La vie d'une autre, ce fut d'abord pour moi un film, que j'ai vu un peu par hasard, beaucoup pour Sylvie Testud dont j'avais envie de voir comment elle allait bouger la caméra, et surtout diriger une grande actrice, Juliette Binoche en l'occurrence.
J'ai adoré. Tout, le scénario, l'interprétation, les personnages principaux comme les secondaires, même les décors. Quelques jours plus tard, je vais au Salon du livre où je devais, entre autres, discuter brièvement avec Jeanne Benameur en vue d'une prochaine rencontre dans une médiathèque. Evidemment elle est en signature dans le stand de son éditeur Actes Sud. J'avais encore dans la tête les images du film ... quand je réalise avec surprise que l'affiche est reproduite sur une pile de livres. Mes yeux croisent une très belle femme aux cheveux longs, à qui stupidement je demande si elle est l'auteur de cette histoire.
C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Frédérique Deghelt qui avait tout de même publié ce livre en 2007. Depuis, je me suis rattrapée en lisant, que dis-je en dévorant, la Vie d'une autre, version papier, lequel vient d'être réédité, si bien que la nouvelle couverture a pu reprendre l'affiche du film.
Je vais pas comparer longtemps, ce serait agaçant pour vous lecteur. De toutes façons j'aime les deux, et je vous recommande l'un comme l'autre. Le livre, c'est sûr, vous cueillera et ne vous lâchera pas. Vous en perdrez comme moi le boire et le manger, un tour de forces alors qu'on peut penser qu'il ne me restait rien à découvrir. Le film ne suit pas exactement la même chronologie. Forcément, la réalisatrice savait qu'il n'y a aucun risque à ce que vous sautiez des pages, ou que vous sortiez faire un petit tour. Le choc est un peu différé mais il est là, et diablement bien interprété par Juliette Binoche, parfaitement crédible dans cette histoire de doubles et d'identité.
D'habitude Frédérique Deghelt écrit pour le cinéma, ce qui se sent dans ce roman qu’elle dit avoir conçu à partir de deux phrases d’accroche, le fameux «pitch» : Marie se réveille un matin après une folle nuit d’amour, se lève ... et découvre effarée qu’il s’est écoulé douze ans dont elle n’a pas le moindre souvenir.
A part cela rien n'est prévu. Si bien qu’à vingt pages de la fin elle affirme n'avoir pas su ce qui allait se produire. Rien d’étonnant à ce que le lecteur ressente ce suspens.
Hubert Nyssen, le fondateur d’Actes Sud, fut un des premiers à lire le manuscrit. Il conseilla de faire des coupes. Frédérique cite à son propos une pensée fort sage : il faut s’aimer en écrivant, se haïr en se relisant, se tenir à l’oeil en re-écrivant.
C’est intentionnellement que l’auteur a choisi l’écriture d’un roman et qu’elle s’y est tenue. Très peu de tirets, aucune indication technique du style nuit américaine, hors champ, flash-back ... Le livre ne ressemble en rien à un scénario et ce ne sera pas elle qui en fera l’adaptation pour le cinéma mais Sylvie Testud, avec sans doute plus de liberté.
Quand Marie se regarde dans la glace au matin du fameux réveil elle s’exclame : C’est quoi cette connerie ! L’énergie de Juliette Binoche est moins présente dans le livre où la psychologie du personnage occupe davantage de place : C’est quoi un couple de douze ans d’âge ? Pour Pablo rien n’est extraordinaire entre nous. Pour moi tout l’est. (page 137)
La stratégie pour gagner du temps et éviter d’être démasquée est par contre identique. Se raccrocher aux détails. Faire semblant d'être dans le coup. Improviser (je jeu du à l'envers dans le film).
Si le film nous emporte à toute vitesse, le livre sème le doute. Qu’un personnage soit en décalage entre sa réalité et celle des autres n’est pas nouveau. On peut penser à Un jour sans fin, ou Retour vers le futur mais il s’agit cette fois d’un phénomène qui n’est pas de l’ordre de la science fiction et qui nous est raconté de manière plausible. Cet ouvrage a tout du thriller psychologique.
Pourrait-il nous arriver pareille déconvenue ... et qu’on n’ait pas, comme Marie, la chance, car c’en est une, de se réveiller dans un milieu plutôt aisé (très dans le film) avec une famille aussi aimante ? Cela fait froid dans le dos. Le moment où la jeune femme fait le point sur les changements de société depuis une dizaine d’années n’est pas brillant. Le velib et l'euro ne sont pas traumatisants, mais la prégnance du numérique et l'accélération de la pollution bien davantage ... Pablo ou François sera-t-il le «bon» prince charmant, seul capable de réveiller la Belle au Bois dormant et rompre le maléfice ? Quel motif peut conduire quelqu'un à suicider une partie de sa vie ?
D'habitude Frédérique Deghelt écrit pour le cinéma, ce qui se sent dans ce roman qu’elle dit avoir conçu à partir de deux phrases d’accroche, le fameux «pitch» : Marie se réveille un matin après une folle nuit d’amour, se lève ... et découvre effarée qu’il s’est écoulé douze ans dont elle n’a pas le moindre souvenir.
A part cela rien n'est prévu. Si bien qu’à vingt pages de la fin elle affirme n'avoir pas su ce qui allait se produire. Rien d’étonnant à ce que le lecteur ressente ce suspens.
Hubert Nyssen, le fondateur d’Actes Sud, fut un des premiers à lire le manuscrit. Il conseilla de faire des coupes. Frédérique cite à son propos une pensée fort sage : il faut s’aimer en écrivant, se haïr en se relisant, se tenir à l’oeil en re-écrivant.
C’est intentionnellement que l’auteur a choisi l’écriture d’un roman et qu’elle s’y est tenue. Très peu de tirets, aucune indication technique du style nuit américaine, hors champ, flash-back ... Le livre ne ressemble en rien à un scénario et ce ne sera pas elle qui en fera l’adaptation pour le cinéma mais Sylvie Testud, avec sans doute plus de liberté.
Quand Marie se regarde dans la glace au matin du fameux réveil elle s’exclame : C’est quoi cette connerie ! L’énergie de Juliette Binoche est moins présente dans le livre où la psychologie du personnage occupe davantage de place : C’est quoi un couple de douze ans d’âge ? Pour Pablo rien n’est extraordinaire entre nous. Pour moi tout l’est. (page 137)
La stratégie pour gagner du temps et éviter d’être démasquée est par contre identique. Se raccrocher aux détails. Faire semblant d'être dans le coup. Improviser (je jeu du à l'envers dans le film).
Si le film nous emporte à toute vitesse, le livre sème le doute. Qu’un personnage soit en décalage entre sa réalité et celle des autres n’est pas nouveau. On peut penser à Un jour sans fin, ou Retour vers le futur mais il s’agit cette fois d’un phénomène qui n’est pas de l’ordre de la science fiction et qui nous est raconté de manière plausible. Cet ouvrage a tout du thriller psychologique.
Pourrait-il nous arriver pareille déconvenue ... et qu’on n’ait pas, comme Marie, la chance, car c’en est une, de se réveiller dans un milieu plutôt aisé (très dans le film) avec une famille aussi aimante ? Cela fait froid dans le dos. Le moment où la jeune femme fait le point sur les changements de société depuis une dizaine d’années n’est pas brillant. Le velib et l'euro ne sont pas traumatisants, mais la prégnance du numérique et l'accélération de la pollution bien davantage ... Pablo ou François sera-t-il le «bon» prince charmant, seul capable de réveiller la Belle au Bois dormant et rompre le maléfice ? Quel motif peut conduire quelqu'un à suicider une partie de sa vie ?
Ne pas savoir qui on est, ni où l'on vit, alors que tout le monde semble vous connaitre par coeur est une torture proche de la folie. Il avait bien raison Socrate d'ériger en principe : connais-toi toi-même ... Mais comment faire ? Alternativement avec humour, détermination, intelligence, ruse ... On va faire comme si on ne se connaissait pas. Une méthode que bien des couples pourrait mettre à profit pour sortir de la routine.
La vie d'une autre, de Frédérique Deghelt, chez Actes Sud, 2007
La vie d'une autre, de Sylvie Testud, au cinéma en 2012
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