La couverture prend tout son sens une fois le livre refermé. Quelle claque ! J'avais énormément aimé D'après une histoire vraie, laquelle ne l'était pas tant que ça ... vraie. Mais je retrouve avec ce nouveau roman la force de la plume de No et moi, ou des Heures souterraines.
Il est bouleversant dès les premières lignes. La manière que Delphine de Vigan a de nous faire toucher le désespoir de la transparente Cécile ou la conviction d'Hélène. Elle brosse de superbes portraits de femmes car on remarquera que les hommes sont plutôt minables (William, le père d'Hélène), déchus (le père de Théo) ou fades (le collègue Frédéric). Les femmes peuvent être agaçantes, mais elles portent la vie et la défendent, sauf la prof de sport, madame Berthelot, odieuse, mais qui n'est pas un personnage principal.
Même si l'analyse d'Hélène est pour partie erronée (Théo n'est pas à proprement parler un enfant maltraité physiquement) il est malmené psychiquement et au bout du compte sa santé est réellement en danger).
Tous les éducateurs savent qu'un enfant maltraité ne se plaindra pas avec des mots. Aucune souffrance ne le poussera à remettre en cause ses parents, encore moins à les dénoncer, parce que ce serait leur faire du mal. C’est ce qu’on appelle le conflit de loyauté. Quand on a des soupçons on ruse en faisant dessiner l’enfant ou en lui demandant de raconter l’histoire d’un personnage imaginaire dans laquelle on décrypte ... ou pas.
Curieusement les gens dont c’est le métier, ou en tout cas qui ont le pouvoir comme infirmière, psy scolaire ... médecin, e font jamais de signalement au procureur de la république. Ils se retranchent derrière secret et neutralité. Mais ils sont très forts par contre pour culpabiliser les enseignants et leur rappeler leur devoir de signalement. Il est assez logique qu'Hélène "bidouille", quitte à franchir la ligne jaune. Parce qu'elle sait que (p. 157) que les enfants protègent leurs parents et quel pacte de silence les conduit parfois jusqu'à la mort. Elle le sait parce qu'elle a vécu une enfance terrible.
Delphine de Vigan montre que la maltraitance se propage d'autant "mieux" que personne ne communique avec personne. Aucun personnage n’a de vie de couple. Ils sont soit célibataire, soit séparés, soit en couple mais murés dans le silence pour protéger une femme malade ou une vie intérieure pas très jolie jolie. Ils ont tous l’air normaux. Est-ce que la vie de "famille" dite "normale" (au sens mathématique) serait devenue ainsi ?
Cécile le reconnait (p. 42) William pense toujours que je me fais des idées. Je ne sais pas quand nous avons cessé de parler. Il y a longtemps, c'est certain. Plus tard elle se souvient de l'atmosphère mortifère qui régnait à la maison quand elle était enfant (p. 66). L'histoire se répète souvent en matière de maltraitance.
Quand Théo retrouve sa mère après un week-end chez son père pour en dire le moins possible il faisait semblant de ne pas comprendre les questions, ou bien répondait de manière évasive. (...) Il lui semblait accueillir la souffrance de sa mère dans son propre corps (p. 53). Et quand il arrive chez son père il a la peur au ventre (p. 72) parce qu'il le sait au bord du désastre (p. 95). Cette terreur il ne peut la partager avec personne, même pas avec son meilleur ami Mathis. Par contre il l'entraine sur la voie dangereuse de l'alcoolisme.
Les chapitres alternent les points de vue exprimés par les deux femmes Hélène et Cécile qui parlent à la première personne et ceux des ados Mathis et Théo que l'auteur fait vivre à la troisième personne, ce qui instaure une distance et symbolise la difficulté à les atteindre.
L'auteure dépeint l'addiction à l'alcool avec beaucoup de finesse et là aussi de justesse. Le résultat est extrêmement prenant. Si un roman mérite l'expression d'écriture à l'os c'est bien celui-là. On n'est pas près de l'oublier.
Les loyautés, de Delphine de Vigan, chez JC Lattès. En librairie depuis le 3 janvier 2018
Il est bouleversant dès les premières lignes. La manière que Delphine de Vigan a de nous faire toucher le désespoir de la transparente Cécile ou la conviction d'Hélène. Elle brosse de superbes portraits de femmes car on remarquera que les hommes sont plutôt minables (William, le père d'Hélène), déchus (le père de Théo) ou fades (le collègue Frédéric). Les femmes peuvent être agaçantes, mais elles portent la vie et la défendent, sauf la prof de sport, madame Berthelot, odieuse, mais qui n'est pas un personnage principal.
Même si l'analyse d'Hélène est pour partie erronée (Théo n'est pas à proprement parler un enfant maltraité physiquement) il est malmené psychiquement et au bout du compte sa santé est réellement en danger).
Hélène, professeure de SVT, est alertée par le comportement de Théo qui lui évoque ce qu'elle a connu elle-même enfant, à savoir la maltraitance. Elle mobilise l'infirmière scolaire qui ne trouve rien de concluant. Frédéric, son collègue, craint que la jeune femme ne se mêle de ce qui ne la regarde pas. Le pré-ado ne se plaint de rien et ses résultats scolaires sont excellents au début de l'histoire. Les parents sont insaisissables.Le lecteur saisit tout de suite la gravité de la situation. Delphine de Vigan peint une société à la dérive où la loyauté envers les adultes mène les enfants à la catastrophe. Elle écrit avec la densité d’un roman policier parce qu'on a compris que c'est un compte à rebours qui s'est déclenché. Rien ne dit qu'Hélène parviendra à éviter le pire.
Tous les éducateurs savent qu'un enfant maltraité ne se plaindra pas avec des mots. Aucune souffrance ne le poussera à remettre en cause ses parents, encore moins à les dénoncer, parce que ce serait leur faire du mal. C’est ce qu’on appelle le conflit de loyauté. Quand on a des soupçons on ruse en faisant dessiner l’enfant ou en lui demandant de raconter l’histoire d’un personnage imaginaire dans laquelle on décrypte ... ou pas.
Curieusement les gens dont c’est le métier, ou en tout cas qui ont le pouvoir comme infirmière, psy scolaire ... médecin, e font jamais de signalement au procureur de la république. Ils se retranchent derrière secret et neutralité. Mais ils sont très forts par contre pour culpabiliser les enseignants et leur rappeler leur devoir de signalement. Il est assez logique qu'Hélène "bidouille", quitte à franchir la ligne jaune. Parce qu'elle sait que (p. 157) que les enfants protègent leurs parents et quel pacte de silence les conduit parfois jusqu'à la mort. Elle le sait parce qu'elle a vécu une enfance terrible.
Delphine de Vigan montre que la maltraitance se propage d'autant "mieux" que personne ne communique avec personne. Aucun personnage n’a de vie de couple. Ils sont soit célibataire, soit séparés, soit en couple mais murés dans le silence pour protéger une femme malade ou une vie intérieure pas très jolie jolie. Ils ont tous l’air normaux. Est-ce que la vie de "famille" dite "normale" (au sens mathématique) serait devenue ainsi ?
Cécile le reconnait (p. 42) William pense toujours que je me fais des idées. Je ne sais pas quand nous avons cessé de parler. Il y a longtemps, c'est certain. Plus tard elle se souvient de l'atmosphère mortifère qui régnait à la maison quand elle était enfant (p. 66). L'histoire se répète souvent en matière de maltraitance.
Quand Théo retrouve sa mère après un week-end chez son père pour en dire le moins possible il faisait semblant de ne pas comprendre les questions, ou bien répondait de manière évasive. (...) Il lui semblait accueillir la souffrance de sa mère dans son propre corps (p. 53). Et quand il arrive chez son père il a la peur au ventre (p. 72) parce qu'il le sait au bord du désastre (p. 95). Cette terreur il ne peut la partager avec personne, même pas avec son meilleur ami Mathis. Par contre il l'entraine sur la voie dangereuse de l'alcoolisme.
Les chapitres alternent les points de vue exprimés par les deux femmes Hélène et Cécile qui parlent à la première personne et ceux des ados Mathis et Théo que l'auteur fait vivre à la troisième personne, ce qui instaure une distance et symbolise la difficulté à les atteindre.
L'auteure dépeint l'addiction à l'alcool avec beaucoup de finesse et là aussi de justesse. Le résultat est extrêmement prenant. Si un roman mérite l'expression d'écriture à l'os c'est bien celui-là. On n'est pas près de l'oublier.
Les loyautés, de Delphine de Vigan, chez JC Lattès. En librairie depuis le 3 janvier 2018
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