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vendredi 6 avril 2012

Peggy Guggenheim, femme face à son miroir


(mise à jour 8 décembre 2012)

Le rideau de scène du Petit Montparnasse a une allure de patchwork de pages de carnet de croquis, ce qui cette fois nous met dans l'ambiance du décor de boudoir de Peggy Guggenheim ... on dirait maintenant un "dressing". Nous allons assister à un monologue en quatre temps.

Les insultes pleuvent en italien contre la camériste. Cela ne fait aucun doute que nous sommes à Venise, un jour spécial, qui est la visite du Président. La dame arrive en scène avec une modestie toute relative, précisant qu'elle n'est que millionnaire, ce qui n'a rien à voir avec le statut de ses amis milliardaires.
Des robes pendent des cintres. L'oeil averti reconnait l'évocation de Mondrian, Magritte, Miro, hésite sur un tailleur qui ne ressemble qu'à ... du Chanel. Et pour cause, c'en est. On saura plus tard qu'il a été taggé par Pollock, ce qui en fait une authentique oeuvre d'art et justifie de n'être plus ni porté, ni lavé. Peggy Guggenheim possédait en effet un nombre impressionnant de drippings réalisés par cet artiste.

Chaque vêtement est associé à un souvenir. Ainsi la robe bleue surmontée d'un melon a été offerte à Peggy par la femme d'Yves Tanguy. Elle a été dessinée par Madeleine Vionet et c'est dans cette tenue que la dame aurait dansé toute une nuit avec Marcel Duchamp. Sa façon de constituer sa collection n'a rien de commun avec la manière de faire d'une Françoise Billarant, propriétaire avec son mari de la plus grande collection d'art contemporain actuellement rassemblée en France.

Quand Françoise cherche à comprendre en se gardant de suivre d'éventuels coups de coeur, Peggy s'attache à acheter le "meilleur" dans une tractation assez mercantile : les artistes avaient besoin d'argent et moi d'art.

La robe associée à Miro est une Balanciaga, Celle qui évoque Mondrian est sortie des ateliers Dior et cette autre est due à Elsa Schiaparelli qui la lui a offerte pour se faire pardonner de lui avoir piqué son amoureux.

La conversation est un peu décousue. Peggy se souvient des sous-vêtements baleinés, des soutien-gorges pigeonnants, et saute du coq à l'âne, truffant l'histoire des grands couturiers du XX° siècle de commentaires sur ses bébés chiens, la description de sa famille, un père banquier et gentleman, une mère insignifiante, sans oublier l'énumération de ses tableaux. 

Elle est consciente que tout le monde rêve de posséder sa collection parce qu'elle est phénoménale, y compris le très puissant musée Guggenheim de New York, fondé par son oncle qu'elle a en détestation.

On a compris que ce qui se joue c'est l'avenir de cette collection. Peggy est incapable d'analyser la situation avec acuité parce que son esprit est encombré par des idées fixes, la phobie que l'on kidnappe ses chiots, les hommes de sa vie, qu'il s'agisse de ses maris comme de ceux des autres, et les soucis que ses enfants lui procurent. Surtout sa fille dont elle est extrêmement proche.

Son monologue est ponctué d'affirmations qu'elle assène comme des vérités : l'art moderne n'est jamais une réponse, mais toujours une question. Dans le jardin de son palais, Brancusi, Arp, Moore, Giacometti qui étaient inconnus 25 ans plus tôt. Elle est fière de posséder de "vrais" Braque, Calder, De Chirico, Delvaux, De Kooning et beaucoup d'autres. Des peintres qu'elle dit n'avoir pas choisi par goût, préférant ceux de l'époque Renaissance, en particulier quelqu'un comme Giogione.
C'est Samuel Beckett, qu'elle avait rencontré chez James Joyce, qui plaida auprès d'elle en faveur des auteurs vivants en lui ouvrant les yeux sur des artistes qui forcent à penser différemment. On retrouve là une des motivations essentielles des collectionneurs quand ils sont aussi des mécènes, à savoir soutenir leurs contemporains, avec le devoir de protéger cet art, ce que ne feraient pas les fascistes élus démocratiquement en Italie et en Allemagne comme le souligne Peggy.

Elle se souvient d'avoir supplié le Louvre de cacher ses tableaux en 1940. Les conservateurs estimèrent alors qu'il n'y avait rien à sauver, ce qui témoignait du peu de cas que l'on faisait des artistes devenus majeurs par la suite. Peggy ne se découragea pas. Elle retira les cadres, roula les toiles et passa le tout en fraude aux USA.

Deuxième temps, Peggy soupire d'agacement face aux coutumes locales, auxquelles elle concède qu'il faut s'adapter, en premier lieu la sacro sainte sieste vénitienne. On apprend que son père est mort dans le naufrage du Titanic et on devine sa fille est hystérique. Pegeen fut elle-même artiste peintre, et se maria avec le français Jean Hélion. Ils auront trois enfants. Peggy reparle de Max Ernst, qu'elle épousa en secondes noces, et qui à ses yeux était autant moderne que décadent, et surtout même pas juif, ajoute-t-elle avec condescendance.

Elle s'énerve contre Picasso qui refusa avec arrogance de considérer sa fille comme une grande artiste. Le peintre avait jugé abruptement qu'elle ne méritait pas ses tableaux.

Troisième temps, Peggy nous reparle d'argent. La cote de sa collection s'élève à 40 millions de "billets américains" en 1966, sans inclure son petit palais, estimé à 20 de plus. Elle a une façon désinvolte de le désigner comme un bungalow au motif qu'il est inachevé, s'étant limité à un seul étage surmonté d'un toit terrasse où il fait bon prendre le soleil en toute nudité : Petit et charmant, tout de marbre blanc, face à Saint Marc, composant un ensemble cohérent qui existe comme un tout.

Pour avoir eu la chance de le visiter il y a quelques années il est vrai que c'est aujourd'hui un musée à taille humaine, fort agréable et très cohérent.

Quatrième et dernier temps au milieu de la lagune qui se reflète sur les toiles. L'issue est tragique pour Pegeen qui mourra d'une intoxication aux barbituriques. L'histoire se termine bien pour la collection qui restera entière et intacte ici même dans le Palazzo Venier die Leoni, sous l'égide du musée Guggenheim, une façon de rester dans la famille en quelque sorte. Peggy vivra à Venise jusqu'à sa mort en 1979.

Voilà un spectacle qui s'imposait, après la visite de Marines, même s'il ne s'agit pas des mêmes artistes. Peggy Guggenheim fut en effet une très grande collectionneuse d'art contemporain (pour ce qui fut de son époque) et cela m'amuse de comparer sa personnalité à celles de Françoise Billarant, propriétaire du Silo avec son mari.
Stéphanie Bataille est une Peggy extravagante à souhait, agitée de contradictions, mais profondément sincère, disant tout haut ce que la décence aurait conseillé de garder secret ... mais au fond ne sont-ce pas nous qui sommes indiscrets de venir l'écouter dans l'intimité de son dressing ? L'actrice parvient aussi à rendre cette femme célèbre et adulée profondément humaine et maternelle, nous faisant regretter de ne l'avoir pas connue.
La mise en scène de Christophe Lidon est sobre et intelligente, comme l'était le travail qu'il avait fait avec Kiki Van Beethoven que j'avais vu en décembre 2010.

Le spectacle a été créé au théâtre de la Huchette en 2011 puis repris en Avignon en Juillet. Il a été joué au théâtre du Petit Montparnasse, 31 rue de la Gaité dans le 14 ème arrondissement, dirigé par Myriam Feune de Colombi. Il est depuis le 7 Octobre 2012 au Théâtre Michel, 38, rue des Mathurins, 75008 Paris, les dimanches et lundis à 20h30
Relâches exceptionnelles les 29 octobre et 24 décembre

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