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mardi 20 août 2024

De minuit à minuit de Sara Mychkine

La couverture a attiré mon attention et plus encore le choix de Sara Mychkine d’écrire De minuit à minuit sous une forme poétique. Le résultat est éblouissant, dégageant une humanité exceptionnelle.

Bien qu’elle s’exprime avec un langage très personnel et inhabituel cette femme existe incroyablement et son cri est déchirant. L’amour de cette mère à qui on vient de retirer son enfant explose avec dignité.

On devine la fin dès le début mais on fait fausse route puisque ce cri est un début. C’est le feu qui accompagnera la petite fille tout au long d’un chemin qu’on imagine (on le souhaite tant) meilleur que celui de sa mère, voire de sa grand-mère car on comprend que l’histoire se répète en lisant : je t’écris cette lettre parce que ma mère ne m’en a pas laissé. C’est gouffre sur lequel on se penche (p. 57).
Cette longue lettre revient sur les fragilités et les traumatismes qui ont conduit à ce déchirement, mais aussi sur les déterminismes sociaux, historiques et de genre qui ont conditionné leur existence à toutes deux. Face à la désolation d’un quotidien misérable, face à la violence de l’addiction, se dresse le rempart d’amour absolu qu’une mère a érigé pour sa fille, quitte à la perdre, quitte à se perdre. C’est la poésie ardente et lumineuse de ce roman en vers libres qui parvient à conjurer la noirceur de son sujet, à sauver une vie infime de l’effacement.
Cette maman s’adresse à son enfant en employant "ma douce", un terme banal dans la bouche d’une mère qui ici prend un sens particulier car on sait que c’est un adieu. L’ensemble est construit comme un morceau de musique qui s’amplifie de mouvement en mouvement, parfois fugace comme le quatrième qui tient sur une seule page (p. 39).

C’est musical, avec un jeu de rythmes qui composent une sorte de chorégraphie, déployant un fil à tisser, du langage à tresser en allant "de minuit à minuit" (p. 13), donnant ainsi son titre au roman.

L’auteure dit écrire vers minuit, assise sur son lit, à la main dans un carnet, sans intention particulière. J’en déduis que le récit est comme une incantation, un chant intérieur qui monte en volutes.

La colline à laquelle elle fait référence est celle dite du crack, un campement de consommateurs de cette drogue hautement addictive, et de trafiquant, à Paris, à proximité de la porte de la Chapelle depuis une vingtaine d’années. Cette mère dénonce l’indifférence générale qu’elle qualifie de "menton-poignard"  et en ajoutant : lorsqu’on est sur la colline, ma douce, on ne peut que survivre à l’instant.

En ce sens ce roman a une forte dimension sociale même si le lecteur se sent impuissant. Il écoute, compatit et c'est sans doute le préalable à tout.

Née en 1998 à Paris, de mère française et de père tunisien, Sara Mychkine a grandi près de Niort. Elle est actuellement élève à l’école du Louvre après avoir étudié le droit et la philosophie. Avant ce premier roman elle a publié un recueil de poésie, L’éthé (Frison-Roche Belles-Lettres, juin 2022).

De minuit à minuit, éditions le bruit du monde, en librairie depuis le 2 février 2023

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