Cantate pour Lou est à l'affiche depuis un moment mais une série de contretemps m'a contrainte à venir plusieurs fois pour voir le spectacle, en faisant démentir l'adage jamais deux sans trois puisque la représentation a bien eu lieu ce soir.
Les dates sont maintenant restreintes mais vous pouvez toujours voir la pièce jusqu'au 26 mars, les dimanche (15h) ou lundi (20 h).
Le travail d'écriture entrepris par Bérengère Dautun, qui signe sa première pièce est remarquable et elle a eu pleinement raison (à l’heure où, comme elle le souligne, certains droits de la femme -acquis depuis des années- risquent d’être remis en cause) de retracer la destinée de cette grande figure féminine chez qui tout était exceptionnel : beauté, intelligence, amour de la vie.
Bérengère est une comédienne exceptionnelle dont je découvre à chaque fois une facette différente.
Le duo qu'elle compose avec Sylvia Roux (qui est aussi la directrice du théâtre) fonctionne parfaitement pour faire vivre une quinzaine de personnages aussi célèbres que déterminants. Il faut dire qu'elle sont complices depuis un moment puisqu'elles ont joué dans Compartiment fumeuses, qui est repris en ce moment dans ce même Studio Hébertot.
La scénographie retenue est simple mais permet d'installer des atmosphères différentes, évoquant chacune un épisode particulier de la vie par la projection d'images sur un immense voile blanc. Le choix de Stéphane Cottin est judicieux et très esthétique. C'est d'abord la neige qui tombe à flocons serrés sur Saint Pétersbourg le jour de la naissance de cette petite fille qu'on appellera Lou en hommage à sa mère Louise et dont le prénom, Salomé, est dérivé de shalom et signifie donc paix.
Le tempérament fougueux de l'enfant est immédiatement installé alors que Sylvia se balance sur un cheval de bois. Née en 1861, elle connut le meilleur et le pire : l’âge d’or viennois (Klimt, Schnitzler) comme l’ascension d’Hitler au pouvoir. Sa vie ne commence pas légèrement : son père meurt le 1é février 1878 alors qu'elle n'a que dix-sept ans. Elle reçoit alors le titre d'excellente qui justifie l'emploi de ce petit mot "von" qui peut surprendre a priori.
Les épisodes se succèdent assez vite. Les deux actrices campent aussi bien des hommes que des femmes.
Vêtues toutes deux de la même longue et sobre robe noire, elles sont comme interchangeables et un détail permet d'identifier le personnage, comme un haut-de-forme pour Nietzsche. On reconnait par ailleurs Lou chez Sylvia au début de la pièce et chez Bérengère à la fin. La mise en scène d'Anne Bouvier est simple, et soignée, comme à son habitude. Il n'est pas indispensable de connaitre la vie de Lou pour apprécier ce spectacle même si ça aide.
L’attraction exercée par Lou est perceptible. Bérengère voulait montrer combien cette femme a révélé les êtres à eux-mêmes et suscitait les passions : Nietzsche, Paul Rée, Frida von Bulow... Mais aussi et surtout Rainer Maria Rilke qui sera son véritable premier amour... alors que c'est Andreas qu'elle aura épousé. Elle a tenu à souligner qu'elle n'avait jamais accepté de prendre le nom d'Andreas. Ce mariage n'a d'ailleurs jamais été consommé. Voilà ce qui justifie que la cantate soit dédiée à Lou von Salomé.
Le terme même de cantate est un petit clin d'oeil à Claudel qui a écrit la cantate à trois voix. Nietzsche écrira Zarathustra parce qu'elle ne l'aura pas eue, et pour se prouver sa puissance. Paul Rée se suicidera des années plus tard, faisant dire à Lou je ne fais donc que semer la mort et détruire ceux qui m'aiment.
La personnalité de Lou est complexe à bien des égards. Mais son intelligence est flamboyante, ce que reconnaitra Freud qui fut son maitre ... et admirateur, l'exhortant à se ménager parce qu'une fois devenue elle-même psychothérapeute elle n'hésite pas à suivre ses patients dix heures par jour.
Elle prend position contre la guerre que l'Allemagne déclare à sa chère Russie, qui provient de ce que les états ne se font pas psychanalyser.
C'est sincère, remarquablement documenté, envoutant du début à la fin quand la signature de Lou s'inscrit sur le vol d'un canard.
Cantate pour Lou Von Salomé de Bérengère Dautun
Mise en scène : Anne BouvierAvec Bérengère Dautun et Sylvia Roux
Au Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles - 75017 Paris - 01 42 93 13 04
Jusqu'au 26 mars 2018
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Jean-Pierre Lacan.
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