'empêcher de relier à celle du court poème d'Alejandra Pizarnik que je découvre dans ce livre et qui nous sera donné plus loin Demain je m'habillerai de cendres à l'aube...

Ruth demeure le personnage central, qui s'est affirmé depuis l'Américaine. La jeune femme s'alarme presque de vivre une période de plénitude qu'elle compare à la vie si aventureuse de ses parents (p. 190). Elle avoue les envier d'avoir traversé des épreuves parce que celles-ci les ont soudés dans leur combat quotidien. Et il est intéressant pour le lecteur de s'interroger alors sur la tournure que les évènements vont prendre, en poursuivant dans ce sens ou en se ponctuant de revers. A cet égard Catherine Bardon sait ménager le suspense. On s'étonne en la lisant que les choses arrivent à point nommé, comme si'l n'y avait pas de hasard. La grande histoire est indissociable de cette saga familiale qui, de ce fait, a vertu d'exemple.

J'ai tout de même un reproche à lui faire, celui de ne pas partager avec nous les recettes des plats qu'elle cite dans le livre, comme la Dobosh Torte dont j'adorerais me régaler de la croute caramélisée le jour où je préparerais un Kaffeeklatsch entre amis. Qu'on se rassure, j'ai mené l'enquête. Il aurait été étonnant que notre Mercotte nationale n'ait pas soumis ce dessert typique des pays de l'Est aux candidats du Meilleur Pâtissier et en voici donc une version en laquelle on peut se fier.

Outre l'annonce du quatrième tome (car il est quasi garanti) on peut annoncer la sortie des Déracinés dans une adaptation sous la forme d'une Bande Dessinée chez Philéas. Ce nouvel éditeur a récemment annoncé la création d'adaptations d’œuvres connues issues des catalogues de plusieurs maison d’édition : Robert Laffont, Plon, Sonatine, Pocket, Fleuve Noir, Presses de la Cité, Héloïse d’Ormesson, XO, Julliard … et les Escales.

Les deux premiers titres paraîtront en octobre 2020. Il s’agira de Gravé dans le sable de Michel Bussi, par Cédric Fernandez & Jérôme Derache. Puis Le Syndrome de Franck Thilliez, par Sylvain Runberg & Luc Brahy.

Les Déracinés, par Catherine Bardon & Winoc sont annoncés pour 202, de même que Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris, par Ingrid Chabbert & Camille K.

Et vous pouvez aussi écouter le Entre Voix dans lequel j'ai invité Catherine à parler de son oeuvre.

Et la vie reprit son cours de Catherine Bardon, les Escales, en librairie depuis le 28 mai 2020

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