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mardi 21 juillet 2020

Benni, le premier long métrage de Nora Fingscheidt

Après le théâtre je suis retournée au cinéma, juste avant que la salle ne ferme -pour vacances cette fois.

J'ai vu Benni, le film de Nora Fingscheidt qui raconte l'histoire d'une fillette de neuf ans, négligée par sa mère, enfermée depuis sa petite enfance dans une violence qu'elle n'arrive pas à contenir.

Ce premier long métrage est intéressant parce qu'il montre bien les failles du système social où les interlocuteurs changent régulièrement, avec les conséquences pour un enfant qui a un problème avec l'attachement.

Il montre aussi que la réponse la plus adaptée est surtout médicamenteuse alors que l'être humain a davantage besoin de sentiments que de chimie. Malheureusement quand la mère (mais on pourrait aussi le dire du père) n'est pas dans la capacité (et il n'y a pas de jugement dans mon propos) d'élever son enfant, ni même de lui consacrer un minimum de temps les dégâts sont probablement irréversibles.

La réalisatrice n'est pas moralisatrice. Elle révèle ce qu'elle a observé, car elle a bâti son scénario après quatre années d'écriture au cours desquelles elle a collecté des témoignages dans diverses institutions. Elle a rencontré des professionnels, éducateurs, assistantes sociales et médecins, dont elle loue la conscience dans ses interviews, et beaucoup de ces enfants en rupture pour lesquels on ne trouve pas d'endroit adéquat où vivre et se reconstruire après avoir été retirés de leur famille.

Ils sont envoyés dans un premier établissement d'où ils se font expulser au bout de quelques semaines, puis d'un second et dans certains cas ce sont des changements en cascade sans aucune solution pérenne, avec au final un internement définitif en hôpital psychiatrique. On désigne ces mômes en Allemagne sous le terme de Systemsprenger (System Crasher en anglais) littéralement "qui fait exploser le système", ce qui a donné le titre du film à l'international.

Il y a une façon de les désigner en France, on parle de "border lines", mais le distributeur a choisi pour le film le prénom de l'héroïne, Benni, ce qui est nettement plus humain.
Cette position témoigne que l'expression (qui voit les choses en se plaçant du coté des institutions) est impropre puisque c'est le paradoxe de la situation qui fait exploser l'enfant. Les images le montre clairement : si elle hurle, casse, frappe, pouvant autant se blesser elle-même que faire du mal aux autres, c'est parce qu'elle est malheureuse, révoltée et désespérée.

Il faudrait parvenir à briser le cercle maudit mais est-ce qu'un séjour de quelques jours dans les bois, loin de ce qui déclenche les crises, pourrait suffire ? La vie n'est pas un conte de fée et quand la parenthèse se referme le retour à la réalité urbaine pourrait bien être une nouvelle catastrophe. Surtout si par mégarde quelqu'un touche son visage, ce qui provoque une crise insurmontable.

Inversement, la camisole chimique qui la montre bardée de tuyaux et sous perfusion, calme et paisible, n'est qu'un instant avant qu'elle ne retombe dans la provocation et les insultes.

Benni est formidablement interprétée par Helena Zengel, qui n'a pas été repérée dans la rue. Elle était déjà actrice et son visage est très cynégétique. Elle sait parfaitement comment traduire l'impuissance par un regard.

De foyer en foyer, Madame Bafané, son assistante sociale et Micha, un éducateur, tentent tout pour calmer ses blessures et l'aider à trouver une place dans le monde. Benni aspire à être protégée et retrouver l'amour maternel (et/ou paternel) qui lui manque tant. Le contact avec la nature ou avec un être plus fragile qu'elle comme un bébé pourraient-ils avoir un effet magique ?

Les dernières images sont troublantes mais on peut oser les interpréter positivement en écoutant sur le générique de fin : Ain't Got No, I got life une des chansons les plus connues de Nina Simone dont elle a fait un véritable hymne de la culture noire et une chanson féministe, en pleine lutte pour les droits civiques des Noirs américains, et par extension une chanson d'espoir.

Elle a elle-même à plusieurs reprises subi la ségrégation puisque à l'âge de dix ans elle a vu ses parents interdits d'entrer dans l'église où elle donnait son premier concert de piano. Alors, le 16 juin 1968, Nina Simone porte pour la soirée de clôture du second festival de Montreux une robe africaine,  et arbore un regard très solennel qui se pose sur le public où figure des grands artistes comme Aretha Franklin.

Cela fait déjà quelques années que la chanteuse aborde frontalement la question du racisme. Elle termine la soirée avec morceau qui s'appelait d'abord Life et qui est un collage de deux extraits de Hair, la comédie musicale créée à Broadway l'année précédente. Dans le premier Claude fait le bilan de ce qui lui manque dans la vie et qui va le conduire à s'engager dans la guerre du Vietnam. Dans le second, à son retour du Vietnam, il énumère la liste de ce que la bourgeoisie dominante ne pourra jamais lui retirer en exprimant combien ce qui lui manquait avant de partir à la guerre lui apparait désormais superflu.

Evidemment les paroles perdent leur caractère pacifiste pour Nina Simone. Après Malcom X assassiné en février 1965, et surtout Martin Luther King, le 4 avril 1968,  puis Robert Kennedy (le 5 juin, la chanteuse en appelle à la fierté de la condition des noirs américains et démontre que la propriété de son âme dépasse celle de tous les biens matériels :

I ain't got no home, ain't got no shoes ...
Je n'ai pas de maison, je n'ai pas de chaussures, pas d'argent, je n'ai pas de classe pas de jupe, de pull, de parfum, de lit ... l'énumération est très longue et on remarquera aussi Ain't got no mother, Ain't got no friends,  ... pas de mère ni d'amis (...)

Puis la chanson bascule après l'interrogation : Yeah, what have I got (Ouais, qu'est-ce que j'ai)
(...)

Got my hair, got my head, Got my brains, got my ears, Got my eyes, got my nose (J'ai mes cheveux, ma tête, mon cerveau, mes oreilles, mes yeux, mon nez) 

(...) I've got life, I've got my freedom (J'ai la vie, j'ai ma liberté)

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