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lundi 14 juillet 2014

Ail rose et pastel au Pays de Cocagne

J'avais découvert l'ail rose de Lautrec au Salon de l'agriculture en mars 2013 et je lui avais consacré un billet spécial. Allant cette année dans son berceau d'origine j'ai voulu aller voir cet or rose sur place. Je regrette d'être arrivée une quinzaine de jours après les récoltes (qui se font fin juin) mais j'ai tout de même pu me rendre compte de l'ampleur du phénomène.

Cet ail est, depuis le Moyen-Age, la spécialité de Lautrec, une petite cité médiévale située à quelques kilomètres au Nord-Est de Toulouse, au cœur du Pays de Cocagne, classée parmi les "plus beaux villages de France" et les "sites remarquables du goût". Lautrec est aussi le berceau de la famille Toulouse Lautrec dont le peintre affichiste est l’illustre descendant.

L'ail rose de Lautrec, Label Rouge et IGP

J'ai rencontré Jean-François Tournié, Président du Syndicat de Défense du Label Rouge et de l'IGP Ail Rose de Lautrec, sur son exploitation, au coeur d'une région qui a des allures de Toscane.
Il m'a raconté que la légende voudrait qu'un marchand ambulant désargenté ait au Moyen-Âge réglé un jour son dîner en donnant de l'ail à un aubergiste qui a ensuite planté les gousses. Son grand-père en vendait un peu sur les marchés de Castres, de Mazamet et d'Albi. En 1950 un groupe de producteurs a décidé de s'associer en syndicat. L'ail rose de Lautrec fut un des premiers produits à obtenir le Label rouge en 1966 et elle est devenue aussi IGP depuis 1996. Son essor est encore en progression même si les superficies sont stables depuis 20 ans.
Le séchage s'effectue toujours traditionnellement en suspendant la plante entière par ses feuilles sur une poutre en bois dans un hangar bien aéré. Les conditions sont actuellement délicates et il a fallu ne "pas trop serrer les paquets" dont les tiges sont encore humides.

L'an dernier le vent d'Autan, celui qui souffle depuis la mer, en venant du Sud/Sud-Est (célébré par Georges Brassens) avait activé le séchage qui, en temps normal, prend 3 semaines. Cette année c'est plus compliqué et le producteur a installé d'énorme machines, sorte de monstrueux sèche-cheveux sous les récoltes.

Avant d'afficher leur jolie couleur rose si caractéristique, les bulbes ne sont pas si beaux. J'ai photographié ci-contre l'ail avec toutes ses tuniques, telle qu'il est récolté en plein champ.

Vous ne le trouverez jamais en magasin sous cette forme car cette commercialisation n'est pas autorisée. Il faut au minimum enlever les "les premières peaux sales".

Cet ail rose de Lautrec blanchi en filet a été imaginé pour mieux protéger l'ail dans les grandes surfaces (les consommateurs ne faisant pas toujours attention à la fragilité des fruits et légumes!). Ce procédé permet une meilleure conservation.

Pour obtenir la couleur rose il faut éplucher la dernière peau, ce qui malheureusement le fragilise. Mais il demeure malgré tout plus résistant que l'ail blanc et reste ainsi encore un produit de grande qualité.

On emploie le terme de grappe en français parce que contrairement à d'autres aulx (je devance votre interrogation : il faut dire des ails lorsque l'on parle de l'ail en tant que plante botanique et des aulx lorsque l'on parle de l'ail comme condiment) celle-ci ne peut pas être tressée. Sa tige est trop dure pour cela. L'ail blanc a une tige molle qui se noue facilement. Et on n'a pas besoin de couper ses fleurs avant de récolter.

C'est plus de travail avec l'ail rose. On doit sectionner la fleur à 50 centimètres avant de laisser sécher sur pied la hampe florale qui prend alors le nom d'ail bâton. C'est le despoulinage que l'on fait début juin. Songez que la parcelle fait un hectare, que l'opération s'effectue à la main, ce qui promet des petits maux de dos à la fin de la journée. C'est encore plus vrai quand on sait que la moyenne des 160 exploitations d'ail rose de Lautrec est de 2 ha. (La superficie de Jean-François Tournié est de 3 ha)

C'est un marché de niche mais il est dynamique grâce au Label rouge. De ce fait Lautrec est le troisième canton français en terme d'installations agricoles. un tel résultat ne s'est pas fait en un jour mais il est remarquable.

Un des soucis majeurs est la pourriture blanche, une moisissure qui s'installe autour de la tête et pour laquelle il n'existe pas de traitement. Le seul "remède" est alors d'arracher sans état d'âme et surtout de cultiver en rotation de 5 ans avec le blé et le tournesol. Voilà pourquoi il y a tant de champs d'un jaune éclatant dans la région.
Les jachères fleuries(sarrasin, cosmos, bleuet) alternent aussi. Jean-François Tournié est sensible aux paysages. Il avoue pouvoir rester cinq minutes à contempler un coucher de soleil.

Beaucoup de travail avant d'arriver à la présentation en manouille 
C'est au fur et à mesure des besoins qu'on dépendra une barre et qu'on préparera les fameuses manouilles dont Jean-François me parle avec la voix chantante. Il s'agit de couper proprement les racines au sécateur en faisant tomber la terre encore présente sous le bulbe. Ce "déracinage" commence une fois le séchage de l'ail terminé, soit à partir de deux semaines après la récolte. Ensuite on raccourcit les queues et on retire les premières peaux pour faire apparaitre la couleur rose caractéristique.

On pèse ensuite les têtes sur une balance pour calibrer à 500g, 1kg ou 2kg cette botte qui sera liée à la ficelle rouge. Certains l'appellent tresse mais le terme est impropre puisque les tiges ne sont pas nattées. On devrait plutôt employer le terme de grappe, ou ce mot occitan de manouille pour désigner ce conditionnement en bouquet destiné à la vente (photo ci contre). Pour donner une idée du travail Jean-François Tournié précise que quelqu'un qui traite 5 kilos de manouilles à l'heure est un bon travailleur.

De fait, on voit dans tout le village de Lautrec des personnes qui se livrent à cette opération d'emmanouillage et qui vendent quasiment en direct.
Une conservation de plusieurs mois

Les paquets restent sur place, sur ces barres, tête en bas, tout l'hiver. Il n'y a qu'en cas de gelée en-dessous de moins 12°C qu'on devra les rentrer. Cela s'est déjà produit.

Il y a deux hangars ici et on prélève chaque semaine au fur et à mesure les quantités nécessaires à l'expédition vers la coopérative, en grappe, manouille ou plateau de 5 kg.

S'il n'y avait que sa couleur cela ne mériterait guère tous ces efforts. Elle se conserve un an si on la stocke dans un endroit sec et aéré. Jean-François conseille donc à la ménagère d'acheter son ail en septembre et de le garder à température constante.

Elle devient sucrée à la cuisson et son arôme est incomparable. Une tête non épluchée à côté d'un rôti change le plat. J'ai appris que 20 minutes de cuisson suffisaient et qu'il était préférable donc de l'ajouter en cours de cuisson plutôt que de la mettre dès le début.
Tout le monde dans la région semble être prêt à se lever à l'aube pour "aller aux champignons". C'est un sujet de conversation récurrent. Jean-François en avait lui aussi un plein saladier sur la table de sa cuisine. Des piboulades qu'il a ramassées au pied d'un peuplier, plus connues au Nord de la Loire sous le nom de pholiotes ... du peuplier.

L'ail relève à merveille des champignons poêlés. Et je me suis régalée. Vous connaissez peut-être la soupe à l'ail, fameuse Sopa de Ajo qui est souvent servie en Espagne, mais voici la version Ail Rose de Lautrec, parait-il aphrodisiaque, très prisée par Henri IV (Pau n'est pas si loin) qui donc n'aurait pas que la poule au pot à son actif culinaire :

Porter à ébullition 2 litre d'eau, y jeter 10 gousses d'ail pilé, 1 blanc d'oeuf, sel, poivre et laisser cuire 3 minutes. Ajouter 150 g de vermicelle et laisser pour 3 nouvelles minutes.
Préparer une mayonnaise avec le jaune, poivre, sel, 1 cuillerée à café de moutarde et huile. La délayer avec une louche de bouillon tiède puis incorporer totalement délicatement à la soupe.

Des spécialités qu'on trouve à la Ferme au Village
L'ail est aussi, si je puis dire, employée à toutes les sauces, une fois transformée par l'expertise de Françoise Carayol. Elle s'est spécialisée dans la fabrication artisanale de produits à l'ail et vinaigres. Vous trouverez dans sa boutique La Ferme au village toutes sortes qu'elle vous fera goûter : vinaigre de miel, de cidre, même de bière sans oublier les "classiques" de vin. Tous parfumés à l'ail.
Elle est installée 4 rue du Mercadial - 81440 Lautrec  (tel : 05 63 74 83 86 ou 06 85 62 26 78). Vous pourrez trouver ses produits sur son site sans avoir besoin de vous déplacer, mais vous raterez la dégustation. Et tant qu'à faire venez à Lautrec le premier vendredi du mois août. On y célèbre légitimement cette plante chaque année ce jour là.
 
Françoise est aussi teinturière que cuisinière ... employant le pastel pour colorer une myriade de vêtements dans des tons de bleus plus ou moins soutenus. La plante n'est pas particulièrement jolie.  Une crucifère qui ressemble à un petit chou, facile à cultiver et qui ne craint pas le froid. Ses propriétés ne sont pas visibles à l'oeil nu sur le pot que j'ai photographié. Pas davantage dans la cocagne que Françoise tient entre ses doigts.

Pour en savoir plus sur le sujet et sur la "cuisinière-teinturière" je vous invite à lire le portrait que j'ai fait d'elle. D'autres billets sur le Chemin de fer touristique du Tarn, l'église de Giroussens, la belle cité médiévale de Lautrec, son moulin et le calvaire de la Salette, le site du Castela de Saint-Sulpice-La-Pointe et sur le domaine de l'Orguennay. Il suffira de cliquer sur une image pour pouvoir lire le billet correspondant.

 
  
Merci à Thierry du Domaine de L'Orguennay de m'avoir facilité ces découvertes.

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