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dimanche 17 novembre 2024

Avant que ça commence de Marie-Laure Brunel et Valérie Péronnet

Avant que ça commence raconte sous forme de fiction réaliste les débuts de Marie-Laure Brunel. Cet opus (un second roman a été publié sous le titre Serrer les dents) est consacré aux mois qui ont précédé la création du premier service.

C’est en découvrant l’implication de Clarice Starling (interprétée par Jodie Foster) dans Le silence des agneaux réalisé à partir du roman de Thomas Harris en 1988 (p. 42que cette femme a eu la vocation de devenir profileuse.

Puisqu’il ne s’agit pas de trouver un tueur par intuition en se basant sur des impressions, mais après une analyse pointue de ses motivations Marie-Laure Brunel entreprend des études de droit et se spécialise en enquêtes criminelles et criminologie. La profession n’existait pas en France et elle était prête à passer par la case Gendarmerie pour l’exercer. Et on verra au fil des pages combien elle apprécie ses collègues, à une exception près, un supérieur macho dont elle réussira à se débarrasser, … sans avoir recours à la force.

Le parcours de Marie-Laure Brunel est totalement atypique et on comprend qu’elle ait fasciné Valérie Péronnet, venue l’interviewer pour Psychologies MagazineNée en 1964 à Dakar, cette journaliste indépendante travaille régulièrement pour cette revue et a été nègre pour une trentaine de récits, essais et témoignages. Son premier roman, Jeanne et Marguerite, paru aux éditions Calmann-Lévy en 2011, a été adapté au théâtre avec succès en 2013.

Dans le portrait qu’elle a fait d’elle, Valérie réussissait à lui faire dire des choses inédites sans la trahir, ce qui a instauré la confiance. Elles se sont rejointes sur leur attention extrême au moindre détail, même si leurs cadres de travail sont différents.

Etant également autobiographe, Valérie a l’habitude de prêter sa plume à des gens qui racontent leur vie. Si celle de l’officière en gendarmerie était tentante à raconter il y avait le barrage du secret professionnel. D’où l’idée de créer un personnage inspiré de cette femme hors-normes qui écrit au directeur de la gendarmerie, sans se rendre compte que ce n’est pas comme ça qu'on fait, en lui proposant son projet et qui est finalement embauchée.

Voilà pourquoi est née Mina Lacan jamais cynique, ni désabusée, davantage au service des vivants que désireuse de sanctionner les coupables, bien loin de l’image qu’on a de la profileuse qui, dans les séries est totalement allumée ou alcoolique. Si le tempérament de Mina est bien le sien il est évident que, dans la vraie vie, Marie-Laure n’a pas de sœur jumelle. Peut-être a-t-elle malgré tout une passion incommensurable pour toutes sortes de thé, à l’instar d’Amélie Nothomb bien connue pour aimer le champagne.

Les références ne laissent aucune place au doute. Je vérifierai en goûtant l’Empress Grey de Marks & Spencer dont elle dit le plus grand bien, à moins de me laisser tenter par ces deux spécialités de Mariage frères, le Blue Valentinequi associe des parfums fleuris à des accents zestés d’agrumes, ou encore le Chandernagorun thé noir enrichi d'épices parmi lesquels on reconnaît clou de girofle, cannelle, gingembre, cardamome et poivre. Pour ce qui est du très segmentant Lapsong Souchong (un thé noir fumé) je l’utilise personnellement pour parfumer une huile dans laquelle je fais mariner des coquilles Saint-Jacques. Plusieurs détails montrent une gendarme gourmande, généreuse à donner ses bonnes adresses comme Chez Marianne pour les amateurs de falafels, même si le restaurant ne se situe pas exactement rue des Rosiers (j’ai vérifié et cela m’est facile parce que je me souviens de la peinture murale du tigre sur la façade adjacente) mais tout près, à l’angle, au 2 rue des Hospitalières Saint-Gervais.
Était ce parce que c’était le premier d’une longue série que le débit des premières pages brouille les pistes ? Je me suis accrochée parce qu’on m’avait dit le plus grand bien de ce livre. Une fois l’affaire Courchon enclenchée c’est devenu un vrai page-turner à la hauteur de la réputation que les co-autrices ont désormais, non seulement à la gendarmerie (qui n'est jamais critiquée) mais aussi dans le milieu littéraire du polar dont elles respectent les codes. Et je ne serais pas surprise que ça déborde vers le cinéma.

La spécificité est la fidélité à des faits (hélas) réels, bien que modifiés afin de préserver les protagonistes dans le respect du réalisme, par égard aux victimes, pour qu’elles ne reconnaissent pas leurs affaires, et parce qu'il ne s'agit pas de faire un divertissement avec la douleur des familles. Seuls les professionnels impliqués s'apercevront des modifications qui, toutes, doivent rester cohérentes jusqu’à la dernière ligne. Impossible au passage qu'ils ne remarquent pas le lien très fort que la la lieutenante-colonelle entretient avec les équipes de terrain qui sont composées d'êtres passionnés dignes d’admiration et bien entendu de respect.

Je n’avais pas compris que le projet était de raconter toute la carrière de Mina, ce qui peut justifier de commencer par la fin, quand elle a 65 ans et de montrer l’évolution de carrière, avec des enquêtes de plus en plus conséquentes, en témoignant aussi des changements de son univers professionnel. Il est logique de dépeindre comment, petit à petit, les sciences du comportement, qui n’étaient pas encore utilisés dans la gendarmerie quand Marie-Laure y est entrée, sont devenues si essentielles.

On ne peut qu’admirer cette femme qui à 22 ans décide d’écrire directement sa volonté et son dynamisme au patron de la gendarmerie à qui elle propose de monter une équipe d’analystes du comportement. Elle a réussi à convaincre un univers très masculin de lui confier la création du Département des Sciences du Comportement au sein de la gendarmerie nationale à l’instar de ce qui existait au FBI. Elle deviendra le 9 octobre 2020 chef la division “cold cases“, renommée au printemps 2021 la DIvision des Affaires Non Elucidées (DiANE).

Le principal changement est d’avoir basculé de point de vue en essayant de comprendre le crime pour le résoudre. On peut présumer d’autres mutations comme le laisse entendre le personnage de fiction : L’informatique est vraiment en train de révolutionner les techniques d’enquête ! Et même si aucun ordinateur en pourra jamais remplacer la bouteille et l’intelligence d’un enquêteur, la finesse de ses perceptions, et la capacité à prendre en compte aussi, les inconcevables turpitudes et contradictions dont l’être humain est capable, c’est vraiment très excitant, ce qui est en train de se développer (p. 227).

Tout cela est bel et bien passionnant. A tel point que vous avez peut-être vu l’une ou l’autre dans une émission populaire ou dans une librairie (ci dessous Marie-Laure Brunel, à gauche, et Valérie Péronnet en dédicace).
Revenons au premier opus de la série. Si j’ai eu du mal avec les premières pages je comprends que Valérie Péronnet ait poussé le curseur au maximum de l’originalité car les premières affaires que traitera la jeune femme sont à des milliards de kilomètres du célèbre film (p. 47). Cela cautionne aussi que la famille du personnage de Mina Lacan soit un peu excessive, plutôt gratinée, ce qui apporte des pelletées d’humour. Il fallait bien injecter de la surprise autour de quelqu’un dont la caractéristique professionnelle est de ne pas exprimer ses émotions et de se murer derrière le secret.

On sourit donc beaucoup au fil des pages, y compris en suivant le bras de fer qui l’oppose courtoisement à son chef de service, la contraignant à coordonner un défilé avec salut au sabre (p. 226). Il y a un peu de fantaisie dans la manière de décrire son mode opératoire par tableaux parce que quand tout est tiré à quatre épingles tu peux avoir une vision globale de la situation. Quelquefois, ça suffit pour que la réalité que tu voyais pas, te saute aux yeux (p. 47). Elle compile les données sur au moins 38 points capitaux comme : type de crime et style d’homicide, risque de la victime, risque de l’agresseur, temps du crime, facteur lieu … etc …

Mais son atout majeur c’est l’usage de la moulinette de son cerveau. On devine qu’elle a fait sienne la devise de Boileau : sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sens cesse et le repolissez ; ajoutez quelque fois, et souvent effacez.

Pour se changer les idées, elle aime crapahuter dans Paris (p. 177) et pour se détendre, car il faut bien trouver le moyen d’évacuer le stress, elle enfile les perles de bijoux qu’elle créés avec force strass et paillettes avec la même détermination qu’elle mène ses investigations (p. 211). L’intérêt avec la broderie, c’est qu’on ne voit pas le temps passer. Les idées se répètent en place, petit à petit, pendant qu’on est en train d’enfiler des perles sans s’en préoccuper. Quelqu’un qui m’observerait de l’extérieur penserait que je suis en plein loisir créatif, mais en fait non : je suis en pleine infusion du dossier Courchon (p. 211).

S'agissant de leur mode opératoire les deux complices assument la co-écriture. L'une raconte, l'autre écrit mais c'est ensemble qu'elles ont auparavant échafaudé la trame de l’enquête en la rendant méconnaissable aux yeux des gens impliqués tout en restant réaliste. Marie-Laure relit chaque ligne qu'elle valide … ou pas.

Cette lecture, à l’instar du Silence des agneaux pour l’auteure, déclenchera peut-être une vocation chez vous. Une petite bibliographie est donnée indirectement pour vous permettre de tester vos motivations à bosser dans le crime, côté enquêteurs (p. 231). Attendez peut-être d’avoir lu la suite pour vous lancer …

Pour ma part je retiens la mise en garde de la lieutenante-colonelle qui insiste sur le fait que la plupart des individus qu’elle a contribué à faire avouer, avec son équipe, sont des gens quasiment normaux : Tout peut se passer tout le temps n’importe où.

Avant que ça commence de Marie-Laure Brunel et Valérie Péronnet chez Hachette Fiction, collection Black Lab, en librairie depuis le 3 mai 2023
En collection J’ai lu en mars 2024
La photo qui n’est pas logotypée A bride abattue est de © Sirpa gendarmerie - BRI (R) B. Louvet

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