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lundi 11 novembre 2024

La collection permanente du musée de l’Orangerie

Voici le dernier article d’un tryptique consacré au musée de l’Orangerie, où il sera question cette fois de ses collections permanentes (hormis bien entendu les mythiques salles où sont exposés les Nymphéas de Claude Monet), et l'exposition temporaire actuelle Heinz Berggruen.

J’ai choisi de l’illustrer par le Portrait de Madame Paul Guillaume au grand chapeau une huile sur toile (vers 1928-29) réalisée par André Derain (1880-1954) dont Paul Guillaume fut le marchand exclusif à partir de 1923. 

Derain représente ici Domenica Guillaume (1898-1977), son épouse. Son élégante capeline et les luxueuses étoffes évoquent son statu de femme mondaine. Le jeu de fluidité des différents tissus contraste avec la pose presque sculpturale du modèle. Il faut savoir que le peintre et son galeriste ont lié une forte amitié.

On trouve dans cette partie des Matisse qui n’appartiennent pas à l’époque des papiers découpés. Comme cette Odalisque à la culotte grise, huile sur toile (1927)
Matisse avait aménagé l'atelier niçois dans lequel il s'est installé en 1921 comme une scène de théâtre où se trouvaient objets et modèles. Cette variation sur le thème de l'odalisque se caractérise par l'orthogonalité rigoureuse de sa composition, et la profusion de motifs colorés. Le critique Waldemar-George (1893-1970) écrit, dans le livre commandé par Paul Guillaume pour mettre en valeur sa collection que Matisse "rivalise avec la grande rosace de la cathédrale de Chartres, ce joyau où rubis et saphirs, émeraudes et améthystes, enchâssés dans un mur, lancent des feux fulgurants d'un éclat maléfique". Il est vrai que le peintre associe des motifs de façon étonnante pour composer le décor. On dirait qu’il s’est s'intéressé autant aux courbes des fleurs et des carafes qu'aux lignes verticales.

On voit aussi plusieurs Soutine. Né dans l'Empire Russe, en actuelle Biélorussie, Chaim Soutine (1893-1943) s'était installé à Paris en 1913, où il s'était lié avec les artistes installés à Montparnasse, dont le peintre Amedeo Modigliani. Il rencontre Paul Guillaume en 1922, qui acquiert de nombreux tableaux et le présente au collectionneur américain Alfred C.Barnes qui fera rapidement, lui aussi, l'acquisition de nombreuses de ses toiles, assurant au peintre une renommée internationale.
Le peintre a représenté tout déformé Le garçon d'étage, huile sur toile (vers 1927) avec des bras qui semblent tordus, des mains à peine dessinées qui ont été travaillées semble-t-il par de grands mouvements avec une peinture qu’on remarque épaisse.

Soutine travaille ses thèmes par séries. Qu'il s'agisse de portraits, de natures mortes ou de paysages, il soumet chaque motif à de fortes distorsions et applique la couleur en contrastes vifs. Les personnages représentés dans ses portraits tirent jusqu'à la candidature. Les carcasses écorchées revêtent un caractère expressionniste fort, et les paysages sont comme tourmentés. Ses tableaux d'apparence expressive témoignent d'un sens de la composition classique tiré de l'observation des maitres anciens tels Rembrandt ou Jean Siméon Chardin, auxquels il ne cessa de se référer.
L’univers de Marie Laurencin (1883-1956) est aux antipodes. Sa composition Femmes au chien, huile sur toile (1924-25) met en scène plusieurs des sujets préférés de l'artiste. Dans un décor quasi abstrait d'étoffes et de végétaux, prétexte à des variations colorées, un couple de jeunes femmes joue avec un petit chien. L'artiste entreprend avec des oeuvres comme celle-ci une réinterprétation des fêtes galantes de la peinture du XVIII° siècle -mettant en scène des bals costumés de plein air. Elle restera longtemps fidèle à ce mode de représentation des femmes. La construction du tableau garde le souvenir des oeuvres qu'elle vient de créer pour des spectacles, en particulier pour les Ballets russes de Serge Diaghilev (1872-1929).
Elle peint à la même époque un autre tableau, sur lequel on remarque aussi un petit chien, un petit caniche sur les genoux de la styliste. Il s'agit du Portrait de Mademoiselle Chanel, huile sur toile (1923). Il se trouve que cet automne là Gabrielle dite Coco Chanel (1883-1971) dessine pour la même compagnie les costumes de l'opérette dansée Le Train bleu, sur un scénario de Jean Cocteau (1889-1963) et une musique du compositeur Darius Milhaud. Coco Chanel commande son portrait à la peintre. La composition aux douces harmonies de bleu, vert et rose ayant déplu au modèle, Coco ne paiera pas l'artiste qui conservera l'oeuvre, dont Paul Guillaume fera plus tard l'acquisition.

Née à Paris, Marie Laurencin s'était formée d'abord en tant que peintre de porcelaine à l'école de Sèvres en 1901, puis a suivi des cours de peinture à l'Académie Humbert. Elle y rencontra Francis Picabia et Georges Braque, fit la connaissance de Pablo Picasso, et intègra le cercle des artistes de l'avant-garde parisienne du début du XX° siècle dont elle devint une figure incontournable.

C'est par l'entremise de Picasso, que Marie rencontra le poète Guillaume Apollinaire en 1907, avec qui elle noua une relation amoureuse et intellectuelle de plusieurs années. Ce dernier l'introduisit auprès de Paul Guillaume, qui ne devint son marchand que dans les années 1920.

D'abord influencée par la peinture cubiste, Marie Laurencin développa à partir de ces années là un style propre fait de ton clairs er pastels, d'environnements oniriques où la figure féminine idéalisée occupe une place centrale. Elle réalisa un grand nombre de portraits, témoins de son entourage mondain, et mena une activité importante de décoratrice de théâtre et de ballets.

Restons dans les portraits avec (prêté par le Musée d'Orsay pour compléter la présentation de quelques oeuvres du Douanier Rousseau) le Portrait de Madame M., huile sur toile (1896) de Henri Rousseau, dit Le Douanier (1844-1910). Avec ce tableau monumental, exécuté avec beaucoup de soin, certainement d'après une photographie, Rousseau rivalise avec les portraits mondains du Salon ou avec ceux du XVIII° siècle. Le modèle se détache sur un paysage intemporel et raffiné alors que le vêtement, très à la mode vers 1895, permet de dater le tableau. Une étrangeté, caractéristique de l'oeuvre du peintre, se dégage à travers les traitements différents du ciel, du paysage et des traits du modèle.
Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustive. je m'attarderai un instant sur quelques oeuvres de Maurice Utrillo (1883-1955) dont le musée de l'Orangerie conserve l'un des plus beaux ensembles de peintures existant en Europe. Le marchand Paul Guillaume connaissait sa peinture depuis 1910 grâce au poète Max Jacob, mais c'est Guillaume Apollinaire qui lui conseillera de le représenter dans sa galerie.

Né à Paris, Maurice Utrillo est le fils de Suzanne Valadon, artiste peintre et modèle, et du peintre catalan Miguel Utrillo. Le quartier de Montmartre qu'il habite lui fournit le sujet de centaines de tableaux. Recourant souvent à des cartes postales, il représente à plusieurs reprises l'église de Clignancourt ou encore la rue du Mont-Cenis, et anime ses architectures austères de petites silhouettes. L'apogée de sa carrière de 1910-12 à 1914, dite "période blanche", se caractérise par les empâtements blancs, écrasés au couteau, où se trouve parfois mélangé du plâtre, alors fabriqué sur la butte Montmartre, qu'il marie avec de subtiles teintes de peinture grise.
La Maison de Berlioz (1914) huile sur contre-plaqué en est un bon exemple. Le bâtiment se situait à Montmartre, à l'angle de la rue Saint-Vincent et de la rue du Mont-Cenis. Le compositeur Hector Berlioz (1803-1869) y a habité de 1834 à 1837. Le peintre Georges Braque y installa son atelier en 1911. L'oeuvre, très géométrique, est l'une des plus austères du peintre et est emblématique de sa "période blanche". Seule, note colorée, le drapeau français, sur la droite, qui a probablement été ajouté après la déclaration de guerre, à l'été 1914.
On aurait tors de croire qu'Utrillo n'a peint que Montmartre. Pour la Grande cathédrale ou Cathédrale d'Orléans, huile et matériaux composites sur contre-plaqué parqueté (1913)il a mélangé sa peinture à de la colle, du plâtre ou du ciment afin d'obtenir ces plans si caractéristiques. Les formes sont tracées à l'aide d'une règle et d'un compas, mais la touche, épaisse, est plus lâche. Sur cette toile inachevée, la couche préparatoire du fond est encore visible ainsi que la ligne droite dans le bas, qui sert de support au motif.

En 1922, Paul Guillaume lui dédie une exposition monographique montrant un ensemble de 35 peintures. Cet évènement marque le début du succès pour l'artiste, alors que celui-ci effectue une transition vers une peinture plus colorée.
En quittant l'Orangerie je vous conseille de scruter la place de la Concorde depuis le parapet et de faire une balade dans les jardins des Tuileries.

Musée de l’Orangerie
Jardins des Tuileries - 75001 Paris
Ouvert tous les jours de 9 heures à 18 heures, sauf le mardi (jour de fermeture)
Nocturne le vendredi jusque 21 heures
Gratuit le premier dimanche du mois

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