Franck Bouysse ... son nom me parlait mais je n'arrivais pas à ... jusqu'à ce que ... mais oui, il avait remporté le Prix SNCF du polar 2017 avec Grossir le ciel qui me narguait dans ma PAL, annoncé comme un suspense rural.
L'auteur est déjà lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d' aucune femme la plus vibrante de ses oeuvres. Ce roman sensible et poignant
L'auteur est déjà lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d' aucune femme la plus vibrante de ses oeuvres. Ce roman sensible et poignant
La couverture de Né d'aucune femme est magnifique. C'est un autoportrait de Sara Saudkova, une photographe tchèque, intitulé Allaitement.
J'avais tenté à plusieurs reprises d'entrer dans le roman mais je n'y étais pas parvenue. J'avais incriminé ce foutu virus qui m'avait épuisée. C'est qu'il faut une certaine force pour se glisser entre les arbres, et partager la rudesse de la vie de ces paysans.
J'étais carrément perdue au début du livre. Alors, après trois tentatives infructueuses espacées d'une quatorzaine, j'ai joué le tout pour le tout en ouvrant le roman plus loin dans l'histoire (page 83). Sans chercher à tout savoir j'avais besoin de m'accrocher à un personnage pour avoir envie de poursuivre.
Je suis bien tombée et le choc opéra. Je repris ensuite au début et me laissai captiver. Les deux premiers chapitres sont troublants mais le récit décolle à partir du moment où Gabriel, le prêtre, récupère les cahiers de Rose. Il les lit d'une traite et va reconsidérer ses valeurs : Moi qui avais jusqu'alors considéré le bien et le mal comme des concepts rassurants pour lesquels j'avais forgé quelques armes, il allait bientôt me falloir glisser d'autres fers dans les braises (page 32).
Né d'aucune femme raconte la vie de Rose, qui vient tout juste de mourir. Ce qui lui est advenu depuis le jour où de ses quatorze ans, quand son père l’a vendue à un notable assez mystérieux contre une modique somme d’argent en pensant pouvoir nourrir sa mère et ses sœurs.
Le point de départ est venu d'un fait divers qui fit quatre lignes il y a vingt ans dans un journal. Le décor est inspiré de la région où l'auteur est revenu récemment, pour retaper une petite maison, en bordure de la forêt où il a joué gamin, près d'un monastère du XII° siècle d'où les moines s'enfuyaient par un réseau de souterrains.
Rose est plus ou moins illettrée mais curieuse, et finement observatrice. Elle rédige ses mémoires sur des cahiers qui lui ont été passés en douce : Les mots passent de ma tête à ma main avec une facilité que j'aurais jamais crue possible, même ceux que je ne pensais pas posséder.
Pou Rose, écrire équivaut à s'écrier (page 250). Les mots, elle les vénère, y compris ceux qu'elle ne comprend pas. Ils sont (page 268) de la nourriture pour ce qui s'envolera de mon corps quand je serai morte, ma musique à moi. C'est peut-être ce qu'on appelle une âme.
Franck Bouysse a forgé là une ode à la littérature alors qu'il n'a fait aucune étude littéraire, (ce n'est pas un handicap, juste une constatation). Il a appris la biologie (ce qui n'est pas antinomique parce que cet enseignement lui vaut sans doute une certaine rigueur dans l'emploi des termes) : J'allais piocher dans des bibliothèques ... je me suis nourri à tout. Faut trouver sa famille (sous-entendu ses auteurs préférés), mais c'est bien de l'agrandir un peu. Cet écrivain autodidacte a publié son premier roman à 47 ans. Celui-ci est le quatrième à être édité.
J'ai été étonnée par son art des dialogues qu'on croirait être des scènes théâtrales.
Les sujets de ses romans viennent peu ou prou de son enfance dont il dit qu'elle le rattrape systématiquement quand il écrit. Il reconnait avoir été marqué probablement par les contes que sa grand-mère lui racontait. De fait il y a quelque chose du Petit Poucet, de Barbe Bleue, de Cendrillon, de la Belle au bois dormant et de Blanche Neige dans ce dernier roman. L'ogre, la sorcière, le prince charmant ... tout y est. Le conte est terrible.
Pour ma part, je n'ai cessé de penser, lorsque je découvris le personnage de la vieille au Portrait de ma concierge, une peinture de 1922 de Jean Fautrier (1896-1964 à Chatenay-Malabry), découverte au MUba Eugène-Leroy de Tourcoing.
Cette peinture date de 1922 alors que l'histoire se situe clairement au XIX° siècle et je ne pense pas que le peintre ait voulu représenter sa concierge montmartroise comme un personnage maléfique mais exprimer avec une froideur impitoyable une somme de misère insurmontable, un peu comme celle à laquelle sera confrontée la mère de Rose.
Le roman est le récit d'une lutte à mort entre le mal absolu et la féminité, d'un destin contrarié et d'une rédemption. Rose est maltraitée comme il est difficile de l'imaginer (et pourtant Franck Bouysse y est parvenu), au delà du soutenable, et pourtant comme elle le souligne elle-même personne peut attraper le malheur de quelqu'un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c'est tout (page 236).
Il y a tout de même quelqu'un qui essaie de la mettre en garde, mais ne sachant pas lui-même exactement de quoi, l'avertissement résonnera dans le vide. Et puis cet homme se croira être assez fort pour parvenir à la garder.
Franck Bouysse creuse ce sillon de l'obscurité depuis plusieurs livres. Avec l'idée sous-jacente qu'une forme de lumière ou d'incandescence jaillira des mots. Celui-ci marque probablement la fin de quelque chose ... comme s'il était allé, dit-il, au bout de ce que humainement il pouvait faire dans le registre de la noirceur.
Pour Rose le salut viendra avec les mots mais aussi de sa capacité à faire surgir des pensées qui lui permettent de prolonger les moments heureux, passés auprès es épaules d''Edmond, de la jument Artémis ou même plus simplement avec sa poupée de chiffon, lui faisant oublier les prisons dont elle s'échappe un moment. Rares sont les personnages qui, comme elle, ont cette capacité à résister, en endurant l'innommable parce qu'ils sont persuadés qu'un chemin existe quelque part.
Avant de refermer ce livre envoutant j'ai eu envie de revenir au début, et j'ai compris alors les indices figurant dans les deux premiers chapitres ... Et maintenant je vais plonger dans le précédent, Grossir le ciel.
Né d'aucune femme de Franck Bouysse, à La Manufacture de livre, en librairie depuis le 10 janvier 2019
J'avais tenté à plusieurs reprises d'entrer dans le roman mais je n'y étais pas parvenue. J'avais incriminé ce foutu virus qui m'avait épuisée. C'est qu'il faut une certaine force pour se glisser entre les arbres, et partager la rudesse de la vie de ces paysans.
J'étais carrément perdue au début du livre. Alors, après trois tentatives infructueuses espacées d'une quatorzaine, j'ai joué le tout pour le tout en ouvrant le roman plus loin dans l'histoire (page 83). Sans chercher à tout savoir j'avais besoin de m'accrocher à un personnage pour avoir envie de poursuivre.
Je suis bien tombée et le choc opéra. Je repris ensuite au début et me laissai captiver. Les deux premiers chapitres sont troublants mais le récit décolle à partir du moment où Gabriel, le prêtre, récupère les cahiers de Rose. Il les lit d'une traite et va reconsidérer ses valeurs : Moi qui avais jusqu'alors considéré le bien et le mal comme des concepts rassurants pour lesquels j'avais forgé quelques armes, il allait bientôt me falloir glisser d'autres fers dans les braises (page 32).
Né d'aucune femme raconte la vie de Rose, qui vient tout juste de mourir. Ce qui lui est advenu depuis le jour où de ses quatorze ans, quand son père l’a vendue à un notable assez mystérieux contre une modique somme d’argent en pensant pouvoir nourrir sa mère et ses sœurs.
Le point de départ est venu d'un fait divers qui fit quatre lignes il y a vingt ans dans un journal. Le décor est inspiré de la région où l'auteur est revenu récemment, pour retaper une petite maison, en bordure de la forêt où il a joué gamin, près d'un monastère du XII° siècle d'où les moines s'enfuyaient par un réseau de souterrains.
Rose est plus ou moins illettrée mais curieuse, et finement observatrice. Elle rédige ses mémoires sur des cahiers qui lui ont été passés en douce : Les mots passent de ma tête à ma main avec une facilité que j'aurais jamais crue possible, même ceux que je ne pensais pas posséder.
Pou Rose, écrire équivaut à s'écrier (page 250). Les mots, elle les vénère, y compris ceux qu'elle ne comprend pas. Ils sont (page 268) de la nourriture pour ce qui s'envolera de mon corps quand je serai morte, ma musique à moi. C'est peut-être ce qu'on appelle une âme.
Franck Bouysse a forgé là une ode à la littérature alors qu'il n'a fait aucune étude littéraire, (ce n'est pas un handicap, juste une constatation). Il a appris la biologie (ce qui n'est pas antinomique parce que cet enseignement lui vaut sans doute une certaine rigueur dans l'emploi des termes) : J'allais piocher dans des bibliothèques ... je me suis nourri à tout. Faut trouver sa famille (sous-entendu ses auteurs préférés), mais c'est bien de l'agrandir un peu. Cet écrivain autodidacte a publié son premier roman à 47 ans. Celui-ci est le quatrième à être édité.
J'ai été étonnée par son art des dialogues qu'on croirait être des scènes théâtrales.
Les sujets de ses romans viennent peu ou prou de son enfance dont il dit qu'elle le rattrape systématiquement quand il écrit. Il reconnait avoir été marqué probablement par les contes que sa grand-mère lui racontait. De fait il y a quelque chose du Petit Poucet, de Barbe Bleue, de Cendrillon, de la Belle au bois dormant et de Blanche Neige dans ce dernier roman. L'ogre, la sorcière, le prince charmant ... tout y est. Le conte est terrible.
Pour ma part, je n'ai cessé de penser, lorsque je découvris le personnage de la vieille au Portrait de ma concierge, une peinture de 1922 de Jean Fautrier (1896-1964 à Chatenay-Malabry), découverte au MUba Eugène-Leroy de Tourcoing.
Cette peinture date de 1922 alors que l'histoire se situe clairement au XIX° siècle et je ne pense pas que le peintre ait voulu représenter sa concierge montmartroise comme un personnage maléfique mais exprimer avec une froideur impitoyable une somme de misère insurmontable, un peu comme celle à laquelle sera confrontée la mère de Rose.
Le roman est le récit d'une lutte à mort entre le mal absolu et la féminité, d'un destin contrarié et d'une rédemption. Rose est maltraitée comme il est difficile de l'imaginer (et pourtant Franck Bouysse y est parvenu), au delà du soutenable, et pourtant comme elle le souligne elle-même personne peut attraper le malheur de quelqu'un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c'est tout (page 236).
Il y a tout de même quelqu'un qui essaie de la mettre en garde, mais ne sachant pas lui-même exactement de quoi, l'avertissement résonnera dans le vide. Et puis cet homme se croira être assez fort pour parvenir à la garder.
Franck Bouysse creuse ce sillon de l'obscurité depuis plusieurs livres. Avec l'idée sous-jacente qu'une forme de lumière ou d'incandescence jaillira des mots. Celui-ci marque probablement la fin de quelque chose ... comme s'il était allé, dit-il, au bout de ce que humainement il pouvait faire dans le registre de la noirceur.
Pour Rose le salut viendra avec les mots mais aussi de sa capacité à faire surgir des pensées qui lui permettent de prolonger les moments heureux, passés auprès es épaules d''Edmond, de la jument Artémis ou même plus simplement avec sa poupée de chiffon, lui faisant oublier les prisons dont elle s'échappe un moment. Rares sont les personnages qui, comme elle, ont cette capacité à résister, en endurant l'innommable parce qu'ils sont persuadés qu'un chemin existe quelque part.
Avant de refermer ce livre envoutant j'ai eu envie de revenir au début, et j'ai compris alors les indices figurant dans les deux premiers chapitres ... Et maintenant je vais plonger dans le précédent, Grossir le ciel.
Né d'aucune femme de Franck Bouysse, à La Manufacture de livre, en librairie depuis le 10 janvier 2019
Livres précédemment chroniqués :
Joseph Ponthus, A la ligne
Alexis Ragougneau Opus 77
Line Papin, Les os des filles
Abir Mukherjee, L’attaque du Calcutta-Darjeeling
Natacha Appanah, Le ciel par-dessus le toit
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