J'attendais ce film avec intérêt sans imaginer que je pouvais être déçue. Apparemment je ne suis pas la seule, mais cela ne me dispense pas d'essayer de comprendre le pourquoi du comment.
Première raison YSL est un vrai faux biopic : il concerne la période 56-76 et donc seulement une vingtaine d'années de la vie du créateur. Même s'il en retrace l'intensité il n'est qu'un échantillon de l'immense voile qui, du coup n'est pas levé.
Seconde raison, Yves Saint Laurent a fait l'objet de tant de reportages, d'interviews et de publications que nous sommes nombreux à en avoir une représentation assez exacte, n'en déplaise au jeune acteur Pierre Niney, qui a stupidement déclaré que (je le cite) ceux qui l'ont vraiment connu se comptent sur les doigts d'une main.
Le comédien avouait du même coup avec humilité qu'il connaissait peu de la richesse et de la complexité du personnage. Il pense ainsi légitimer son type de jeu et son interprétation du styliste comme s'il était un personnage de théâtre classique. Or il se trompe en croyant qu'on peut désacraliser une célébrité au cinéma, à l'instar de ce qu'on peut faire au théâtre.
Car si le spectateur vient au théâtre pour regarder jouer un comédien par contre il va au cinéma pour voir un personnage, même s'il sait qu'il y a un acteur derrière. Il est essentiel d'y croire. A ce titre, et même si Guillaume Gallienne ne ressemble pas (malgré un maquillage très bien conçu au demeurant) à Pierre Bergé on oublie le comédien pour voir l'homme d'affaires et en saisir les multiples facettes.
L'interprétation est encore plus prodigieuse que celle qu'il nous a livrée dans son premier film (en tant que réalisateur) Les garçons et Guillaume, à table ! que j'avais découvert en avant-première au Festival Paysages de cinéastes. Un très grand acteur sans aucun doute.
Pierre Nimey pense incarner Yves Saint Laurent. Il a certes effectué un travail considérable en bénéficiant de plusieurs coachs, pour moduler sa voix et son phrasé, apprendre à dessiner, s'entrainer comme un sportif. Il a accepté de commencer à fumer (on fume énormément pendant 1 h 46, ce qui reflète bien l'époque au demeurant ...). C'est très bien fait. Ce sera un formidable "témoignage" dans un demi-siècle. Mais aujourd'hui on ne retrouve pas le Yves dont on a le souvenir même si on nous le montre d'une timidité maladive (ce qui ne le freina pas dans les excès) et d'une politesse extrême (il remercie sans cesse ses modèles, ses ouvrières ...). Il n'empêche qu'il recevra le César du Meilleur acteur en février 2015.
Je reconnaitrais chacun de ses parfums. Je les ai portés. Je sais ce que les femmes lui doivent ... Je ne l'ai pas connu personnellement mais il m'est suffisamment familier pour que je ressente cette impression. En tout cas je n'ai pas trouvé dans le film tout ce que j'attendais .... à l'inverse du biopic sur Sagan, ou de celui sur Diana (qui n'était pas exhaustif lui non plus d'ailleurs) .
J'avais ressenti une désillusion comparable, cette fois au théâtre, avec Louise de Vilmorin.
Une autre version, du réalisateur Bertrand Bonello et intitulée Saint Laurent est annoncée pour mai 2014, hélas sur la même période (le film sera donc lui aussi réducteur) et sans l'aval de Pierre Bergé, qui détient le droit moral sur l'œuvre de son ex-compagnon. N'ayant pas eu accès aux archives de la Fondation Bergé et en particulier aux robes, accessoires et croquis originaux on peut s'interroger encore davantage sur le résultat. A suivre ...
J'estime en tout cas que le présupposé consistant à croire que la célébrité dispense de l'exhaustivité est absurde. Faire commencer le film en 1957 occulte les jeunes années pourtant déterminantes d'Yves saint Laurent et qui expliqueraient son tempérament.
Il fait aussi l'impasse sur la dernière période, le retrait du monde de la couture, la maladie et la fin de sa vie, à peine esquissée par un plan de dos.
Passons aux compliments. Parce qu'on ne peut absolument pas dire que YSL soit un mauvais film. Il retrace parfaitement des atmosphères. Et puis le principe de raconter la légende avec romantisme et poésie sans occulter la violence, l'alcool, la drogue, et le sexe est assez juste. Expliquer les excès par la personnalité maniaco-dépressive du créateur également. Montrer ses cotés rock et sauvage aussi, même si je ne pense pas que ce soit la partie la plus mystérieuse de sa vie.
Il rend compte aussi de cet amour fou, plus grand encore que ce qu'il est imaginable de rêver qui a unit Pierre Bergé et Yves saint Laurent, au-delà des désaccords et de leur rupture sentimentale. Le premier n'a jamais failli à sa promesse des débuts : je serai toujours là pour toi.
On note combien les destins d'Yves Saint Laurent et de Karl Lagerfeld ont été imbriqués dès 1954, dans le cadre du concours de stylisme organisé par le Secrétariat international de la laine. Le premier, 18 ans, est vainqueur dans la catégorie "robes du soir", tandis que le second, 21 ans, remporte le premier prix dans la catégorie "manteaux". Et ce n'est pas parce qu'il raille Lagerfeld de se lancer dans le prêt-à-porter qu'il ne s'engouffrera pas lui aussi dans cette brèche économiquement vitale.
Lagerfeld prendra sous son aile un certain Jacques de Bascher, jeune dandy qu'il entretiendra jusqu'à sa mort, du sida, en 1989. Comble de malchance, Yves Saint Laurent s'éprendra de lui, ce qui provoquera deux ruptures, la première amicale entre Yves et Karl (ce qui explique qu'on ait pu oublier leur amitié) et la seconde sentimentale entre Yves et Pierre, justifiant la célèbre réplique : quand on aime, on est en danger.
Karl Lagerfeld était son ainé et il est toujours présent et très actif dans le monde de la mode, à 80 ans. Je ne l'ai pas entendu s'exprimer à propos du film mais il est de notoriété publique qu'il se préoccupe peu de ce qu'on dit de lui. Sa personnalité est si forte qu'elle est une armure.
Il met en lumières des personnalités sur lesquelles les projecteurs avaient cessé d'être braqués comme Marie-Louise Bousquet, la directrice de Harper's Bazaar (Anne Alvaro), Victoire Doutreleau, jouée par une Charlotte Le Bon plus vraie que nature. Elle a été mannequin, chroniqueuse météo pour Canal +, Ophelia dans Asterix et n'a pas fini sans nul doute de nous étonner.
Autre muse du créateur avec Betty Catroux (Marie de Villepin) repérée dans une boite de nuit, sans doute chez Régine, dans les années 65, avec qui il se comportait comme un enfant qui aurait voulu tout le temps faire des bêtises. Et puis Loulou de la Falaise (Laura Smet) qui créa des bijoux sous sa griffe.
Et puis Zizi Jeanmaire (Liane Foly ?) pour laquelle il dessina de sublimes tenues. On devine aussi Andy Warhol, Jean Cocteau (Philippe Morier-Genoud), Bernard Buffet ...
Il manque Laetitia Casta, Noémie Campbell, Katoucha, Mounia, Paloma Picasso ... C'est vrai que le film s'arrête en 1976, même si une image évoque la disparition d'Yves. L'absence de Catherine Deneuve reste incompréhensible. Il réalisa pour elle les costumes de belle de jour en 1965 et elle fut fidèle parmi les fidèles.
Mais revenons aux points forts. On se souviendra de quelques petites phrases. Aux investisseurs, Boussac en tête, l'interrogeant sur ses capacités à succéder à Christian Dior, Yves répond : au pire je ferai de mon mieux.
Les jardins de la Villa Majorelle apportent la touche d'exotisme nécessaire. Même la piscine a le look années soixante.
La bande son est très intelligente. La musique choisie pour accompagner le premier défilé Dior évoque celle des Choses de la vie de Claude Sautet, ce qui distille d'emblée une note dramatique.
On entend le très nostalgique Big Jet Plane d'Angus et Julia Stone, qui est cependant un morceau récent (2010) et qui était aussi la chanson du film Les Emotifs Anonymes.
Egalement Lighthouse de Patrick Watson, de l'album Adventures In Your Own Backyard, sorti en 2012 et dont la couleur s'accorde avec l'atmosphère des années 60-70 et les cheveux longs à la mode à cette époque : Dreamer of a lighthouse in the woods / To help us get back into the world (nostalgique de l'éclat d'un phare dans les bois pour nous ramener à la maison).
Ou encore Looking for Love de Chromatics, de la même année, et qui n'est pas sans rappeler les premières notes de Midnight Express.
Avis mitigé en conclusion. A vous de vous forger le vôtre.
Ceux qui voudront en savoir plus sur le créateur pourront lire le compte-rendu de la magnifique (et très complète) exposition de ses robes au Petit Palais, et qui est un des billets les plus lus. J'ai aussi chroniqué un ouvrage sur Pierre Bergé dont je recommande ses Lettres à Yves, publiées après sa mort. Enfin je signale que Pierre Nimey reprend prochainement son rôle dans le Chapeau de paille d'Italie à la Comédie Française.
Je reconnaitrais chacun de ses parfums. Je les ai portés. Je sais ce que les femmes lui doivent ... Je ne l'ai pas connu personnellement mais il m'est suffisamment familier pour que je ressente cette impression. En tout cas je n'ai pas trouvé dans le film tout ce que j'attendais .... à l'inverse du biopic sur Sagan, ou de celui sur Diana (qui n'était pas exhaustif lui non plus d'ailleurs) .
J'avais ressenti une désillusion comparable, cette fois au théâtre, avec Louise de Vilmorin.
Une autre version, du réalisateur Bertrand Bonello et intitulée Saint Laurent est annoncée pour mai 2014, hélas sur la même période (le film sera donc lui aussi réducteur) et sans l'aval de Pierre Bergé, qui détient le droit moral sur l'œuvre de son ex-compagnon. N'ayant pas eu accès aux archives de la Fondation Bergé et en particulier aux robes, accessoires et croquis originaux on peut s'interroger encore davantage sur le résultat. A suivre ...
J'estime en tout cas que le présupposé consistant à croire que la célébrité dispense de l'exhaustivité est absurde. Faire commencer le film en 1957 occulte les jeunes années pourtant déterminantes d'Yves saint Laurent et qui expliqueraient son tempérament.
Il fait aussi l'impasse sur la dernière période, le retrait du monde de la couture, la maladie et la fin de sa vie, à peine esquissée par un plan de dos.
Passons aux compliments. Parce qu'on ne peut absolument pas dire que YSL soit un mauvais film. Il retrace parfaitement des atmosphères. Et puis le principe de raconter la légende avec romantisme et poésie sans occulter la violence, l'alcool, la drogue, et le sexe est assez juste. Expliquer les excès par la personnalité maniaco-dépressive du créateur également. Montrer ses cotés rock et sauvage aussi, même si je ne pense pas que ce soit la partie la plus mystérieuse de sa vie.
Il rend compte aussi de cet amour fou, plus grand encore que ce qu'il est imaginable de rêver qui a unit Pierre Bergé et Yves saint Laurent, au-delà des désaccords et de leur rupture sentimentale. Le premier n'a jamais failli à sa promesse des débuts : je serai toujours là pour toi.
On note combien les destins d'Yves Saint Laurent et de Karl Lagerfeld ont été imbriqués dès 1954, dans le cadre du concours de stylisme organisé par le Secrétariat international de la laine. Le premier, 18 ans, est vainqueur dans la catégorie "robes du soir", tandis que le second, 21 ans, remporte le premier prix dans la catégorie "manteaux". Et ce n'est pas parce qu'il raille Lagerfeld de se lancer dans le prêt-à-porter qu'il ne s'engouffrera pas lui aussi dans cette brèche économiquement vitale.
Lagerfeld prendra sous son aile un certain Jacques de Bascher, jeune dandy qu'il entretiendra jusqu'à sa mort, du sida, en 1989. Comble de malchance, Yves Saint Laurent s'éprendra de lui, ce qui provoquera deux ruptures, la première amicale entre Yves et Karl (ce qui explique qu'on ait pu oublier leur amitié) et la seconde sentimentale entre Yves et Pierre, justifiant la célèbre réplique : quand on aime, on est en danger.
Karl Lagerfeld était son ainé et il est toujours présent et très actif dans le monde de la mode, à 80 ans. Je ne l'ai pas entendu s'exprimer à propos du film mais il est de notoriété publique qu'il se préoccupe peu de ce qu'on dit de lui. Sa personnalité est si forte qu'elle est une armure.
Il met en lumières des personnalités sur lesquelles les projecteurs avaient cessé d'être braqués comme Marie-Louise Bousquet, la directrice de Harper's Bazaar (Anne Alvaro), Victoire Doutreleau, jouée par une Charlotte Le Bon plus vraie que nature. Elle a été mannequin, chroniqueuse météo pour Canal +, Ophelia dans Asterix et n'a pas fini sans nul doute de nous étonner.
Autre muse du créateur avec Betty Catroux (Marie de Villepin) repérée dans une boite de nuit, sans doute chez Régine, dans les années 65, avec qui il se comportait comme un enfant qui aurait voulu tout le temps faire des bêtises. Et puis Loulou de la Falaise (Laura Smet) qui créa des bijoux sous sa griffe.
Et puis Zizi Jeanmaire (Liane Foly ?) pour laquelle il dessina de sublimes tenues. On devine aussi Andy Warhol, Jean Cocteau (Philippe Morier-Genoud), Bernard Buffet ...
Il manque Laetitia Casta, Noémie Campbell, Katoucha, Mounia, Paloma Picasso ... C'est vrai que le film s'arrête en 1976, même si une image évoque la disparition d'Yves. L'absence de Catherine Deneuve reste incompréhensible. Il réalisa pour elle les costumes de belle de jour en 1965 et elle fut fidèle parmi les fidèles.
Mais revenons aux points forts. On se souviendra de quelques petites phrases. Aux investisseurs, Boussac en tête, l'interrogeant sur ses capacités à succéder à Christian Dior, Yves répond : au pire je ferai de mon mieux.
Les jardins de la Villa Majorelle apportent la touche d'exotisme nécessaire. Même la piscine a le look années soixante.
La bande son est très intelligente. La musique choisie pour accompagner le premier défilé Dior évoque celle des Choses de la vie de Claude Sautet, ce qui distille d'emblée une note dramatique.
On entend le très nostalgique Big Jet Plane d'Angus et Julia Stone, qui est cependant un morceau récent (2010) et qui était aussi la chanson du film Les Emotifs Anonymes.
Egalement Lighthouse de Patrick Watson, de l'album Adventures In Your Own Backyard, sorti en 2012 et dont la couleur s'accorde avec l'atmosphère des années 60-70 et les cheveux longs à la mode à cette époque : Dreamer of a lighthouse in the woods / To help us get back into the world (nostalgique de l'éclat d'un phare dans les bois pour nous ramener à la maison).
Ou encore Looking for Love de Chromatics, de la même année, et qui n'est pas sans rappeler les premières notes de Midnight Express.
Avis mitigé en conclusion. A vous de vous forger le vôtre.
Ceux qui voudront en savoir plus sur le créateur pourront lire le compte-rendu de la magnifique (et très complète) exposition de ses robes au Petit Palais, et qui est un des billets les plus lus. J'ai aussi chroniqué un ouvrage sur Pierre Bergé dont je recommande ses Lettres à Yves, publiées après sa mort. Enfin je signale que Pierre Nimey reprend prochainement son rôle dans le Chapeau de paille d'Italie à la Comédie Française.
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