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jeudi 9 janvier 2014

La Bonne Âme du Se-Tchouan de Brecht mise en scène par Jean Bellorini

Quand on a quelque souvenir de pièces de Brecht on s'imagine que cela ne peut qu'être triste et donneur de leçon. Jean Bellorini  et son équipe ont choisi La Bonne Ame du Se-Tchouan pour en faire un spectacle qui a la fraicheur et l'énergie d'une comédie musicale.

L'inconvénient, car il y en a un, c'est qu'on n'est peut-être pas dans une atmosphère purement brechtienne. Certaines répliques plutôt chargées de sens ne retiennent pas nécessairement l'attention, comme celle-ci : Manquons-nous de la violence nécessaire ? (pour faire évoluer les choses) ou encore une des dernières répliques : le monde est invivable.

Les puristes reprocheront au metteur en scène d'avoir sacrifié le message politique au profit de l'esthétique. Comme si la forme était plus essentielle que la forme. Ceci étant on sait depuis longtemps que ce serait une gageure de croire qu'un individu peut changer le monde. Que le capitalisme corrompt l'être le plus pur et que vouloir faire le bien est un objectif perdu d'avance.

L'avantage c'est que l'on passe une (longue) soirée à rêver, à goûter des performances d'acteurs et à savourer de très belles images. Autant le savoir, on s'embarque pour 3 heures 15 ... ce qui est très raisonnable comparativement aux 8 heures du Henry VI de Shakespeare mis en scène par Thomas Jolly dans sa version courte, puisqu'en Avignon l'été prochain on nous promet 16 heures.

Jean Bellorini a une manière très personnelle de revisiter les chefs d'oeuvres. Il maitrise presque tout : la mise en scène, les décors et les lumières, même le texte qu'il a traduit en collaboration avec Camille de la Guillonnière, et une grande partie de la création musicale. Il travaille vite, capable de boucler une création en deux mois et demi.

Il n'y a guère que les costumes qu'il consent à déléguer, ici à Macha Makeïeff qui, avant de prendre la direction du Théâtre de la Criée à Marseille, était (et elle l'est toujours) costumière. C'est à elle que l'on doit l'univers des Deschiens. Elle a travaillé par étapes, en faisant des propositions qu'elle retouchait au fur et à mesure des répétitions en ajoutant un accessoire ici, en changeant une pièce là pour un résultat très coloré qui se détache sur un décor plutôt neutre.

Jean Bellorini attache beaucoup d'importance aux éclairages pour faire vivre l'espace. Sa palette est large, depuis les guirlande de loupiotes foraine jusqu'aux rangées de néons industriels, sans oublier les poursuites classiques. 

Il a l'art de "digérer" diverses influences. Le résultat est follement poétique et néanmoins moderne, parfois à la limite du "trop" avec une surabondance de fracas métalliques. Avec lui la musique est essentielle : elle est le battement de coeur du texte, a-t-il précisé lors d'une rencontre avec le public.

La notion de choeur antique est quasi obsessionnelle. Les comédiens chantent ensemble et constituent des groupes. L'annonce de l'entracte n'est pas anodine. Toute la troupe reste sur scène (chacun a la possibilité de sortir quelques instants) et tout le monde écoute France Info en direct, ce qui signifie que le public aussi entend des nouvelles différentes à chaque représentation. Le metteur en scène prend le risque qu'un scoop soit ainsi annoncé et perturbe la soirée.

On entendra aussi Bach, Pergolèse et des musiques plus contemporaines comme Les Platters avec le tube Only you. A cet égard je ne comprends pas que les génériques de théâtre ne fassent jamais mention des musiques additionnelles comme on le fait au cinéma. La version du Requiem de Mozart restera longtemps dans les mémoires. C'est elle qui a en quelque sorte donné le ton au spectacle. De même que les scènes de pluie qui provoquent l'étonnement sur les moyens.

Rien de magique : au milieu du spectacle, des confettis de papier noir, parfois collés entre eux pour les alourdir afin qu'ils ne tombent pas tous à la même vitesse en avant du rideau de scène (inutile de balayer, ce n'est pas glissant, et ils se devinent à peine sur le sol). A la fin, un déluge de brisures de riz qui se déverse sur le toit de l'estafette dans un boucan d'orage et dont la blancheur évoque la neige à travers les rayons de lumière.
Ces effets spéciaux sont très réussis. Ce serait réducteur de ne retenir que cette magie là et d'oublier par exemple que le spectacle repose aussi sur l'interprétation magistrale de Karyll Elgrichi, qui joue Shen Té la prostituée au grand coeur, cette bonne âme, et qui se fait passer pour un prétendu cousin, Shui Ta quand les choses deviennent ingérables et qu'il lui faut faire preuve de fermeté.

La pièce avait été créée aux Ateliers Berthier du Théâtre de l'Odéon en novembre 2013. La tournée a fait escale du 7 au 12 janvier 2014 au Théâtre La Piscine de Chatenay-Malabry (92) où je suis allée la voir. On pourra ensuite la voir au cours de janvier 2014 à Compiègne, à Toulon, et ... à La criée de Marseille.

Jean Bellorini va pouvoir se poser dans un théâtre parisien : il est nommé à la tête du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), après Daniel Mesguisch, Jean-Claude Fall, Stanislas Nordey, Alain Ollivier (entre autres).

On ne peut que lui souhaiter de très belles années pour enchanter un public qui sera sans doute au rendez-vous. Puisse-t-il se renouveler suffisamment pour maintenir le niveau d'émerveillement qu'il a su installer dans ses spectacles précédents.

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de photo © Polo Garat - Odessa.

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