Née en 1985 à Bobigny, Faïza Guène est une romancière, scénariste et réalisatrice qui a connu le succès à seulement 19 ans avec Kiffe kiffe demain, best-seller traduit en vingt-six langues. Ses écrits explorent le thème de l’identité, notamment des Français issus de l’immigration maghrébine.
Vingt ans pile ont passé et voici Kiffe kiffe hier ? Ce roman, qui arrive après plusieurs autres, (Du rêve pour les oufs, Les gens du Balto, Un homme ça ne pleure pas, Millénium blues et La discrétion) est écrit dans un ton proche du premier, comme le titre en témoigne, mais avec davantage de maturité, qui se manifeste par ce point d’interrogation, laissant la porte ouverte à de multiples hypothèses.
Les deux ouvrages sont à la première personne mais le fait que, dans le second, on puisse vérifier que le compte Instagram de la narratrice, qui s’appelle toujours Doria, n’existe pas instaure une légère distance. On sent la présence de l’auteure juste derrière mais on comprend qu’il ne s’agit pas autant (ou plus autant) d’un récit autobiographique même si on retrouve aussi le personnage de la mère, désormais retraitée de son dernier emploi d’employée de cantine scolaire.
Faïza confirme que cet opus est une forme de suite en confiant que la relecture du passé avec les yeux du présent n’est pas une mince affaire (p. 99). On remarquera qu’à plusieurs reprises elle y interroge (encore) l’idéal républicain. Elle n’est pas près de s’arrêter s’il est vrai que son prochain ouvrage s’intitulera Les Rescapés du système scolaire (p. 127).
J’ai relu Kiffe kiffe demain (car en septembre 2004 le blog n'existait pas encore et je ne pouvais pas me référer à ma chronique) et j’ai remarqué qu’elle y promettait, dans la dernière page, d’écrire une révolte intelligente, sans aucune violence, où on se soulèvera pour être reconnus, tous. Elle a tenu parole.
Elle justifiait le titre qui apparaissait au milieu de l’ouvrage (p. 76) en confiant pour moi c’est kif-kif demain, voulant dire que les choses n’évoluent pas assez vite, ressenti classique des moins de vingt ans pressés de vivre leur vie. Mais elle terminait par un jeu de mots entre kif-fif (pareil en arabe) et kiffer (aimer en verlan), laissant supposer une certaine paix intérieure (p. 192).
Cette fois encore le titre surgit au même endroit (p. 70) : Réussir, c’est devenir une bonne personne (…) sinon ce sera kif kif hier, fini demain. Le point d’interrogation n’est pas ajouté car à ce stade de la narration il n’y a pas de place au doute.
De fait, Doria, 35 ans, vit heureuse entre son fils, sa mère et ses amis fidèles. Elle essaye de concilier ce bonheur avec la présence du père de l'enfant, dont elle est séparée, ainsi qu'avec ses ex-beaux-parents racistes. Parfois, elle regrette l'impression de célébration commune qui avait suivi la Coupe du monde de 1998, mais son humour l'aide à surmonter les tensions du présent.
Kiffe kiffe hier ? est rédigé dans un lexique choisi mais le récit progresse au rythme soutenu d’un langage parlé, avec un humour infatigable, alimenté de comparaisons insensées et pourtant pertinentes. Comme celle qu’elle fait à propos de Marthe Villalonga et dont je ne vais pas vous gâcher la saveur en la racontant.
Quand Fäza Guène force le trait elle emploie souvent les lettres capitales et fait immédiatement amende honorable en nous implorant d’ « arrêter de dire que j’exagère et de respecter son ressenti ». Elle nous rappelle régulièrement qu’elle est devenue réactionnaire, en nous renvoyant au chapitre 9 au cas où nous aurions un doute là-dessus et dans lequel elle s’explique sur son changement de point de vue.
La narration est ponctuée de vannes à deux balles et Faiza compte les points en provoquant notre sourire : L’humour : 1 - Doria : 0 ( p.31) jusqu’au score final L’humour : 11 - Doria : 0 ( p. 231).
Chez elle, humour rime avec amour. Elle dézingue le comportement de sa mère en lui rendant un hommage appuyé. Elle dénonce le diktat des livres de Françoise Dolto dont elle nous rappelle en passant que c’est la mère de Carlos, le chanteur de Big Bisou, ce qui justifie son refus de « recevoir une leçon de cette dame » ( p. 33). Mais elle concède qu’on pense toujours qu’on fera mieux avec nos enfants que ce qu’on fait nos parents avec nous. QUEL CULOT. On ne fait pas mieux, on fait autrement (p. 164).
Chez elle, humour rime avec amour. Elle dézingue le comportement de sa mère en lui rendant un hommage appuyé. Elle dénonce le diktat des livres de Françoise Dolto dont elle nous rappelle en passant que c’est la mère de Carlos, le chanteur de Big Bisou, ce qui justifie son refus de « recevoir une leçon de cette dame » ( p. 33). Mais elle concède qu’on pense toujours qu’on fera mieux avec nos enfants que ce qu’on fait nos parents avec nous. QUEL CULOT. On ne fait pas mieux, on fait autrement (p. 164).
Elle raille l’obligation scolaire de connaître par coeur le théorème de Pythagore qui ne sera JAMAIS utile ultérieurement (p. 69). Et justifie le recours aux majuscules pour signifier son degré de désapprobation.
Se acabó la fiesta amigos. On sera d’accord avec elle : ça en jette plus de dire en espagnol que la fête est finie. Et c’est vrai que cette langue donne une dimension tragique à la vie pour qui connaît les films de Pedro Almodóvar (p.37). Si les chapitres sont régulièrement ponctués d’espagnol, l’auteure ne rechigne pas à avoir recours aussi à l’italien.
Il ne faut pas se méprendre. Ses pirouettes masquent souvent une désillusion teintée d’amertume. Comme elle le dit avec pertinence : La vie n’est pas une cassette vidéo, impossible de revenir en arrière (p. 144). A propos des hommes elle pointe, dans le pire des cas nous tuent et dans le meilleur nous prennent tout notre temps en s’imaginant que nous n’avons rien de mieux à faire qu’être en leur compagnie (p.83).
Il ne faut pas se méprendre. Ses pirouettes masquent souvent une désillusion teintée d’amertume. Comme elle le dit avec pertinence : La vie n’est pas une cassette vidéo, impossible de revenir en arrière (p. 144). A propos des hommes elle pointe, dans le pire des cas nous tuent et dans le meilleur nous prennent tout notre temps en s’imaginant que nous n’avons rien de mieux à faire qu’être en leur compagnie (p.83).
Elle saute agilement du coq à l’âne, rapprochant des situations qui, a priori, n’ont rien en commun. Ainsi elle regrette les changements de nom des villages (qui perdent l’identité à laquelle tiennent tant les natifs du coin) en suggérant que l’hebdomadaire France-Dimanche s’appelle plutôt France-Vendredi puisque c’est son jour de sortie (p. 145). De là à conclure que les propos divulgués dans ce canard sont de quasi fake-news, il n’y a qu’un pas qu’elle franchit en avançant des arguments. Nous sommes proches de l’opinion de Marie Mangez dans Les vérités parallèles, qui sort lui aussi cette rentrée.
Elle raille le nom de la ville mexicaine de Chihuahua qui porte un nom de chien (p. 189) sauf que, comme elle en fait (aussi) l’hypothèse c’est pile le contraire, un chien qui porte un nom d’Etat (car c’est aussi un État mexicain) dont la capitale s’appelle pareillement. Je vais suffisamment souvent dans ce pays pour le savoir de source sûre, même si les chihuahuas que j’ai de mes yeux vus trottinaient dans un autre État, celui de Oaxaca. A croire que malgré leurs courtes pattes ils ont une grande capacité à se déplacer.
Même si l’humour marquait aussi son premier livre il est ici plus vif, très contemporain et on a régulièrement le sentiment d’être assis dans une salle de spectacle et d’assister à un stand-up. S’il lui prend un jour l’idée de se lancer le show est quasi écrit. Elle pourra reprendre sa diatribe à propos de France-Dimanche … ou l’offrir à une autre humoriste.
Si comme moi vous avez la curiosité d’aller fouiner sur Instagram vous constaterez qu’il existe un compte intitulé Doria la malice, ne comportant que 8 publications, 12 followers et 14 suivies. On aura compris que ce n’est pas le sien.
Kiffe kiffe hier ? de Faïza Guène, chez Fayard, en librairie le 21 août 2024
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