2001 a marqué les esprits à cause de l’explosion des tours jumelles. Mais il a pu se passer bien d'autres événements terribles. Pour moi c’est l’année du premier infarctus de mon père. Pour Lucien c’est la perte de sa mère. J’écris perte et non pas mort parce que c’est le mot juste.
Dans la librairie de Buenos Aires où il entre avec sa mère, il est captivé par de mystérieuses petites boîtes jaunes renfermant de minuscules poupées que sa mère lui présente comme attrape-souci. Selon une légende, si on leur confie ses soucis avant de s’endormir, le lendemain, ils se sont envolés. Alors qu'il hésite entre plusieurs boites, c’est sa mère qui s’est envolée. Disparue. Lucien part à sa recherche. Se perd. Les vrais soucis commencent.
Au fil de ses errances, rebaptisé Lucio par ses compagnons de route, il fait des rencontres singulières, cartonniers, prostituées, gamins des rues avec qui il se lie, un temps.
Nous allons partager sa vie trois ans durant et suivre l'enquête qu'il mène cahin-caha mais avec détermination sans faille pour retrouver sa mère. C'est un livre qu'on ne lâche pas. Le gamin est sérieux mais c'est encore un enfant. Le talent de Catherine Faye est de nous ouvrir sa tête et son cœur. Chaque scène se déroule devant nous comme si nous étions là-bas, dans ce bout du monde où il serait faux de croire qu’il n’y a plus rien.
Ce roman est riche, exotique, envoûtant. Il explose de couleurs et d’odeurs. Les personnages sont extrêmes et pourtant l'auteure les rend cohérents. Commençons par la mère, qui n'aura pas transmis à son fils que des incertitudes. La vie a du joli tu sais, lui avait-elle dit un jour. Sans rien ajouter. Venant d'elle, une phrase douce, c'était une prouesse, alors il fallait s'en satisfaire. (p. 125)
Le parcours de Lucien est difficile mais il y aura des rencontres providentielles qui contrebalanceront des départs. Il saura partager avec le lecteur tous les jolis moments, rendant la pauvreté joyeuse, capable de jongler avec des balles et des bouteilles en plastique pour gagner le minimum qui lui permettra de tenir encore un peu.
Catherine Faye a monté une fiction purement incroyable dont on ne perd pas une ligne tant elle est captivante. Le gamin a une personnalité façonnée par une capacité de résilience qui n'est pas tout à fait celle que Boris Cyrulnik a pointée. Pour ce (grand) psychiatre recevoir de l'amour, de qui que ce soit, peut permettre de réparer des blessures d'enfance.
Ce qui est prodigieux dans le tempérament de Lucien c'est qu'on a le sentiment qu'il est naturellement résilient. Il s'est trouvé une technique pour chasser les idées noires, des raconte-à-moi dont il nous donne le secret (p. 219). Ce gamin français, le petit negrito parisien, devenu argentin par nécessité, n’a que onze ans et déjà une intense capacité d'empathie pour tous les personnages extravagants dont il croise la route.
A la moitié du livre les aventures sont loin d'être terminées comme en témoignent des bribes de cauchemars récurrents. Mais Lucien arrive (p. 148) dans la jardinerie foisonnante d'Arrigo qui se laisse deviner sur la couverture. C'est son métier de faire pousser les graines et aucune n'est mauvaise. L'enfant qui a grandi sans père va rencontrer un homme et une femme (mystérieuse Adela) qui l'aideront à se construire et surtout à ne pas devenir, une fois grand, l’esclave d’un autre (p. 266).
Peux-t-on effacer le passé, ... gommer un enfant ? On saura très tard le fin mot de la tragédie qui a poussé sa mère à l’abandon. On évitera de la juger parce que rien n'est tout blanc ou tout noir. Une femme qui dit à son enfant Porte-toi bonheur. Et attrape ta vie (p. 288) est-elle foncièrement mauvaise ?
Dale, approuverait Lucien ...
Catherine Faye, journaliste indépendante, a passé son enfance à l’étranger, notamment en Argentine. Dans ses récits, ce sont les parcours atypiques, les histoires de vies qui la guident. L’Attrape-souci est son premier roman.
L'attrape-souci de Catherine Faye, Mazarine, janvier 2018
Repéré par les 68 premières fois, c'est le premier de la sélection de l'hiver 2018 que je chronique.
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