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mardi 12 novembre 2024

L’album 88 d’Eva Marchal

Voilà une jolie surprise que cet album 88 d’Eva Marchal, riche de 14 titres aussi simples que puissants. Autant de morceaux réellement différents les uns des autres qui installent des ambiances particulières.

Cette chanteuse atypique n'est pas une débutante. Elle est de retour avec des titres portés par sa voix si particulière dans un album qui pourrait faire la différence dans le paysage musical hexagonal.

Parce qu'elle elle sait où le beau se situe. Avec 88 -déjà son 7ème album et peut-être le plus personnel- elle porte un regard acéré sur la vie et toutes ses nuances de gris qu’elle retranscrit en mots et en émotions mais c’est malgré tout un album orienté vers l’espoir. Les titres ont tout de la simple évidence, avec l’évocation de doutes et de fêlures qui marquent la psyché et en font la beauté. La référence aux années 80, chères à beaucoup d’entre nous, est plutôt claire. Et surtout pour elle puisque c'est à cette période qu'elle a voulu devenir chanteuse.

Comme les nuages ont de beaux costumes / C'est là devant moi sur écran géant/ Les chaos de mon âme se consument / J'ai laissé venir, il était temps de grandir. Le titre Je plane (piste 1) évoque les vertus de la résilience et de l’acceptation d'une voix fluette,

Cigarettes en papier (piste 2) revient sur les souvenirs de l’enfance d'une petite fille de dix ans. J’voudrais être vieille et pleine de rires /avec une bouche qui garde le goût des souvenirs / Je voudrais être vieille et pleine de rides / Avec des yeux qui disent que la vie est aride /Mais pas tout de suite, non pas trop vite / Un autre jour à la limite (piste 3) est un texte magnifique sur l'acceptation difficile du temps qui passe, la peur de vieillir et surtout celle de devoir quitter la scène de la vie un jour, ce que traduit parfaitement l'accélération du rythme de paroles qu'on entend comme une confidence. En contrepoint les photos de l'album montrent Eva petite fille.

Crush (piste 4) est une déclaration d'amour aux Etats-Unis, chantée en anglais comme il se doit.

La piste suivante commence avec le bruit d'une bande qu'on rembobine, progressivement supplantée par des chants d'oiseaux qui reviendront à la fin du morceau. Peine perdue évoque les efforts nécessaires pour clôturer une histoire avant d’en commencer une autre. La voix est lentement modulée sur des notes de piano claires, et enveloppée de réverbération, évoque - évidemment les Peines d'amour perdues de Shakespeare. Dix mois dis-moi que j'ai mal à l'amour … Que je déteste çà. Une voix s'élève comme un choeur et on pense davantage encore à Claire Diterzi que sur les autres chansons. Aucun doute qu'elles sont d'une même famille, et que toutes deux aiment chanter les notes dièse.

Voici On s'est gardés (piste 6), sans doute ma préférée. Les paroles s'enchainent, magnifiques, à partir d'expressions bien connues, dont la plus célèbre est la ritournelle qu'on fredonne en amoureux en effeuillant une marguerite : on s'est aimé un peu, beaucoup, passionnément, à la folie et plus que tout. Ou on s'est détesté … avec le même enchainement, sur une voix portée très haut dans les aigus. C'est splendide émotionnellement parlant.

L'amer (piste 7) offre un jeu de mots ponctué de notes qui résonnent comme une houle. Quand ils sentiments sont lourds à exprimer la chanteuse choisit l'anglais. Pour raconter par exemple la rencontre avec son père biologique dans Who I am (piste 8).

Rupture de ton avec Hacker mon coeur (piste 9), bulle de douceur. Changement de focale encore (mais pas de ton) avec Tu regagnes le port (piste 10), si bel hommage à un aïeul qui plonge dans l'oubli provoqué par la maladie d'Alzheimer, et dont on se hâte de profiter à la moindre accalmie précieuse. Les paroles sont très cinématographiques et la voix se tord à l'instar d'une chanson rock.

Sans émoji (piste 11) es-tu happy ou sad, sommes nous crazy ? Quel humour pour décrire le bal des mots semblants. En interview Eva Marchal estime en riant que si elle devait se représenter par un émoji ce serait un visage un peu timide avec les pommettes rouges.

 Other shore (piste 12) une nouvelle fois en anglais car on remarquera que lorsque le français devient impudique la chanteuse sautille sur une autre langue. Et voici la reprise de This Woman's work (piste 13) qui démarre -comment cela aurait pu être autrement ?- sur un cri, mais qui se poursuit avec la voix à laquelle on s'est maintenant habituée, soufflée, acidulée, en restant fidèle à la structure d’origine et au phrasé de Kate Bush tout en lui donnant un côté plus actuel, notamment par les arrangements de cordes composés par Claude Salmièri. Cette chanson très typée années 80 a été composée par Kate Bush pour le film "La vie en plus" qui est sorti … en 1988.

Et pour finir Tout roule (piste 14) une ballade prônant la réconciliation et célébrant l'apaisement, et qui donne furieusement envie de réécouter Je plane.

Les morceaux sont des petites capsules douces amères portées par une voix enjôleuse qui prend possession de l’esprit de l’auditeur. A ses côtés, Eva Marchal s’est entourée de Denys Lables à la guitare et Claude Salmièri pour les parties piano, batterie, entre autres.

88 devient vite un album dont on a du mal à se passer, en raison de l’équilibre entre douceur et amertume et un travail soigné sur la langue, le choix minutieux du meilleur mot, enchaînant les distorsions d'une expression et avec des jeux de mots habiles et légers. Par exemple avec
sur le tarmac délester mon sac (piste 1)
hacker (piste 9)
traviole et plus-que-tout (piste 6)
roule, tout roule (piste 14)

Eva Marchal est originaire de Béziers où elle est née dans les années 1970 avant de grandir plus au nord à La Rochelle où elle a écumé les piano-bars de la région. Elle a connu la glorieuse époque du trip-hop, celle de Portishead et Goldfrapp et en gardé des souvenirs qui imprègnent sa musique. Elle a fait des premières parties de Francis Cabrel au Canada, est apparu aux Francofolies et a réalisé une tournée au Japon en 2008.

L’artiste conçoit et compose sa musique à la maison, en autodidacte éclairée avec un piano, une guitare et quelques outils électroniques. Son home studio lui permet d’expérimenter et d’agrémenter son inspiration au fil des trouvailles. A l'exception des pistes 3 et 5 (et bien entendu la chanson de Kate Bush) elle a composé la musique et écrit les paroles.

On pourra voir la chanteuse en concert début 2025. Il y aura prochainement plusieurs clips à découvrir et aussi des live sessions. Elle travaille également toujours sur des spectacles pour le jeune public pour lequel elle a sorti deux disques et créé un court-métrage tout en ombres chinoises.

Eva Marchal - Nouvel album 88
Sortie le 25 septembre 2024 chez Les Contes de Roméo

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