J'ai lu cet été Les vérités parallèles avec un très grand intérêt parce que je n'avais pas été totalement conquise par le premier livre de Marie Mangez, paru lui aussi chez Finitude il y a deux ans.
Je reprochais en substance à l'auteure du Le parfum des cendres la proximité de son humour avec le langage parlé et surtout d’avoir puisé de l’inspiration sans citer ses sources. Je ne regrette pas mes mots mais comme je l’écrivais, j’avais promis d’être attentive à son second livre et je suis très heureuse d’avoir pu le découvrir en avant-première. Je suis heureuse de pouvoir en dire tout le bien que j’en pense. Marie Mangez n’a sans doute pas fini de nous surprendre et de nous secouer. Puis-je parier que le prochain sera encore un sujet fort ?
Avec Les vérités parallèles elle nous décrit la vie parfaite d’Arnaud Daguerre :
Le petit garçon modèle – quoiqu’un peu lunaire – est devenu un mari irréprochable – quoiqu’un peu distrait –, puis un papa attentionné – quoiqu’un peu absent.On ne saurait définir le métier de journaliste en quelques mots. Il est évident que l’on n’aura pas les mêmes exigences envers celui qui écrit pour un hebdo à sensation (comme on dit) et à l’encontre de celui qui interviewe une grande figure politique.
Et surtout, Arnaud a accompli son rêve d’enfant : il est aujourd’hui Grand Reporter au Miroir, le célèbre hebdomadaire. Ses reportages sont admirés, célébrés même, puisque récompensés par la distinction suprême, le prestigieux prix Albert Londres.
Pourtant Arnaud vit un enfer quotidien. Sa timidité, son manque d’assurance le paralysent face à tous ces gens qu’il doit contacter, rencontrer, interviewer pour faire son métier.
Alors Arnaud est tenté d’ouvrir la boîte de Pandore : faire appel à son imagination. Si quelques arrangements avec la vérité permettent d’accrocher le lecteur et, accessoirement, de faire monter le tirage du journal, est-ce si grave ?
Et pourtant, quand on lit les papiers du premier, on réalise que l’angle de vue a tordu la réalité sans que celle-ci ait été véritablement pipautée. On rage juste un moment de s’être fait berner par un titre accrocheur.
On a tendance à prendre davantage pour argent comptant ce qui nous est rapporté par un grand reporter ou un journaliste de renom même si on a tous en mémoire le plagiat de l’ex-présentateur du Journal Télévisé qui avait aussi truqué un entretien avec un chef d’état. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, il n’a pas été sanctionné pour autant. Par contre son comportement à l’égard des femmes aura été plus sévèrement condamné.
Marie Mangez a fait des études de journalisme. Elle connait bien son sujet et écrit diablement bien. On est happé par le parcours d’Arnaud alors même qu’on a été prévenu par un chapitre 0 que sa trajectoire professionnelle sera déviée par une tricherie faite à l’école.
Il est astucieux que l’écrivaine rende indirectement les parents responsables de la conduite du fils qui cherche avant tout à satisfaire leur ambition. Ils attendent tant de leur progéniture qu’ils la poussent à la faute. De fil en aiguille, selon l’adage qui vole un œuf vole un bœuf, le voilà contraint de ne jamais cesser de recouvrir de feuilles d’or sa peau d’homme défaillant (p. 177 comme le lui rappelle sans cesse l’éclat du Dôme des Invalides. La métaphore est d’autant plus percutente que Marie Mangez n’abuse pas de cette figure de rhétorique. Il nous faudra du temps pour apprécier le choix du patronyme Daguerre qui nous sera expliqué bien plus tard. C’est plutôt malin (et bien plus astucieux que dans son précédent livre avec celui de Bragonard.
Son roman est très actuel et son raisonnement nous amène à nous interroger à propos de notre boulimie d’informations qui pousse les médias à creuser toujours plus bas dans la mine du sensationnel. Le vrai ne suffit jamais s’il n’engendre pas de fortes sensations.
A l’instar du coach qui inciterait son poulain à dépasser ses limites pourvu qu’il rapporte une médaille, ne serions-nous pas responsables, à notre niveau, du choix d’Arnaud de pousser le curseur de ses reportages aussi loin que le permet le plausible ? Pour satisfaire un monde des apparences que dénonçait en son temps Saint-Exupéry en faisant s’étonner son petit prince à propos de la beauté d’une maison qui éclate aux yeux de ses interlocuteurs non pas pour ses caractéristiques mais par l’énormité de son prix, provoquant un stupide « qu’elle est belle ! » à l’annonce du montant.
Car ce qui est très fort c’est que la motivation d’Arnaud n’est ni l’argent ni la quête du pouvoir (même s’il ne le refuse pas). Il s’interroge régulièrement sur la manière de faire autrement. Mais sa plume est trop agile, son imagination trop efficace pour renoncer à la facilité. Même si sa conscience tente régulièrement de le mettre en garde à travers le personnage de Rudy qui s’impose à intervalles réguliers comme l’oeil de la tombe regardait Caïn ou à l’instar du grillon Jiminy Cricket impuissant à freiner Pinocchio.
Arnaud sait intuitivement qu’il ne faudrait pas continuer sur cette pente. Les pages consacrées à la description de la paranoïa et de la quasi folie qui le guette sont puissantes. Il distingue si mal la réalité de la fiction que les attentats du 13 novembre 2015 (que l’auteure évoque avec une pudeur remarquable) pourraient se confondre dans son cerveau avec un mauvais rêve, mais le lecteur saura faire la part des choses en se repérant à la date (p. 123).
L’auteure nous donne les éléments pour juger mais ne condamne pas son personnage. Elle démontre qu’il n’a pas le choix, de toute façon. Être faussaire, c’est tout ce qu’il sait faire. (…) Arnaud tient entre ses doigts ce pouvoir vertigineux : celui de transformer le réel, de créer des vérités parallèles. Mais ce pouvoir a un prix (p. 183).
Pourtant, et très habilement, elle avait instillé le doute plus tôt en pointant qu’en histoire de l’art, la question du faussaire, génie ou escroc n’était jamais tranchée (p. 75).
Le syndrome de l’imposteur est un sujet fréquemment traité. Ici, il se trouve en quelque sorte inversé puisque le personnage principal sait pertinemment qu’il usurpe sa place (il ne ressent pas un complexe injustifié) mais il est pris dans une spirale qui ne se dénoue pas, malgré, parfois, une tentative, pour travailler selon des règles correctes. Le doute s’infiltre régulièrement dans son cerveau, à la faveur de tel ou tel évènement et le lecteur pense un instant qu’il redressera la barre mais la situation est inextricable. On va suivre de 2007 à 2020, la progression de sa carrière, son ascension et sa chute inéluctable, on l’a bien compris.
Si Arnaud avait choisi de devenir romancier, personne n’y aurait vu à redire. A peine me suis-je faite cette réflexion que je sens que ce sera la conclusion vers laquelle nous serons conduits. Entre temps une famille aura sombré, laissant notre homme coupable alors que nous sommes si friands d’informations qu’il se pourrait que nous soyons les premiers condamnables.
Après avoir pointé les dérives des réseaux sociaux, c’est à un autre pan de la communication que s’est attaquée Marie Mangez en abordant les fake news, dont elle décortique l’origine en englobant tout ce qui n’est pas exact, même si ce n’est pas totalement infondé. En ce sens, Les vérités parallèles est un roman contemporain qui effraie un peu et qui doit nous amener à rester clairvoyant.
Je ne peux pas terminer ma chronique sans d’abord balayer les sollicitations que nous avons, journalistes comme blogueurs, de publier des textes sans les avoir écrit nous-mêmes. Combien de fois ai-je refusé de recopier un communiqué à un(e) attaché(e) de presse animée de soit-disant bonnes intentions puisque cela me ferait gagner du temps ! Ma règle est inoxydable : je ne parle que de ce que j’ai vu, lu, goûté, expérimenté moi-même. Quand je fais une série d’articles sur la Crète (lien) ou en Mayenne (lien) je suis allée partout et j’ai rencontré les personnes que je cite (d’ailleurs je leur envoie mes articles et elles ont la liberté de me faire savoir une imprécision que je corrige ensuite). Je m’efforce de recueillir les éléments à la source et de croiser le cas échéant les informations. Pourtant je ne me revendique pas du tout grand reporter.
Sans être un essai, Marie Mangez aborde la concurrence entre média papier et web. Elle souligne que tous les grands supports ont fini par créer un site web et pointe la concurrence des blogs qu’elle qualifie de rude. En tant que journalistes, on doit plus que jamais affirmer notre plus-value par rapport aux amateurs, montrer notre déontologie et nos compétences professionnelles en matière de fact-checking … (…) Des blogueurs amateurs ne pourront jamais remplacer les vrais journalistes. Livrer des info véridiques (véridiques est en italiques dans le texte) et pas des carabistouilles déguisées en fait irréfutables, c’est un métier (p. 39).
Quand je suis interrogée sur le sujet je transpose à l’univers du sport. Les amateurs ne sont pas déméritants par rapport aux professionnels pourvu qu’ils suivent les mêmes règles. Et je fais observer que, dans le domaine culturel qui est celui où j’ai publié le plus d’articles il arrive très souvent que ce soit des publications de blogueurs qui non seulement construisent la réputation d’un artiste mais aussi décident des médias plus « importants » à s’y intéresser.
Les vérités parallèles de Marie Mangez, Finitude, en librairie le 23 Août 2024
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