Le cinéma avait affiché une mise en garde. Certaines images violentes pouvaient choquer. Certes le film commence par une crémation et on comprend que la guerre civile qui a marqué le Sri Lanka se termine dans la douleur. Il ne faut pas y voir un témoignage, mais un conte moderne. Cela change tout.
Dheepan est un tigre. C'est comme cela qu'on désignait les combattants de l'indépendance tamoul. La défaite contraint l'homme à fuir son pays. On comprend assez facilement qu'il a décidé d'emmener avec lui une femme pour obtenir plus facilement l'asile politique en Europe. Ce serait mieux encore avec un enfant. La femme se met en quête d'une orpheline d'une douzaine d'années qui se laisse faire sans doute parce qu'elle n'a pas d'autre espoir ...
Ce n'est pas le grand air d'opéra qui résonne dans la salle qui va rendre la scène plus douce. En tout cas ces réfugiés vont assez bien vivoter dans un foyer d'accueil jusqu'à ce que Dheepan obtienne un emploi de gardien d'immeuble en banlieue, dans la cité de la Coudraie à Poissy, dans les Yvelines.
Le traducteur mène les tractations et on devine que tout cela n'est pas très clair, mais là encore ce n'est pas plus le sujet du film de dénoncer la guerre que de condamner les trafics.
Il pose par contre la délicate question de l'intégration. Peut-on pratiquer sa religion ou doit-on faire comme tout le monde ? Que faire pour être apprécié ? Se fondre dans le décor, fermer les yeux sur les affaires des voisins, chercher à rendre service pour devenir indispensable ?
La femme, l'homme et l'enfant de cette pseudo famille auront chacun leur réponse. On suit leur périple. On est près de penser que même si Dheepan a une morale d'acier, il ne va rien leur arriver de grave tant que la femme fera la cuisine pour le père alzheimer d'un caïd (interprété magistralement par Vincent Rottiers qui alterne tendresse et dureté).
Le rêve surgit à plusieurs reprises avec Ganesh, le Dieu à tête d'éléphant. Le trio semble sous ses auspices protecteurs et on voit leur train de vie s'améliorer. L'appartement se dote d'appareils ménagers et d'un ordinateur. Dheepan va pouvoir baisser sa garde et s'ouvrir à l'humour.
Jacques Audiard est habile pour camper une atmosphère et juxtaposer deux mondes. Il joue avec les ralentis et les accélérations. La direction d'acteurs est parfaite et on ne se doute pas que la majorité ne sont pas des professionnels. Les scènes de nuit, le recours à des nappages de lumière rouge et la musique font naitre des inquiétudes. La violence s'infiltre partout. Bientôt ce qui a des allures de jeu vidéo va devenir réalité. La cité apparaitra comme une zone de combat qui va réveiller les réflexes de Dheepan.
Composée en grande partie par Nicolas Jaar, la bande-son du film laisse également place à quelques extraits biens sentis de rap français pour appuyer l’ensemble : on retrouve Swift Guad, avec le morceau Tout s’arrête, ainsi que Lomepal, avec Les Battements, mais également des extraits du Freestyle Hip Hop Momo de Yoshi. Cela n'empêche pas d'entendre de la musique classique comme le très beau Cum Dederit de Vivaldi.
Certes il y a quelques faiblesses. Je n'ai pas compris la scène faisant surgi l'ex colonel tamoul comme personne influente au coeur de la cité, à moins que ce ne soit juste un cauchemar. La fin n'est pas celle qu'on aurait pensé. Mais nous sommes au cinéma et cette Palme d'or n'est pas usurpée. Ne serait-ce que parce qu'il ne nous parler d’immigration mais d’intégration, voire même de résurrection... si l'on croit le très étonnant happy end.
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