Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 8 octobre 2008

Anne Fine, une auteure enthousiasmante

Vous la connaissez sans aucun doute. Si je vous dis que madame Doubtfire est née de sa plume … (interprétée par Robin Williams au cinéma, par Michel Leeb au théâtre). Qu’elle écrit alternativement aussi bien pour les adultes que pour les enfants …

Rencontrer un écrivain est une chance rare dont je ne vais pas me priver puisque l’Ecole des Loisirs a eu la gentillesse de m’inviter. Découvrir un visage n’est pas l’essentiel : une jolie photo suffirait. Mais faire connaissance avec une belle personnalité est un bonheur pour lequel je suis toujours partante. C’est en quelque sorte enrichir l’écrit par l’oral. Surtout avec une anglaise qui parle français, même si elle s’en défend en demandant d’avance de lui pardonner la « mutilation de notre langue si ravissante ».

Sa lecture à haute voix d’un extrait d’Yvan le terrible (publié cette année) fut savoureuse. Nous avons pu vivre en direct son humour ravageur et sans bornes. Depuis sa façon de prononcer le nom du personnage de l’enseignant (M. Hardy) en aspirant le H plus qu’il n’est nécessaire, comme le faisait Laurel en pleine crise d’épouvante. Par ses gestes de mains qui moulinent sans cesse l’espace. Par ses rires profonds. Par ses yeux pétillants. Sans compter les lapsus qu’on ne peut s’empêcher de souligner. On entend : tout mourra en premier ! alors que le héros ne menace de prime abord qu’une seule personne (tu).

Geneviève Brisac, son éditrice d’Anne Fine à l’Ecole des Loisirs, impulse l’interview avec énergie et malice. D’abord rassurante sur le fait que les questions intimes ne seront pas abordées puisque les anglais ont horreur de se répandre en confidences elle ne cessera néanmoins de la pousser sur le terrain de sa vie privée.
A l’instar de Boris, l’interprète qui ne peut traduire toutes les paroles d’Yvan, Jérôme Lambert tente de nous restituer l’essentiel. Anne Fine n’en perd pas une miette et n’hésite pas à reformuler sa pensée, en anglais ou en français, pour être certaine de se faire bien comprendre.

Tous les écrivains ont vécu une enfance particulière qui alimente souvent leur production littéraire. Anne Fine n’échappe pas à la règle et nombre de ses romans sont inspirés de faits réels. Mais ce qui est différent avec elle c’est l’analyse qu’elle fait de la place de l’école par rapport à la famille.

J’ai appris que le ministre de l’Education Nationale remet en question la scolarisation à 2 ans (en dépit de toutes les analyses prouvant combien elle est essentielle en termes de socialisation et d’apprentissage du français dans les zones d’éducation prioritaire). Dans ce contexte critique le témoignage d’Anne Fine a dû mettre du baume au cœur des enseignants présents cette après-midi là.
Avec cinq filles à la maison, c’était très bruyant. Le foyer était plein d’angoisses et de tensions. J’ai donc adoré l’école. J’y ai cultivé le goût de la solitude.
Scolarisée avec deux ans d’avance, elle apprend à lire à l’âge record de 3 ans. Difficile de savoir si c’est par simple don ou par nécessité vitale, pour son plaisir ou pour raconter des histoires à ses sœurs, ce qui est le meilleur moyen d’avoir le calme en bonne conscience.
Je ne peux pas me souvenir de ne pas avoir lu. Lire c’est imposer la paix. Ecrire c’est pouvoir être tranquille.
Ce n’est pas Anne Fine qui se plaindrait des exercices imposés par ses professeurs. Elle se plie de bonne grâce à leurs exigences parce qu’elle perçoit très vite le bénéfice qu’elle pourra en retirer. Elle explique sa facilité à écrire par un entraînement scolaire intensif.
Notre professeur réclamait le silence absolu pendant une heure pour pouvoir nous surveiller tout en corrigeant ses copies (et, je présume, ne plus rien avoir à faire à la maison le soir). On avait une rédaction à faire presque tous les jours. J’ai appris qu’on pouvait écrire sur n’importe quel sujet.
Quant à son talent, là encore, elle invoque avec modestie un contexte particulier.
Pour être un génie, il faut avoir eu une mère géniale qui n’a pas pu s’exprimer. La mienne était très intelligente. Malheureusement elle fut retirée du lycée du jour au lendemain ayant atteint l’âge légal de travailler. C’était 6 semaines exactement avant de passer l’équivalent du Bac mais ses parents n’avaient pas d’autre choix.
Anne Fine fait une analyse positive. Au lieu de s’apitoyer sur cette mère probablement bi-polaire (alternant action et dépression dans des cycles maniaco-dépressifs) ou de se plaindre elle minimise son mérite personnel :
Quand on est élevé dans la critique systématique on est obligé de s’élever (un psy se régalerait de la formule). Je lui dois énormément. Elle a inspiré mon travail même si je n’ai raconté sa vie qu’après sa mort. Ma mère avait un regard aigu jugeant impitoyablement tous les évènements et toutes les personnes. Pendant longtemps j’ai cru qu’il était normal d’afficher une parfaite politesse sociale avec ses invités et d’attendre leur départ pour dire ce qu’on pensait d’eux sans plus de retenue. (à ces mots on revit le sketch de Sylvie Joly critiquant avec son conjoint une soirée sur le trajet du retour en voiture) L’atmosphère n’était pas légère : j’ai été une enfant angoissée et je me ronge encore les ongles jusqu’au sang.
Le mari d’Anne Fine est prof de philo et son travail l’a envoyé aux USA pour une mission qui devait durer six mois. Au bout de sept ans le mal du pays est trop intense, Anne Fine n’en peut plus et lance un ultimatum : elle lui accorde un an pour rentrer. De bonne grâce, il écrit des dizaines de candidatures, mais il va « oublier » de les signer et de les poster. Après deux ans d’aller-retour entre les deux pays (décidément Anne Fine est conciliante dans ses exigences), elle reste définitivement en Angleterre, souvenir dont l’évocation rosit son visage : Mon divorce a joué un rôle décisif dans le fait d’assumer d’être un écrivain professionnel.

Ses livres sont des comédies où la vie de ses personnages ressemble beaucoup à la sienne. Nombre de ses personnages écrivent, même les animaux (cf. Journal d’un chat assassin).
Mes quatre premiers romans ont très clairement été écrits sur et pour moi avant que je ne m’intéresse aux faits de société.
Ainsi Bébés de farine a été écrit à partir d’un fait divers : une école américaine affichant un taux élevé d’élèves enceintes avait eu l’idée d’utiliser des sacs pour apprendre à prendre soin de leurs futurs enfants.
Anne Fine ne tarit pas non plus de louange à l’égard des bibliothécaires, ce qui a réjoui le cœur des professionnels présents cette après-midi là. Pourtant elle est critique sur les motivations des auteurs :
Soit un livre est vrai et sincère, soit il ne vaut pas le prix du papier sur lequel il est imprimé. Je pense qu’il y a des livres qui vous changent la vie. Vos yeux se décillent. Vous vous rendez compte que vous n’êtes pas seuls à éprouver de (mauvais) sentiments. Et il n’y a pas d’âge pour cela.
Anne Fine nous confie alors son engagement le plus récent, contre l’absurde idée de certains éditeurs anglais de mentionner, sur les quatrièmes de couverture, une fourchette d’âge pour en recommander la lecture. Soit-disant que la vente en sera améliorée dans les supermarchés … Imaginez qu’on réserve le Petit Prince de Saint-Exupéry aux 7 ans et +, je ne suis pas certaine que je l’aurais ouvert.

Avec Internet, un contre-pouvoir peut vite gonfler comme un orage contre de telles absurdités. Philip Pullman, bien connu pour la série de la Croisée des mondes, (adapté au cinéma il y a un an, souvenez-vous de l'affiche ) a été le premier à s’opposer, rejoint par 800 auteurs-illustrateurs parmi 4500 signatures, plus une, puisque j’ai signé l’engagement dont l’adresse web n’est d’ailleurs pas facile à dénicher car il ne faut pas ajouter les 3w habituels. La voici : http://notoagebanding.org/

Évidemment c’est un site anglais, où les bilingues sauront lire P. Pullman et A. Fine « dans le texte ». Mais les francophones pourront s’informer sur cette page que j’ai trouvée en français. J.K. Rowling, la créatrice de la série des Harry Potter fait partie du groupe.
Et pour signer la pétition il suffit d’envoyer un mail à signup@notoagebanding.org
Je peux envoyer un texte adéquat en anglais à ceux d’entre vous qui le souhaiteraient. Ce n’est pas dans mes habitudes d’utiliser le blog pour relayer de tels messages mais je ne me l’interdis pas. C’est un moyen -aussi- d’exercer une influence sur les choses, d’une manière peut-être plus réactive qu’un bulletin de vote.

En féministe convaincue, Anne Fine mène d’autres combats. Il n’y a pas de petite victoire à ses yeux et ses personnages masculins sont obligatoirement « modernes », jugez plutôt : Dans mes livres tous les hommes savent faire la cuisine.

Et quand Anne Fine écrit c’est alternativement la femme, le parent, l’écrivain et le citoyen qui s’expriment. La route des ossements (2008) est un livre contre la guerre, portant un message d’éveil de la conscience politique.
Malgré les déclarations de Tony Blair, le peuple britannique refusait l’engagement de leur pays en Irak. On se souvient des manifestations londoniennes de 2 millions de personnes contre cette guerre qui a été menée en nous faisant croire qu’elle allait permettre une meilleure société. Alors qu’on ne peut jamais rien gagner à faire la guerre, quand bien même on aurait une seule bonne raison.
Son discours est clair : l’écriture n’est pas une thérapie. Mais on vit mieux en écrivant et cela aide à surmonter les échecs. Gageons qu’elle dénoncera encore longtemps la méchanceté, la bêtise et l’hypocrisie familiale ou sociale.

1 commentaire:

Roger Cornwell a dit…

La site internet de Anne Fine est annefine.co.uk et il y a cette page avec les livres traduits en français (en français, bien sûr).

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)